AccueilDocuMannarino : "Ma vérité se situe sur le court, nulle part ailleur"

Mannarino : « Ma vérité se situe sur le court, nulle part ailleur »

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Mystérieux, intro­verti, Adrian Mannarino gagne à être connu. Membre de l’équipe de France de Coupe Davis depuis peu, sa noto­riété a bien sûr progressé même si pour lui l’essentiel se situe sur le court. Entretien‐vérité.

Adrian, on nous a dit que tu avais la convic­tion profonde que tu étais titu­laire de l’équipe de France de Coupe Davis, prin­ci­pa­le­ment parce qu’il y avait des absents ces derniers temps. Le penses‐tu réellement ?

C’est juste la vérité ! J’ai été sélec­tionné dans cette équipe parce que deux ou trois joueurs n’étaient pas là. Je dois aussi avouer que mon match contre Robin Haase face aux Pays‐Bas à Albertville m’a donné confiance. Je me sens beau­coup plus à ma place dans le team France que par le passé où j’avais long­temps été rempla­çant ou sparring.

Est‐ce que ces sélec­tions t’ont permis de passer un palier ?

Un palier pour ma carrière de joueur de tennis, je ne pense pas. En revanche, en termes d’expérience et d’émotions, il est évident que c’est magique, d’autant plus si la compé­ti­tion venait à s’arrêter dans sa formule d’origine. J’ai beau­coup regardé la Coupe Davis à la télé­vi­sion quand j’étais jeune et cela m’a marqué. Faire partie de cette épopée, c’est évidem­ment très enri­chis­sant, ce sont des souve­nirs impé­ris­sables et précieux.

En général, un joueur de tennis est assez narcis­sique. Ce n’est pas vrai­ment ton cas, n’est-ce pas ?

Si je joue au tennis, c’est d’abord parce que j’aime ce jeu et parce qu’il me procure du plaisir. Si je peux en donner à d’autres personnes, c’est quelque chose d’encore plus agréable, mais ma vérité se situe sur le court, nulle part ailleurs.

Est‐ce que tout ce qui se passe autour du court (les solli­ci­ta­tions, les médias, etc.) te pèse ?

Pas vrai­ment, mais je ne vais pas natu­rel­le­ment vers les autres. J’attends plutôt que l’on vienne vers moi. Je suis donc un peu moins sur le devant de la scène que d’autres. Maintenant, ce n’est pas quelque chose qui me dérange. Il est vrai qu’avec mon clas­se­ment actuel, je suis amené à faire de plus en plus de choses en dehors du terrain. Je fais donc des efforts (rires) et ce n’est pas si désa­gréable que cela.

On dit que faire partie de l’équipe de France est un accé­lé­ra­teur de noto­riété, as‐tu pu le vérifier ?

En fait, c’est assez éphé­mère. Pendant une semaine, c’est vrai que l’on est forcé­ment assez solli­cité, mais au final cela retombe très vite. Dès que la rencontre est terminée, la réalité de notre vie de joueur de tennis du circuit reprend ses droits. Personnellement, cela ne me dérange pas car j’ai l’habitude de passer à autre chose très rapidement.

On a regardé ton calen­drier, il semble que tu n’apprécies pas forcé­ment de jouer en France…

C’est vrai que c’est rare, mais je n’ai pas une volonté farouche de ne pas jouer en France. En fait, j’essaye de construire un calen­drier le plus intel­li­gent possible. Si je vois que les condi­tions sur des tour­nois à l’étranger sont un peu meilleures et que les listes sont plus inté­res­santes, j’ai tendance à jouer hors de mes fron­tières. Ce n’est pas quelque chose qui m’ennuie de faire 4 à 5 heures de voyage plutôt qu’une heure de train. L’autre donnée impor­tante, c’est que sur les tour­nois fran­çais, les joueurs que l’on retrouve sont souvent les mêmes. J’ai déjà souvent joué contre eux. J’aime bien aller voir ailleurs, c’est diffé­rent. Pour l’instant, cela ne me réussit pas si mal donc je ne vois pas pour­quoi je devrais changer tout cela.

Quel est ton rapport avec la terre battue ?

Comme tous les joueurs en France, j’ai eu l’habitude de m’entraîner sur dur l’hiver et sur terre battue l’été. Je ne suis pas quelqu’un qui n’aime pas la terre battue et qui n’a pas joué dessus. J’ai un jeu qui se prête un peu moins à cette surface. Maintenant, j’ai l’habitude de jouer toutes les saisons sur l’ocre, donc je ne suis pas aller­gique, ce n’est pas un calvaire. Je prends du plaisir. Il est vrai que les résul­tats ont un peu de mal à venir. Ce sont des petits repères à trouver. Je n’ai pas vrai­ment le pied naturel sur terre, il me faut du temps pour m’habituer alors qu’il suffit d’une heure à d’autres joueurs pour trouver leurs repères sur toutes les glis­sades. C’est pour ça que j’étais ravi de faire partie de l’équipe de France face à l’Italie, car je savais que j’allais faire une bonne prépa­ra­tion pour la saison sur l’ocre.

Donc l’ocre et toi, cela peut fonctionner ?

Il me manque peut‐être un coup fort sur cette surface. Jouer en contre, cela n’est pas suffi­sant, il faut en mettre un peu plus dans la balle. C’est ce que j’essaye de faire. C’est un réglage à trouver entre frapper plus fort tout en restant en contrôle, plus de vitesse de bras mais avec du relâchement.

Est‐ce que ton clas­se­ment est un critère de réussite ?

Je ne me fixe pas d’objectif précis en termes de clas­se­ment. J’essaye de faire au mieux. Je ne me dis pas qu’il faut que je sois top 15 à une date précise. 15e, 20e, 25e, ce n’est pas impor­tant, il faut juste que je prenne du plaisir et tout ira bien.

On va forcé­ment aborder le sujet de Roland‐Garros. Cela reste‐t‐il pour toi une date importante ?

Roland‐Garros, c’est un énorme objectif. On a un tournoi du Grand Chelem et c’est une chance énorme. Il faut évidem­ment essayer d’y briller. Comme je l’ai dit, la terre n’est pas la surface qui me convient le plus. Il reste que j’arrive avec énor­mé­ment d’ambition, mais aussi de la pres­sion et du stress car on a telle­ment envie de bien faire. On imagine aussi le pire, notam­ment si les condi­tions ne sont pas idéales. On peut même avoir des pensées néga­tives car on se dit que l’on va encore rater cet événe­ment. Il y a tous nos proches au bord du court, c’est une situa­tion excep­tion­nelle, alors forcé­ment on a envie de leur faire plaisir. Du coup, c’est vrai que ce stress peut être super béné­fique si on arrive à le gérer, mais il peut aussi à l’inverse nous couper les jambes.

Tu n’as pas de prépa­ra­teur mental pour aborder ce type de moments ?

Je l’ai fait par le passé. J’ai travaillé avec diffé­rents prépa­ra­teurs mentaux mais je n’ai pas réussi à trouver celui qui m’apportait un petit plus dans mon jeu. Du coup, je bosse cela avec mon coach, Jean‐Christophe Faurel. On a de longues discus­sions qui sont très pous­sées et très béné­fiques pour aborder ce type de moments. Plutôt que s’entraîner cinq heures sur le court, à stresser, à penser au prochain match comme je le faisais par le passé, je préfère main­te­nant m’asseoir autour d’une table pendant une heure pour échanger avec mon coach. Cela fonc­tionne très bien pour l’instant. Avec Jean‐Christophe, on pointe souvent ce qui n’a pas marché, on essaye bien sûr de le corriger et de travailler en amont.

Tu as solli­cité les réseaux sociaux car tu n’avais plus beau­coup de modèles de ta raquette, cela a‑t‐il porté ses fruits ?

En fait, les réseaux sociaux ne m’ont pas été d’un grand secours. Heureusement, j’ai un ami qui connais­sait une personne qui avait un petit stock de mon modèle qui date d’il y a six ans. Aujourd’hui, j’ai donc 15 cadres en stock. C’est à la fois beau­coup et peu. Cela me permet quand même de souf­fler car cette situa­tion était stres­sante. J’ai donc une marge de manœuvre pour pouvoir encore me lâcher sur le court quand je perds mes nerfs.

Au contraire, vu la situa­tion, cela devrait te réfréner, car casser une raquette peut avoir de grosses consé­quences, et surtout cela diminue ton stock…

Quand on est idiot comme moi, on le reste quoi qu’il arrive (rires). Et quoi qu’il en soit, les petits coups de sang que j’avais dans le passé, je les ai toujours, même si c’est vrai que j’essaye de les réduire au maximum. Après, on n’est jamais à l’abri d’un pétage de plomb… C’est un sport très frus­trant. On met telle­ment d’efforts à l’entraînement que l’on a envie de bien jouer sur les matchs, c’est humain de craquer, cela fait aussi partie de mon caractère.

Est‐ce que la meilleure solu­tion ne serait pas de changer tout simple­ment de raquette ?

J’aimerais vrai­ment, mais changer est un vrai casse‐tête. En fait, j’ai déjà essayé énor­mé­ment de modèles mais je n’ai pas réussi à trouver un cadre qui me conve­nait autant que celui que j’utilise aujourd’hui. Du coup, c’est compliqué. On a peu de temps pour tester un nouveau modèle. En gros, on a trois semaines l’hiver grand max. Et après onze mois de tennis, on n’a pas vrai­ment envie de conti­nuer à taper dans une balle. On cherche plutôt à se reposer.

Il se dit beau­coup de choses sur la tension que tu utilises, peux‐tu réta­blir la vérité ?

C’est simple, je tends aux alen­tours de 17–18, mais je m’adapte aussi car il y a des cordeurs qui tendent très forts. En général, suivant les condi­tions, je suis entre 15,5 et 18,5 max.

Ce sont des tensions rela­ti­ve­ment basses…

C’est vrai, mais c’est une tendance sur le circuit. Jack Sock, par exemple, est à 12 kg, [Mikhail] Kukushkin à 11. Avant, la moyenne se situait vers 24–25, ce n’est plus vrai­ment le cas.

Tu parles de régler ta tension, tu parviens vrai­ment à sentir la moindre différence ?

En fait, j’ai l’impression que je perds de la force d’année en année. Si ma tension est à 16,5 et que l’on me tend la raquette à 17, j’aurai l’impression que je ne passerai pas le filet (rires). À un demi‐kilo près, j’arrive à ressentir des diffé­rences énormes. Certains joueurs ne se posent pas beau­coup de ques­tions et arrivent à changer de raquette à chaque chan­ge­ment de balles, ce n’est pas mon cas.

Pour en revenir à ton atti­tude sur le court, on a vrai­ment l’impression que tu as du mal à te lâcher…

Je ne vais pas le nier. Après, j’ai un jeu qui est très tactique, je n’ai pas le physique et l’explosivité d’un Jo‐Wilfried Tsonga. Du coup, je dois compenser, je réflé­chis beau­coup lors d’un match. Il faut que je sois extrê­me­ment concentré sur ce que je fais. Il y a des joueurs plus exubé­rants que d’autres. Moi, je ne suis pas très expressif à la base donc cela se ressent sur le terrain assez logi­que­ment. Être trop extra­verti sur le court, cela nuirait à mon jeu, je le sais. Pour se lâcher sur les gros matchs, on a le temps, surtout une fois que l’on a remporté le duel.

Au final, tu as aimé cette interview ?

Je n’ai jamais dit que je n’aimais pas cet exer­cice, mais ce que je préfère avant tout, c’est être sur le court. Après, je ne vais pas me plaindre non plus car ma vie de joueur de tennis profes­sionnel, je l’adore !

L’avis d’un ami, Bastien Fazincani (coach sur le circuit WTA)

« Je le défi­ni­rais plutôt comme quelqu’un qui écoute beau­coup avant de parler. Il réflé­chit, il laisse venir, il analyse et attend le bon moment pour se lancer, un peu à l’image de son jeu en fait. Il ne parle pas pour ne rien dire ni pour donner la réplique ou faire plaisir aux autres. Tu peux très bien être assis avec lui sans échanger un mot pendant des plombes, mais ça ne veut pas dire qu’il ne t’apprécie pas, il n’a juste rien à dire donc il ne meuble pas. Pour moi, c’est une forme de sincé­rité que j’aime assez. Par contre, quand il te parle, c’est toujours inté­res­sant, juste, et souvent très drôle ! Sincèrement, les gens ne s’en doutent peut‐être pas, mais Adrian, à la base, c’est un mec incroya­ble­ment marrant ! J’ai beau­coup de souve­nirs de fous rires avec lui, certains lorsque nous étions très jeunes, et d’autres pas plus tard qu’à Monte‐Carlo cette année. En fait, tu ne peux pas t’engueuler avec lui, il est cool, il ne se prend pas la tête. Finalement, du mec que j’ai connu à 1617 ans en Futures, qui lançait des défis au mini‐tennis ou au ping‐pong après un bon McDo, au joueur aux portes du top 20 aujourd’hui, il n’a pas changé, c’est fou ! Il a juste arrêté le McDo, et ça c’était pas gagné ! »

Retrouvez gratui­te­ment et en inté­gra­lité le numéro 64, le dernier numéro de notre maga­zine GrandChelem… Bonne lecture !