Alsacien d’origine et ancien joueur professionnel (131eme), Denis Naegelen est aujourd’hui un acteur privilégié du tennis. Président de la société Quaterback qui organise les Internationaux de Strasbourg, il dresse un bilan lucide et intéressant sur l’état du tennis en France pour notre dossier spécial, où va le tennis en France, extrait du numéro 44 de GrandChelem. S’il n’est pas alarmiste car notre beau pays possède une des fédérations les mieux structurées au monde, l’accueil des clubs, pièce centrale du tennis, doit être amélioré.
Aujourd’hui, pour vous, organisateur de tournoi (Internationaux de Strasbourg) et ancien joueur professionnel (131eme), comment trouvez‐vous le tennis en France ?
Je vais choquer beaucoup de gens, mais je trouve qu’il se porte bien. J’ai beaucoup voyagé et je pense qu’on possède une des fédérations les mieux structurées au monde. Ce qui veut dire que le tennis ne repose pas sur une vedette comme dans beaucoup de pays, mais sur un réseau de 8000 clubs, de 35 ligues, de 100 comités départementaux, de professeurs. Tout ça est, peut‐être, moins souriant qu’il y a 20 ans, mais il y a une vraie assise.
Pourquoi moins souriant ?
Il y a plus de 20 ans, quand on ouvrait un club, on triait les membres. C’était des progressions à deux chiffres. Aujourd’hui, quand on fait 1% on est très content. Mais on est aussi à 1 100 000 licenciés. C’est plus difficile de tenir, les gens sont plus exigeants, il y a une notion de client, ils viennent pour consommer. Le sport est devenu une consommation de zapping, on en fait un petit peu là, un petit peu ailleurs. Le boulot des clubs est d’apporter le meilleur service et accueil possible.
Ça passe par quoi ?
Ça passe par les structures, par la propreté des vestiaires. On veut faire du tennis féminin, mais si les vestiaires ne sont pas propres, ça ne les incite pas à revenir jouer la semaine suivante. Ça pourrait toujours être mieux, il y a des clubs qui sont en avance. Ça repose aussi sur des personnes, des bénévoles, sur des personnalités qui ont un vrai charisme capable d’entraîner les gens. Aujourd’hui en France, il ne faut pas oublier qu’on est numéro deux au monde (par rapport à la défaite en finale de Coupe Davis, ndlr) et on a l’impression que l’on vient d’essuyer la pire catastrophe qui soit. Je trouve ça risible et grotesque. Mais c’est dommage pour la fédération de tennis. On est numéro deux mondial et on a la sensation qu’on est des loosers. Il y a un vrai problème. On a perdu contre la meilleure équipe du monde en finale et non pas au premier tour. Une fédé et l’engouement populaire passent aussi par le charisme d’un champion, l’exemplarité que donne les champions et championnes. Et je trouve qu’on est un peu passé à côté cette année.
Même si vous dites qu’on a la chance que le tennis ne repose pas sur un champion dans notre pays, si un Français gagne un Grand Chelem ou si la France gagne la Coupe Davis, pourrait‐on quand même passer un cap supplémentaire ?
Evidemment ! On franchirait un palier supplémentaire. Ça changerait tout. Le joueur prendrait un statut totalement différent. L’aura de Yannick (Noah) a quand même duré un bon moment car on attendait ça depuis très longtemps. Aujourd’hui, je suis persuadé que ça serait moins énorme, mais ça resterait quelque chose de fort pour le tennis. Je dis moins énorme car il y a une banalisation du sport. Si on laisse le football de côté, le tennis était le sport numéro un à l’époque où Yannick gagne. Il relance l’envie du tennis pendant cinq ou six ans. Mais c’est très lié. Avec une fédération si structurée et un grand champion, je suis sûr que ça redémarre.
Pour vous, ancien joueur professionnel, quel aurait l’effet d’un champion ou d’une championne sur la pratique ?
Il y a un double effet. Le premier, pour les non‐initiés, est de montrer un spectacle plaisant et facile quand on le regarde. Pour les plus initiés, ceux qui viennent des clubs, c’est de créer des rencontres avec les joueuses. On le fait tous les jours à Strasbourg, des autographes, des questions‐réponses, jouer avec les joueuses. Je crois que ça participe beaucoup à la pratique. Je peux prendre mon exemple, mais quand j’ai eu la chance de jouer avec des champions, cela a été un truc exceptionnel pour moi. J’imagine qu’un jeune qui va à l’école de tennis toutes les semaines jouer avec une championne est un moment inoubliable. Donc oui, je crois à l’exemplarité et à la motivation que ça apporte. Il faut donc multiplier ces rencontres.
- « Un club est fait pour créer du lien social »
Le renouveau passe‐t‐il par un meilleur accueil des clubs également ?
Aussi. J’ai parfois envie de dire aux gens de se bouger. La vie du tennis est dans les clubs, pas ailleurs !
Que feriez‐vous ?
Je continuerais de favoriser le recrutement des plus jeunes en leur donnant des accès pas gratuit mais presque. Le tennis à l’école par exemple. Aller chercher les jeunes un peu partout. A un moment la fédération avait créé le tennis‐tour : des terrains étaient installés un peu partout dans les villes, Henri Leconte venait jouer, ça créait du buzz, les médias venaient. Les clubs étaient présents pour dire qu’ils pouvaient les accueillir. Je crois qu’il faut replonger sur des actions de ce type‐là, ce qui est mieux que des portes‐ouvertes. Les gens ont toujours du mal à franchir la porte de quoi que ce soit, même quand elle est ouverte. Il faut « se bagarrer » contre les autres fédérations. Il ne faut pas avoir peur d’y aller. Aujourd’hui, quand vous êtes parent d’un enfant de dix ans, vous vous dites que ça serait bien qu’il fasse du sport. Alors, il fait du basket, du foot, du tennis, du hand… Le rôle de la fédération c’est de faire la promotion du tennis, donc de faire une offre contre le hand, contre le basket (rires) ! Quelque part, c’est ça.
Est‐ce que le tennis est finalement adapté à la société ? Est‐il encore excluant ?
Je ne le crois pas excluant. Du moins plus. On a peut‐être même construit un peu trop de courts à un moment donné. Je crois que le tennis reste un sport accessible et il faut qu’il le reste. Vous savez, 8000 clubs, je n’ai pas fait le compte du nombre de personnes bénévoles, si on extrapole, on a 1 millions de licenciés, et environ 10 000 bénévoles. C’est un réseau exceptionnel. Le rôle de la fédération, c’est d’éduquer ces bénévoles. Elle en a pris conscience. Le but n’est pas de les professionnaliser, surtout pas, mais simplement faire de l’acquis de compétences, comprendre les évolutions, les mentalités des gens… C’est vraiment une question de compétences, d’éducation… Comme toute entreprise qui repose sur ses hommes, la formation est clé. On peut être compétent pendant quatre ou cinq ans, puis on ne l’est plus. Le rôle d’une fédé est de continuer de proposer des actions qui montrent aux bénévoles qu’ils pourraient le faire autrement et différemment. Je crois que l’on a une fédé prête à écouter. Il faut surtout arrêter de dire quand on est dirigeant de club, que la fédé a intérêt de faire si ou ça… Le tennis se passe dans les clubs, c’est quelque chose de proximité. Quand on est dirigeant, le but est de proposer des services aux gens qui vivent à 10km à la ronde.
Finalement ce qui revient, est qu’il faut favoriser et améliorer l’accueil. Car aujourd’hui, les gens veulent jouer donc il faut les mettre en relation…
Exactement. Il faut simplifier le processus et Internet est une bonne chose. Mais il ne faut pas le faire exclusivement par Internet. Il faut toujours dire aux gens : « tiens je connais un tel il a un à peu près ton niveau, etc… » Et c’est ça que je crains le plus pour le tennis comme pour d’autres sports aussi, c’est la désocialisation du sport. Le tennis était un sport exceptionnel par sa croissance car il permettait d’en rencontrer d’autres. Et c’est en‐cela qu’il y a une responsabilité de lien social dans un club en général. Et il faut que le tennis l’assume complètement. Il faut donc mettre en contact des gens de différentes générations, pas forcément de la même origine et qui ne sont pas toujours du même niveau social. C’est quand même fait pour ça un club, pour créer du lien social. Ce lien est mis en place par des humains qui mette en relations d’autres personnes par des rencontres, des soirées, des dîners, autour d’un thème commun, qui est le tennis.
Ce que je retiens le plus dans ma carrière est l’aspect formation que cela m’a apporté. On dit très souvent que dans une entreprise « moi je privilégie le sport d’équipe… ». Ok. Moi je pense que si aujourd’hui vous demandez à un joueur de foot d’aller acheter un billet d’avion, il ne sait pas faire. Il ne sait même pas où et comment il faut faire. Vous demandez à un joueur de tennis de 12 ans, il sait. Pourquoi, car il est livré à lui‐même, il est tout seul. Un joueur qui a 17, 18 ans et veut devenir pro, il a la mentalité d’un chef d’entreprise, il devient une petite PME au début. C’est à lui de choisir son entraîneur, son programme, ses objectifs, il va voyager… À mon époque, il y avait moins d’argent, donc moins d’invitations dans les hôtels. On était donc dans des familles. J’ai passé trois mois en Australie entre Hobart, Adélaïde, Perth, Melbourne dans des familles différentes… Tout ça est formateur, fantastique. Seuls les sports individuels vous le permettent. En équipes, vous êtes totalement pris en charge et vous n’apprenez pas à vous en sortir.
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Publié le vendredi 13 février 2015 à 19:30