Et vous allez penser qu’avec un tel titre elle ne se mouille pas trop, votre meilleure copine de jeu. Tu parles ! Déjà deux ans de chroniques à prendre sur elle, à essuyer quolibets et insultes, pour faire comprendre les limites de Federer et le génie spécifique de Nadal, celui totalement immédiat de Tsonga, celui toujours trop surestimé de Gasquet, celui largement inexploité de Monfils. Prochainement elle vous dégonflera la baudruche Gulbis (ça s’appellera Mort à Venise), mais aujourd’hui c’est à Novak Djokovic qu’elle va rendre l’hommage appuyé qu’il mérite.
Et là encore, certains vont en prendre pour leur grade. L’anecdote que va vous livrer Apolline, cherchez pas, vous ne la trouverez pas ailleurs, dans aucun autre magazine au monde. Si le magazine GrandChelem et le site Welovetennis sont passés en 2 ans de la 2ème place française à la 1ère place mondiale de l’observation du jeu, ce n’est pas uniquement parce qu’ils sont les seuls au courant de l’anecdote racontée ci‐dessous, mais parce qu’il ont surtout la liberté totale de vous la livrer telle quelle, sans aucune peur de retombées sur les gens qui sont concernés pas l’histoire. La voici.
Juste avant la fin de l’année dernière, un sponsor important du tennis mondial réunit lors de la même journée ses deux joueurs phares pour une séance de photo en vue de la promotion de la gamme 2008. Ces deux joueurs s’appellent Roger Federer et Novak Djokovic (et là a priori vous est en mesure de savoir tout de suite de quelle marque on parle). Comme le patron de cette marque sait que les deux joueurs s’apprécient… sans plus, il fait en sorte que leur séance soit espacée et qu’ils ne fassent que se croiser furtivement sur le plateau, d’autant que la famille Djokovic vient rediscuter son contrat au regard des performances de son petit prodige en 2007. Federer passe en premier, fait ses photos. Djokovic arrive un peu plus tard sur le plateau, croise le Suisse qui est en train de partir. Bonjour, au revoir. Federer a à peine tourné le dos et quitté les lieux que Nole avec un grand sourire provocateur balance au patron de la marque : « Eh, l’année prochaine il va falloir envoyer les dollars, parce que moi ce mec‐là, dans trois mois je vais le démonter ». Le patron en a rigolé en direct, mais en me racontant lui même la chose 9 mois plus tard, il avouait à votre Apolline qu’il n’avait jamais entendu ça de sa vie.
Comme Apolline connait ses welovetenniswomen et welovetennismen par coeur, elle sait déjà qu’elle va lire des post horrifiés par cette nouvelle marque de prétention et d’arrogance djokovienne. Ca va voltiger entre « ce petit con, il se prend pour qui ?», « Federer lui a quand même bien fait fermer sa gueule à Monte‐Carlo » et « d’ailleurs son clan faudrait qu’il la ferme tous, ils nous gavent la famille Groseille à grincher au bord du terrain. Aucune classe, les romanichels ».
Mais vous ferez erreur, mes lectrices et lecteurs que j’adore, vous ferez erreur sur toute la ligne. Si Djokovic en est là, à avoir effectivement démonté Federer trois mois plus tard à l’Open d’Australie (un Federer malade, à 70% de ses capacités, pas de problème pour le reconnaître ; Apolline a été et reste la première à dire qu’on a toujours pas vu le vrai Federer à l’oeuvre depuis le début de la saison), c’est qu’il pense ce qu’il dit et qu’il fait ce qu’il pense. Il met tout en chantier pour être le futur numéro 1 mondial. Et ce besoin d’arrogance fait partie de sa préparation mentale et de son approche de la compétition. C’est sa façon de procéder comme avant lui Edgar Grospiron ou Alberto Tomba. Apolline a la même approche dans les différentes disciplines de haut‐niveau où elle officie, alors elle peut vous dire que l’arrogance et la prétention c’est vraiment le dernier des problèmes. Ca n’obscurcit que le soleil des nains. Les gens bien dans leur peau n’ont jamais de problème avec la prétention des autres. Ils savent bien eux‐même que cette faille est obligatoire. Sans cette faille il n’y a pas cette volonté féroce d’exister, une volonté qui vous dépasse. Noah parlait très bien de ça dans l’interview accordée à Sport juste avant le début du tournoi. « Il faut une faille, une cassure, pour accepter ensuite de se battre contre la terre entière pour y arriver. Il y a au coeur de chaque grand champion une faiblesse intime qu’il a tenté de surmonter au travers du sport. Une pulsion de vie qui le pousse à s’exprimer plus haut ou plus fort que les autres ».
Le seul problème avec l’arrogance et la prétention, c’est juste de savoir quelle cassure elle révèle. Si c’est de la froideur ou un malaise insurmontable que la victoire ne pansera jamais, on est effectivement en droit de se demander si le mec vit si bien ça que son arrogance, si elle ne révèle pas en fait un vrai petit complexe d’infériorité. Lendl était dans ce cas‐là, et on était alors en droit comme Noah ou McEnroe de ne pas aimer Lendl, de ne pas le trouver raccord, et de ne pas le considérer comme faisant partie de la famille du tennis. Noah est longuement resté sur ce feeling jusqu’au jour où papa Zacharie lui a dit que 10 ans après Lendl l’avait reconnu de l’autre côté de la rue et avait traversé illico pour lui dire bonjour avec le plus grand des respects et la plus grande des bienveillances. Depuis Noah s’est un peu calmé sur Lendl, et de son côté McEnroe a reconnu que si tous les joueurs mettaient la même application dans leur vie et sur le terrain à faire les choses comme les faisait Lendl, on aurait des gens un peu plus passionnés et passionants à qui s’adresser.
Mais Djokovic, froid derrière son arrogance ? dans le malaise ? A qui va‐t‐on faire croire ça ? Le gamin est confort avec tout le monde, rigolo comme pas deux, plaisante autant avec les joueurs qu’avec les petites mains des organisations, exprime toutes ses émotions sur le terrain, la joue profil bas à Roland quand il joue un Français pour ne pas se mettre le public à dos (l’an dernier contre Patience, cette année contre Mathieu), donne des conférences de presse claires et limpides sur son jeu et ses rêves. Et on irait encore lui chercher des noises, à lui parler des vertus de la modestie. Comme si la prétention empêchait la modestie, le doute sur soi, les crises de confiance, le besoin de repli janséniste, l’humour, la fragilité, le romantisme. Apolline ne connait pas plus gentils, sympas, modestes et clairs que les gens prétentieux. Ils annoncent ce dont ils sont capables, ils se placent de cette façon au pied du mur et ce sont les premiers à s’assassiner quand ils entrevoient leur limite. Ils sont même d’ailleurs plus en danger de dépression que tous les autres dans la capacité qu’ils ont à se fustiger sans bémol dans ce cas‐là. Leur fragilité n’en est que plus évidente, immédiate, transparente, au su et au vu de tout le monde. On lit en eux. Ils savent intimement quand la frontière du corps vient de leur être signalée. Il savent que derrière c’est mort. Et ils s’en vont du jour au lendemain sans demander leur reste. A 25 ans s’il le faut. Suivez mon regard et demandez vous pourquoi la petite Justine et la petite Kim qui vous paraissaient si arrogantes vous ont semblé tout à coup si touchantes en révélant qu’elles aspiraient à bien plus de discrétion et de douceur dans leur vie.
En comparaison, ce discours gaulois sur la modestie, ce dernier rebut de la morale religieuse tirée des grands pensums apocalyptiques chrétiens, juifs ou musulmans (si t’es pas tout petit devant Dieu, fais gaffe, tu vas voir ce qui va t’arriver), c’est ni plus ni moins celui de la lose version Wilander, la lose des gars qui confondent tout. Est‐ce que vous pensez que Djokovic va s’arrêter de fanfaronner ou même de jouer au tennis parce qu’il va perdre contre Nadal en demi‐finales de Roland ? Rien à foutre. Il reviendra encore demain, et demain jusqu’à ce qu’il y arrive. Même chose pour Nadal. Ces mecs‐là sont fait du même bois. Du bois de champion. Du bois dont est fait Federer ou Tsonga. Mais pas encore Monfils. Monfils construit son tennis, pierre par pierre, rallye après rallye. Tardivement mais c’est déjà ça. Pourtant au fond de son crâne on peut imaginer qu’il croit encore que sa vie va changer avec un beau parcours à Roland Garros. Bah non c’est pas comme ça que ça marche et quelque part on ne lui souhaite pas de gagner Roland aux premiers jours de son chantier personnel. Monfils n’est pas encore prêt pour ce trône‐là. Roland 2008, ça doit être simplement une étape dans sa préparation pour Wimbledon 2008, puis pour l’US Open 2008, puis pour une saison complète en 2009, Masters Series inclus. Roland ça doit être son petit tremplin pour la cohérence, la constance, le respect de ce que tous les gens qui sont autour de lui essayent de lui apporter.
Mais par contre on ne lui reprochera certainement pas de le rêver et de le dire tout haut. « Ca fait 21 ans que je suis conçu pour bander pour ce tournoi », voilà la plus belle formule de ce Roland Garros 2008, pas uniquement parce qu’elle révèle la prétention de Gaël mais parce qu’elle rend hommage à celle de ses parents, au clan Monfils, à leur ambition familiale. Tiens, vous trouvez pas que ça sonne comme du Djokovic tout ça ?
Pour finir d’ailleurs sur le Djoko‐Nadal, là encore, petit conseil essentiel pour nos lectrices et lecteurs, au regard de commentaires encore une fois trop rapides au sortir de la branlée contre Almagro. Soyez moins influençables car chaque match est différent. Ce n’est pas parce que Rafael Nadal joue très bien en ce moment, vient d’étriller un compatriote un peu complexé qu’au match suivant il va se bouffer Djokovic et derrière le vainqueur de Monfils‐Federer en trois sets secs. C’est pas non plus comme ça que ça marche. On dira même qu’après une telle succession de démonstrations, ça va risquer de le tendre un peu le Rafa d’avoir à démarrer contre un Nole mort de faim qui sait qu’il doit gagner la partie en 3 ou 4 sets. N’oubliez jamais cette phrase de Nadal après sa victoire contre le Serbe à Hambourg : « Regardez les trois premiers jeux de Djokovic aujourd’hui, je crois qu’il est difficile de mieux jouer au tennis ». Djokovic est bien le seul adversaire depuis 4 ans qui sur terre battue a dominé l’Espagnol à son propre jeu et sur le service de Rafa. Cela, les deux joueurs le savent. Ils l’ont senti en direct. C’est sur cette perception intime que va se jouer le début de match, moment capital pour le numéro 3 mondial.
Maintenant il est vrai qu’Apolline joue encore Nadal sur sa plus grande résistance, sa capacité d’user physiquement sur la distance d’un cinq sets. Et parce qu’elle rêve elle aussi d’un Federer à qui on redonne une nouvelle chance face au meilleur joueur de terre battue de tous les temps, alors elle joue également le numéro 1 mondial en finale. Roger mérite cette extra‐balle. Et cette année, promis, Apolline sera à fond derrière lui. A une petite exception près qu’elle vous écrira samedi, si la logique décrite ici demeure.
Mais la logique en tennis avec des gars comme Monfils et Djokovic… quand on voit leurs entrainements.
Publié le jeudi 5 juin 2008 à 22:34