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Les huit visages de Federer

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Le numéro 31 du maga­zine GrandChelem est sorti. A l’in­té­rieur ? Un dossier sur le cordage et un autre analy­tique sur la sortie de « Roger, mon amour ».

Plus que 80 exem­plaires ! « Roger, mon amour », le livre tennis événe­ment sur Roger Federer, sortie novembre 2012, dispo­nible ici ! 

« Roger, mon amour », notre livre sur Roger Federer, c’est huit visages du Suisse, de sa personne et de son person­nage. Huit visages déclinés en huit chapitres : le lauréat, l’athlète, l’ami, le Suisse, le clan, le rival, l’icône et l’artiste. Quels sont‐ils ? Pourquoi nous touchent‐ils ? Explications rapides. 

Federer… le lauréat

Un cham­pion. Lorsque l’on cherche un mot pour définir Roger Federer, c’est forcé­ment celui‐ci qui nous vient à l’esprit. En‐dehors de sa sphère person­nelle, le Suisse est, aujourd’hui, « sans aucun doute, le plus grand cham­pion de ce sport », selon les dires de Rod Laver en personne. Il accu­mule et a accu­mulé les records de toutes sortes, records qu’il continue de battre à 30 ans passés – celui de Pete Sampras à la place de numéro un, effacé cette année, en est un témoi­gnage. Il a forgé son image de joueur de tennis sur la constance. Constance dans la perfor­mance, entre 2004 et 2007, puis un cran en‐dessous les années d’après, mais avec, toujours, une récur­rence de résul­tats, de titres et d’exploits – en 2011, il est encore celui qui met fin à l’invincible série de Novak Djokovic. Constance dans la présence, puisque s’il a été l’un des joueurs qui ont le plus dominé leur époque, c’est certai­ne­ment parce que son corps lui a épargné des bles­sures que n’épargnent ceux des autres. Constance dans le tennis, car il s’est construit, comme joueur, sur des fonda­men­taux qu’il a, quelques fois, ignorés, mais jamais oubliés – cet élan offensif, porté par ce coup droit fusil, tout en relâ­che­ment, dont la puis­sance est avant tout affaire de timing et de biomé­ca­nique que de physique body­buildé. Son choix de colla­bo­ra­tion avec Paul Annacone, qui l’a ramené à ses racines – service, coup droit, volée – l’illustre sans aucun doute. C’est ce qui fait de Roger Federer un « lauréat ».

Federer… l’athlète

« Quand Roger est arrivé sur le circuit, physi­que­ment, il n’était pas au point et il pouvait être encore nerveux. » Ce constat sans conces­sions, c’est Arnaud Clément qui le fait. L’Aixois connaît son sujet : il a battu Roger trois fois… dans ses jeunes années, en 1999, 2000 et 2001. Alors comment le Suisse s’est-il trans­formé d’un gamin capri­cieux en athlète hors normes, jamais blessé et maîtri­sant son calen­drier comme un horloger suisse règle sa pendule ? Certains diraient : en rencon­trant Mirka, source de raison et de prag­ma­tisme. Avant, il portait des jeans troués. Mais ça, c’était avant. D’autres : en affir­mant « je ne veux plus perdre », après une défaite au premier tour de Roland Garros 2003 face à Luis Horna. Pour Clément, la raison est toute autre et bien trop ignorée, la faute au lieu commun et à l’image insi­dieuse souvent répandue du génie inspiré sans labeur préa­lable : « Avec beau­coup de travail, de matu­rité et de réflexion, il s’est amélioré dans tous les compar­ti­ments du jeu. C’est en bossant, en restant déter­miné et en se posant les bonnes ques­tions qu’il a atteint ses objec­tifs. Il voulait être le meilleur et il s’en est donné les moyens à force d’entraînement. Je trouve ça très fort. On retient surtout de Roger qu’il est beau à voir jouer, mais les gens ne s’arrêtent pas assez sur les raisons de ce qu’il a réussi à mettre en place. » Le travail, la clef. Federer est un travailleur acharné, porté par la passion qu’il nourrit pour son sport. 

Federer… l’ami

« J’adorerais te détester, Roger, mais tu es trop sympa pour ça. » Andy Roddick est un témoin de choix pour aborder ce visage de Roger Federer. A l’issue de sa deuxième finale perdue contre le Suisse à Wimbledon, en 2005, Andy prononce ces mots qui peignent la réalité de beau­coup d’adversaires. Tout du moins ceux de sa géné­ra­tion, qu’il a pour­tant marty­risés et à qui il a certai­ne­ment refusé des carrières bien plus grandes. James Blake renchérit : « C’est vrai­ment un gars génial, on ne peut pas être plus relax que lui. C’est impres­sion­nant, il est telle­ment gentil. D’ailleurs, il a aussi cette atti­tude en‐dehors du court. On a eu l’occasion de jouer plusieurs matches d’exhibition tous les deux, en Asie, notam­ment, et on en a profité pour passer du temps ensemble, discuter et s’amuser. » Roger Federer est ainsi et renvoie une image de sympa­thie bonhomme, malgré l’éloignement qu’implique son statut de star inter­na­tio­nale. Il est l’ami de chacun de ses fans et ces derniers pour­ront faire leurs ces réflexions de Roddick et de Blake. C’est cette forme de naturel qui fait mouche. Oui, car il est autant capable de piquer un fou rire avec Rafael Nadal, comme en 2010, qu’avec un jour­na­liste de CNN, en 2009, voire avec ses plus jeunes admi­ra­teurs – la pizza partagée avec les ramas­seurs du tournoi de Bâle en témoigne. Marc Rosset, illustre compa­triote, approuve : « Il est capable de traverser une pièce bondée pour aller saluer un type contre qui il a perdu en Juniors. » Ce n’est pas un hasard… « J’aimerais qu’on se souvienne de moi comme d’un type sympa. » Dixit Roger.

Federer… le Suisse

« Roger Federer – et c’est méri­toire – a véhi­culé l’image d’une Suisse élégante, éprise de grands projets et large­ment de taille à les endosser sans néces­sai­re­ment chipoter ou s’excuser. Il a réha­bi­lité le besoin de se confronter à autrui, sans forcé­ment cultiver d’animosité ou de complexe. Petit suisse et fier de l’être. Label d’excellence, cham­pion exem­plaire, star sympa. » Christian Despont, jour­na­liste helvète et grand spécia­liste de son compa­triote, met en lumière une facette essen­tielle du person­nage Roger Federer, voire même de sa personne. Roger est Suisse ; et le succès qu’il a conquis, il y est parvenu grâce à cette « Swiss atti­tude ». Comme le confie Madeleine Bärlocher, sa première forma­trice, « en Suisse, on n’aime pas trop les têtes qui dépassent ». Sans aller dans le poncif, cette culture d’une forme de discré­tion imprègne et se dégage du cham­pion. Et cela joue clai­re­ment dans son image de star inac­ces­sible et, pour­tant, si proche de chacun d’entre nous. A tel point que certains lui ont reproché d’être trop… Suisse. Il faut recon­naître qu’il sait ménager la chèvre et le chou dans ses prises de posi­tion – Sergey Stakhovsky, un collègue, le regrette, à propos de la répar­ti­tion du prize money ou de l’égalité hommes‐femmes : « Roger est trop neutre à mon goût, il reste trop passif, car il ne veut pas écorner son image. » Cela l’a, néan­moins, servi tout au long de sa carrière. Suisse, lui‐même conseillé par un clan parti­cu­liè­re­ment suisse, en‐dehors de ses coaches : tout est maîtrisé, tout est millimétré.

Federer… le clan

Julien Jeanpierre est un témoin privi­légié de l’éclosion de Roger Federer. Pourquoi ? Cet ancien joueur fran­çais a été l’un des plus grands adver­saires du Suisse dans la caté­gorie junior. Il a pu constater l’évolution progres­sive du cham­pion. Et celle de son entou­rage. Avec une figure prin­ci­pale : Mirka. « Il est très bien entouré, surtout par sa femme qui, au départ, n’était pas très appré­ciée. Mais, en fait, c’est l’une des meilleures choses qui lui soient arri­vées dans sa carrière, après son premier entraî­neur. Elle gère formi­da­ble­ment bien tout ce qui entoure cette icône mondiale – car c’est une icône. » Roger Federer, c’est un clan construit autour de lui, dans lequel chacun possède une place et un rôle bien précis, de Nate Ferguson, son cordeur, à Pierre Paganini, son prépa­ra­teur physique, en passant par Paul Annacone, son coach. Un clan, avec des amis forts – Yves Allegro, Marco Chiudinelli – et une famille unie – Robert, Lynette et Diana, ses parents et sa sœur. Tout ce petit monde forme une galaxie qu’on préserve d’une manière quasi jusque‐boutiste. Exemple : Mirka est traitée d’opportuniste ? Elle ne s’exprime plus dès 2006. Rien ne filtre et les prises de parole sont régu­lées dans ce souci perma­nent. Mirka, d’ailleurs, en forme la pierre angu­laire, avec les deux jumelles. Elle est la lumière : « Dans les moments diffi­ciles, je consulte toujours deux personnes, Pierre (Paganini) et Mirka. Quand nous sommes réunis, une solu­tion surgit dans l’heure. » Et son bonheur : « Chaque jour où je me réveille à ses côtés, la vie prend tout son sens. »

Federer… le rival

« Sans Rafael Nadal, Roger Federer ne serait pas plei­ne­ment Roger Federer. Sans Roger Federer, Rafael Nadal ne serait pas plei­ne­ment Rafael Nadal. » Cette affir­ma­tion très souvent entendue, qui, dans le fond, est d’une grande bêtise, révèle, néan­moins, une forme de vérité : l’un et l’autre ont imprimé leur marque dans leur déve­lop­pe­ment respectif. Pour Federer, Nadal est la repré­sen­ta­tion char­nelle de la défaite, une person­na­li­sa­tion de l’échec. Ce gamin débou­lant de nulle part, qui le fait vaciller dans ses plus grandes années, jusqu’à le faire tomber en 2008, à Wimbledon. Jeune, Roger refu­sait la défaite. « Chacune d’entre elles était un vrai désastre », confirme Robert, le papa. Inconsolable, Federer allait jusqu’à rester prostré durant des heures sous une chaise d’arbitre, raconte Madeleine Bärlocher. C’est ainsi que Nadal a surgi, dans l’univers du Suisse, comme la résur­gence de ses plus vieux démons. Avec la matu­rité et la pater­nité, Roger en est sorti grandi. Quant à Rafa, il s’est forgé une téna­cité dans le sillage de son glorieux aîné. « Roger m’a rendu meilleur. Non en le regar­dant jouer ou gagner, mais par sa capa­cité et sa volonté de s’améliorer en perma­nence. En 2004, je pensais qu’il était le joueur parfait. Il m’a appris à ne jamais me contenter de mon niveau de jeu, à toujours aller plus loin. » Federer‐Nadal, duo plus que duel, qui tatoue les histoires qu’il raconte sur les peaux de toute une génération.

Federer… l’icône

Si Roger Federer est l’ami de chacun, c’est qu’il s’est, petit à petit, construit l’image d’une véri­table icône mondiale, d’une star dont on se fait un modèle et dont les inté­rêts œuvrent, en ce sens, avec ceux des grandes marques. « Federer n’est pas seule­ment le meilleur joueur de tennis. Aujourd’hui, il repré­sente beau­coup plus que cela. Quelque chose de beau­coup plus grand. Une personne qui renvoie une excel­lente image, qui présente bien, une personne qui se conduit avec classe et profes­sion­na­lisme. » C’est Greg Via, Directeur Marketing Sport de Gilette qui le dit. Mais le Suisse n’a pas toujours été un produit bankable, une force qui touchait les gens. Non. A ses débuts, la mayon­naise ne prenait pas. Il a fallu un retour chez IMG en 2003 pour que les choses évoluent. Tony Godsick, son agent, raconte : « Avant, il était un très grand cham­pion prove­nant d’un petit pays. Je me suis efforcé, ces cinq dernières années, de prendre ses meilleurs attri­buts, comme ses origines suisses dont il est fier, pour parvenir à une icône globale, à travers des parte­na­riats avec des spon­sors qui sont présents dans le monde entier et qui occupent un rôle de leader dans leur domaine. Nike, Rolex, Gillette, Crédit Suisse ou Lindt Sprüngli entrent tous dans cette caté­gorie. » La raison de ce succès ? Peut‐être une forme de sincé­rité. « L’argent n’est qu’un bonus pour moi », explique Roger « himself ». « J’aime vrai­ment jouer au tennis. C’était un rêve de devenir joueur profes­sionnel. »

Federer… l’artiste

« Federer a cette douceur, cette aisance qui le rend spécial. C’est un artiste si raffiné. Comme la danse vous trans­porte dans un lieu diffé­rent, Federer vous sous­trait à l’attraction terrestre. » Qu’ils sont doux, ces mots de Kathryn Bennett, danseuse au Royal Ballet de Flandres. Et qu’ils sont inspi­rants. Federer, l’artiste, c’est le visage le plus irra­tionnel du cham­pion suisse. Un langage qui s’adresse à l’âme plutôt qu’à la raison. Un langage d’émotion. Pour Pierre Barouh, auteur‐compositeur‐interprète, « la vraie élégance dans quelque domaine que ce soit, c’est qu’on ne sente pas l’effort ». « C’est vrai pour l’écriture, c’est vrai pour le chan­teur, c’est vrai pour les acteurs et Federer est exac­te­ment dans cette mouvance. » A ce titre, le relâ­che­ment du Bâlois dans chacun de ses coups – c’est éminem­ment remar­quable au service et en coup droit –, lié à l’utilisation de ses membres et notam­ment à la rota­tion de ses hanches, semble assez éclai­rant. Le port de tête égale­ment et ce regard fixé sur la balle, qui flotte pour­tant encore après l’impact, sans bouger d’un iota, ni suivre les réma­nences de sa frappe. C’est l’image d’un Federer loin­tain, de cette fameuse noncha­lance rêveuse. Pour Jean‐Paul Goude, « Federer, comme les cham­pions actuels, s’éloigne de nos pratiques ». « L’identification n’est plus possible. » Roger, lui‐même, se dit en quête de style, en quête d’une certaine idée du jeu et du plaisir. En quête.

A suivre : inter­views de Madeleine Bärlocher, Sam Sumyk, Franck Fernier, Laurent Blary, Romain Pino et Julien Benneteau.

Plus d’infos dans GrandChelem 31, « Road to Roger », dispo­nible ici !