Elevé et grandi complètement à l’extérieur du modèle fédéral, Anthony Dupuis pose un regard de vrai baroudeur sur un certain tennis français assis le cul dans le coton. Le ruffian nous révèle lors de l’Open Hippopotamus de Maisons‐Laffite ce qui fait la différence entre des affamés comme Novak Djokovic ou Tommy Robredo et les autres. Une devise à l’appui : être à 100% à l’entraînement.
Qu’est‐ce qu’un outsider ?
C’est quelqu’un qui n’est pas favori, mais qui peut créer la surprise en gagnant le tournoi.
Quel est ton match d’outsider type ?
Oh, c’est même pas un match, c’est quand j’ai gagné le tournoi ATP de Milan. Je n’étais même pas outsider, je n’avais pas gagné un match depuis 2 mois, j’étais le classement le plus bas du tableau. Ca c’est la dernière grande surprise.
Alors tu as toujours été en dehors du système fédéral, est‐ce que c’est bien ou pas ?
(Sourires) Non, je n’ai jamais pu comparer donc je ne peux pas dire. S’il y avait une seule façon de réussir, ça se saurait. Je pense qu’il y a des évènements qui séparent au moment de l’adolescence. Si on veut s’entraîner avec la fédération, qu’on est bien dedans, pas de problèmes. L’important, c’est d’être bien et d’avoir envie de s’entraîner.
Mais si on te proposait alors de rentrer dans une structure privée comme le Team Lagardère, qu’est‐ce que tu ferais ?
D’abord moi je travaille depuis 9 ans avec le même entraîneur et pour rien au monde je ne changerais. Et puis j’ai 34 ans, j’ai encore deux ans à jouer donc mes plus belles années sont derrière moi. Mais puisque tu me tends la perche, le seul truc que je regrette, c’est que les joueurs français n’aient pas la faim et l’envie personnelle de s’investir avec l’entraîneur qu’ils aimeraient avoir. Je pense qu’ils vont dans des structures où ils ont tout à domicile, où ils ne payent pas un centime et où ils sont même rémunérés pour s’entraîner. Mais certains sont avec des entraîneurs avec lesquels ils n’ont pas forcément envie de travailler. Je trouve ça super dommage.
C’est quoi le problème ?
C’est que si on n’est pas prêt à s’investir personnellement, on aura forcément des barrières.
Quelles barrières ? Le confort de la France ?
Exactement. On est assis le cul dans sa chaise. Et à partir du moment où on tombe dans le top 50, le top 100, on n’a plus faim. Et certains joueurs ont le jeu pour aller plus loin mais je ne lis pas la faim sur leur visage.
Mais nous, spectateurs, on peut voir ça à l’oeil nu ?
On va prendre un joueur super talentueux qui est français et on va le mettre en face de Djokovic. Et bien le joueur français n’a rien à envier à Djokovic, mais par contre y’en a un qui a faim, c’est Djokovic. Ca se voit tout de suite, et on n’a pas besoin d’y passer 15 plombes. Et le gars, il est déjà numéro 3 mondial. Il ne faut pas se croire arrivé quand on est dans le top 100 ou que l’argent débarque.
Mais qu’est‐ce qu’il se passe dans cette histoire de top 100 ?
Il y a des illusions : des sponsors, de l’argent. Mais tout ça c’est du vent. Quand on sait où on veut aller, ce genre de choses n’a pas d’importance. Je ne dis pas que c’est facile. Mais est‐ce que les joueurs français sont à 100% à chaque balle de l’entraînement ? Moi sur ce que je vois et alors qu’il y a plein de joueurs qui sont pétris de talent, je n’ai pas l’impression qu’ils donnent tout.
Quel exemple peux‐tu nous donner d’un joueur qui prend ce jeu au sérieux ?
Je vais te donner un exemple très simple. C’est le plus gros exemple, ça. A la Réunion, il y a 3 ans, avec mon entraîneur, on était à un tournoi qui avait lieu là‐bas. On avait décidé de faire une semaine de semi‐vacances et semi‐entraînement. Donc on faisait des journées de 5 heures ce qui veut dire des journées sérieuses quand même. Il y avait Robredo qui était là‐bas. Lui avait pris un beau chéque pour être là et il faisait des séances d’entraînement de 8 heures par jour. On arrivait pour jouer de 10h à 12h, lui ça faisait déjà une heure et demi qu’il faisait des gammes. Nous, derrière, on allait manger au buffet. Lui il bouffait deux kiwis. Et dans la foulée séance d’entraînement physique. Nous quand on avait fini, on allait glander au bord de la piscine. Lui il était avec un diététicien. Après il faisait une sieste et il reprenait comme nous à 16h, mais nous on arrêtait à 18h, lui à 19h. A 19 heures, il faisait renforcement musculaire, massage, étirements. Nous on était à l’apéro. Il terminait sa journée à 21 heures. Voilà : Tommy Robredo, 7ème mondial. Et il paie pas de mine, hein !
Publié le jeudi 15 mai 2008 à 06:23