« Incompréhensible », « dingue », « improbable ». Les qualificatifs ne manquaient pas pour caractériser l’issue de cette journée assez particulière, qu’un Ettore Scola aurait pu raconter. Rafael Nadal et Novak Djokovic reviendront terminer leur finale demain. Pourquoi ? Pour une histoire de décisions plutôt discutables…
« La télé ne dicte pas la programmation. Je n’entrerai pas dans les détails sur la manière dont nous programmons les matches chaque jour, mais, bien entendu, il y a des attentes des différents diffuseurs qui sont un des facteurs qui prévalent à l’organisation de l’événement au jour le jour, mais ce n’est pas le seul. Quand vous dites que nous savions tous l’heure à laquelle il commencerait à pleuvoir, ce n’est pas le cas, je ne le savais pas et si qui que ce soit est en mesure de nous dire à quelle heure il va pleuvoir le lendemain, je suis prêt à l’engager, car il va beaucoup nous aider ! Ce n’est pas aussi précis. Pourquoi n’avoir pas démarré plus tôt ? Vous pouvez imaginer que, bien que la télé ne dicte pas notre programmation, différentes dispositions sont prises des mois et des semaines avant l’événement pour ce qui est des horaires de démarrage, et vous ne pouvez pas tout modifier du jour au lendemain en disant aux diffuseurs à travers le monde : « Désolé, il va falloir changer votre grille, car nous changeons notre programmation sur un grand match. » Nous devons respecter les diffuseurs et ne pas changer tout à la dernière minute, notamment à cause des risques qu’il y a au niveau des prévisions météo. Non, nous ne pouvions pas démarrer avant 15 heures. »
Telles sont les premières explications avancées par Gilbert Ysern, Directeur de Roland Garros, en conférence de presse. Langue de bois, teintée de vérité. Oui, dans le cadre de relations avec des diffuseurs, il semble délicat de perturber une programmation mondiale. Oui. Néanmoins, les diffuseurs ne sont‐ils pas eux‐mêmes pénalisés ? 3h01 de match effectif, deux heures d’attente, entre interruptions et annulation finale. Avec, pis, le choix ou non des chaînes de diffuser demain, lundi, le reste de la finale, en lieu et place de programmes prédéfinis. Pour ces fameux diffuseurs, l’on ne nous fera pas croire que le report est la situation rêvée et tellement plus facile qu’un avancement de l’événement initial le jour même. De la même manière, quand Monsieur Ysern parle de prévision météorologiques, l’on ne peut s’empêcher de rire à mi‐voix. Au centre de presse, vous ne croiserez personne qui ne savait, dès le vendredi, que la journée du dimanche serait pluvieuse et qu’il faudrait jouer entre les gouttes. Le public lui‐même devait être au courant… A 19 heures, nous étions déjà tous persuadés que la rencontre ne pourrait reprendre ce soir. Nous avions même cette certitude dès la première interruption. Notre service météo serait unique et sur‐performant ? Non. Il faut croire que d’autres intérêts guident ces décisions. Et que ces intérêts sont loin d’être ceux tant du public… que des joueurs.
Une situation improbable indigne d’une finale de Grand Chelem. Qu’il n’y ait pas de toit sur le Court Central, c’est une chose – une chose, qui, à terme, cinq ans, devrait être réglée. Au dernier US Open, les problèmes de météo se sont invités à la fête, on s’en rappelle. Qu’il n’y ait pas de projecteurs ou la possibilité de jouer en soirée, là encore, c’est problème matériel. Assez incompréhensible, certes, lorsqu’on pense aux facilités impliquées en termes d’organisation – ce n’est pas un luxe d’imaginer qu’un match prévu le soir se termine… le soir. Mais que l’on force les deux joueurs, Rafael Nadal et Novak Djokovic, finalistes de cette épreuve du Grand Chelem, à jouer sous la pluie, ça nous paraît – comment dire ? – hallucinant. Ces gars sont joueurs de tennis, non ? Pas de water‐polo. Que Rafa se plaigne des balles, c’est logique et normalité, même si Messieurs Ysern et Fransson ont bien voulu nous expliquer que le Majorquin n’était pas plus fâché que ça. Les images du numéro deux, celles de son coach, nous prouvent le contraire. Selon eux, même Djokovic, peut‐être moins gêné par les conditions du fait de son jeu à plat et plus à même d’accepter de jouer sous la pluie à l’interruption puisque surfant sur une dynamique magnifique, même Djokovic trouvait « le court trop glissant ». Un court qu’il aurait peut‐être été utile de bâcher dès la première interruption, non ? Dire qu’à 13 heures, il ne pleuvait pas une seule goutte… Pas une goutte.
Bref, cette finale, un beau cadeau à l’origine et manifestement, puisque réservant un relatif suspens par son contexte et ses enjeux, semble gâchée par une course aux décisions les plus improbables. Il est franchement temps que Roland Garros se mette à la page. Qu’on fasse enfin concorder les intérêts économiques, ceux des joueurs et ceux du public. Qu’on cesse de répéter l’incompétence patente de décisions discutables. Qu’on ait, tout simplement, les pieds vraiment sur terre. Et une terre sèche, s’il vous plait.
Votre envoyé spécial, à Roland Garros.
Publié le dimanche 10 juin 2012 à 23:38