Autant vous dire qu’à la rédac’, tout le monde est en émoi. Un gars comme Tsonga, ça ne vous laisse pas de bois. Même Apolline n’a pu s’empêcher de faire la « ola » à chaque coup droit décroisé surpuissant du Français (mais ça, elle vous en parlera elle‐même, un peu plus tard). Jo Wilfried nous l’avait confié lors de notre entretien avec lui sur le n°5 de GrandChelem, consacré aux outsiders : » Quand je reviens sur le circuit, je suis fort et je gagne un tournoi. » On dirait qu’il se connait bien, le bougre. Allez Jo, nous à GrandChelem on y croit et en attendant on relit ton interview qui laissait déjà présager une telle performance.
Qu’est‐ce que ça veut dire outsider ?
C’est celui qu’on ne connaît pas, qui n’a pas encore fait ses preuves et qui va s’attaquer aux ténors.
Est‐ce que tu te considères comme ça ?
Pour l’instant oui, je me considère comme un outsider parce que je n’ai pas encore eu de gros résultats. Quand je serai dans les vingt premiers, je ne me considèrerai plus comme un outsider.
Est‐ce que ça dépend des tournois dans lesquels tu t’engages car tu peux être favori sur un challenger et outsider sur un Grand Chelem ?
Non, je ne mets pas de pression par rapport à ça. Il y a des challengers où j’étais favori, je les ai gagnés. D’autres, je ne l’étais pas, je les ai gagnés quand même. Le top 100, c’est un premier objectif pour rentrer dans les grands tournois. Après il y a le top 50 pour rentrer dans les Masters Series.
Est‐ce que les deux années très dures que tu as traversées ont renforcé ta résolution d’outsider ?
Oui quelque part, ça a été un mal pour un bien. Ca m’a fait prendre conscience de pas mal de choses dans ma vie de tous les jours. D’abord je suis beaucoup plus professionnel.
Concrètement ça veut dire que tu faisais quoi avant que tu ne fais plus maintenant ?
Avant j’arrivais, je m’échauffais à la va‐vite et je rentrais sur le terrain. Maintenant j’ai compris que l’échauffement faisait partie d’un tout. Avant j’avais également tendance à tout donner. Même quand j’étais fatigué, je tirais sur la corde et je me mettais en danger. Aujourd’hui il y a des soirs où je suis capable de m’obliger à aller au lit même quand je ne me sens pas fatigué.
Et qu’est‐ce que tu appris personnellement avec cette attente ?
D’abord que dans la vie, il n’y avait pas que le tennis mais plein d’autres choses à découvrir sur cette terre. Ensuite ça m’a permis de me rapprocher de ma famille. C’est‐à‐dire que le tennis m’avait obligé à laisser une partie de mon lien avec ma famille et mes amis.
Ils étaient tous là quand tu avais des problèmes ?
Oui c’est justement là que l’on reconnaît ses vrais amis. Dans ces moments‐là on apprend beaucoup de choses entre ceux qui sont là par intérêt et ceux qui sont là pour toi.
Et pour ta copine, comment c’était ?
Comme elle joue au tennis, c’était plus facile pour elle de comprendre ce que je traversais. Je ne dis pas que c’était tous les jours « peace and love » mais c’est ça qui m’a permis de tenir pendant ces mois.
Est‐ce que quand on ne joue pas au tennis, on a le temps de lire ?
Quand on ne joue pas au tennis, on a le temps de lire. Quand on joue au tennis, on a également le temps de lire, et moi je ne lis pas souvent (Sourires)
Mais comment tu peux connaître la vie de Mohamed Ali ou de Martin Luther King sans lire ?
Non, bien sûr, ces gens‐là m’intéressent alors je me suis documenté sur eux, et ça passe forcément par les livres.
Tu as lu des livres de Martin Luther King ?
J’au lu une biographie sur lui qui retraçait tous les évènements de sa vie depuis son enfance. Ca m’inspire.
Comment tu es arrivé à lui ?
C’était chez mes parents. J’ai vu sa photo dans un cadre .J’ai demandé « C’est qui ? » et mes parents m’ont expliqué. Il y avait des gens qui trouvaient que je lui ressemblais physiquement.
Est‐ce qu’il y avait des sportifs auxquels tu pouvais t’identifier ?
Oui, bien sûr il y avait Richardson en handball, certains footballeurs…
Mais en tennis, c’était qui ?
Oui il n’y avait pas grand monde mais avec le temps les choses changent.
En référence à cela, est‐ce que tu peux nous dire dans ces trois derniers mois quel est le match où tu t’es dit « A partir de maintenant, ils vont voir le vrai Tsonga » ?
C’est allé très vite et je n’ai pas eu le temps de faire le point sur ces trois mois, mais pour tout dire je n’ai jamais quitté cette impression depuis 3 ans. J’ai toujours su que quand je reviendrai, je serai fort.
Ah oui ?
Oui, parce que j’avais des blessures, je revenais et je remportais des tournois, puis je me blessais à nouveau, et à chaque fois que je revenais je gagnais des tournois. Donc pour moi, c’est toujours allé très vite et ces six derniers mois ont été la suite logique de ce qui se passait depuis trois ans. Je dirais qu’au contraire c’est maintenant que j’attends le déclic.
Justement tu sens que ça bouge pour toi en ce moment au niveau médiatique ?
Oui (sourires)
C’est‐à‐dire, au niveau publicitaire ?
A tous les niveaux.
Tu saisis dans ces moments‐là ce que tu peux représenter pour le tennis, par ta couleur ?
Oui, mais c’est pas ça qui prime. La couleur, aujourd’hui, dans le sport…
Oui dans le sport mais dans le tennis français, il n’y a pas beaucoup de Noirs…
Oui (silence), il y a le dernier Français qui a gagné Roland‐Garros, y a Gaël (Monfils), et (silence) puis y a moi (sourires). Mais notre génération est quand même mieux représentée.
Alors pour revenir sur le terme d’outsider qui veut dire celui qui est dehors, aujourd’hui on est au contraire au CNE, au centre de la Fédération pour faire cette interview. Pourquoi tu ne pars pas dehors dans une structure privée ?
Moi j’ai envie de te répondre « Pourquoi je ne resterai pas là »
Alors pourquoi tu ne resterai pas là ?
(Rires) Parce que je suis avec Eric (Winogradsky) et ça se passe très bien. Avec mon entraîneur physique, avec le staff médical. Avec les dirigeants du CNE, ça se passe également très bien. S’il y a des gens qui se sentent mieux ailleurs, tant mieux.
Est‐ce qu’il y a une question d’argent ? Tu sais bien qu’il y a des gens qui sont payés par des structures privées pour aller s’entraîner chez elles.
Non, moi, ça ne rentre pas dans mes critères. J’ai été blessé pendant ces deux dernières années alors la première chose qui compte, c’est est‐ce que je me sens bien, est‐ce que je suis heureux. Je suis bien ici donc je ne me suis même pas posé la question.
A la sortie de Roland‐Garros, il y a eu une polémique sur les résultats des Français et le manque de préparation sur terre battue, qu’en as‐tu pensé ?
D’abord je pense que c’est un débat qui a lieu d’être. Roland‐Garros, c’est quand même un Grand Chelem qui est chez nous. Je trouve très bien que tout le monde ait donné son avis, que les gens de l’extérieur donnent leur avis. Il faut que ça aboutisse à quelque chose, mais c’est très difficile avec le climat qu’on a en France de s’entraîner toute l’année sur terre battue à la différence des Espagnols.
Mais toi tu t’entraînes sur quoi ?
Moi j’ai toujours joué sur les deux, mais à un moment tu as un calendrier où tu t’aperçois que tous les grands tournois se jouent sur dur, donc tu en tiens compte. C’est comme ça. Les Sud‐américains, ils ne s’entraînent que sur terre donc ils ne vont jouer que sur terre pendant la saison parce que sur dur, ils ne sont pas très bons.
Pourtant les Espagnols jouent de mieux en mieux sur dur et s’entraînent toujours sur terre.
Oui et il y a aussi des Français qui jouaient très bien sur dur, qui ont commencé à progresser sur terre et qui aujourd’hui jouent très bien sur terre. Je pense qu’il faut laisser le temps au temps. Je trouve que notre génération joue assez bien sur terre.
Toi tu rêves de gagner Roland ?
Ah oui en premier, ce serait le top.
Pourquoi ? Parce que c’est en France ?
Parce que c’est en France. Moi je serai fier de gagner devant mon pays.
Est‐ce que tu comprends dès lors la pression que certains joueurs se mettent en arrivant ici ?
Non, c’est quelque chose que je ne comprends pas. Moi j’y arrive en tant qu’outsider justement, donc c’est forcément bonus. Je ne comprends pas cette pression.
Mais est‐ce qu’on est pas un peu inconstant côté français ?
Oui on est inconstant, mais on est inconstant par rapport à qui ? Par rapport à Federer ? à Nadal ? Et les autres ? Roddick, il a des chutes de concentration et il a également du mal. Les autres ont tous du mal. C’est justement celui qui règle le mieux ces sautes de concentration qui devient numéro 1.
Quelles sont les choses qui te restent à travailler aujourd’hui ?
Moi j’ai l’impression que j’ai tout à travailler (Rires). C’est ça mon problème. Ce que j’essaye de régler en ce moment, c’est le comportement, c’est être constant. Techniquement j’ai encore beaucoup de boulot. Et enfin il y a l’histoire d’expérience. L’expérience, c’est fondamental.
Un outsider, c’est également un gars capable de t’attaquer au coin du bois, quand on discute avec votre génération, on vous trouve tous très gentil, peut‐être un peu trop. On a l’impression que la génération des Noah, des McEnroe étaient des tueurs capables de foutre un journaliste dehors.
(Silence) Si tu veux, je peux le faire, je peux te mettre dehors
Eclats de rire Ce que je veux dire, c’est que vous n’avez pas cette logique de conflit.
Oui, peut‐être mais ça dépend. Si tu viens me titiller sur des trucs où je suis sensible, je vais être un peu moins mielleux.
Est‐ce que tu trouves que les journalistes comprennent bien ce que vous faites sur un terrain ?
Quelque fois c’est un peu rébarbatif, on est obligé de parler de Nadal et de Federer, et ça donne les mêmes réponses.
Comment pourrait‐on progresser ? Il faudrait venir vous voir vous entraîner ?
Oui, moi je vois rarement un reportage où tu vois des joueurs qui s’entraînent, qui déconnent, qui en chient. La vie du tennisman, c’est un tout. Le passage sur le court le jour du match, c’est 5% de l’activité.
Pour finir, c’est une vie intéressante, tennisman ?
C’est une vie géniale. Géniale. Depuis que j’ai 13 ans, je voyage partout dans le monde, je vois des choses que tout le monde ne voit pas. C’est magique quoi !
Publié le jeudi 15 mai 2008 à 03:46