Rongeant son frein depuis deux ans à cause d’une accumulation de pépins physiques, Jo Wilfried Tsonga a profité d’un bel été indien entamé par une victoire contre Hewitt au Queens pour sortir enfin sur le devant de la scène. Avec GrandChelem, le jeune espoir revient sur ces années de galère et explique comment on peut être un outsider au coeur du système fédéral.
Qu’est‐ce que ça veut dire outsider ?
C’est celui qu’on ne connaît pas, qui n’a pas encore fait ses preuves et qui va s’attaquer aux ténors.
Est‐ce que tu te considères comme ça ?
Pour l’instant oui, je me considère comme un outsider parce que je n’ai pas encore eu de gros résultats. Quand je serai dans les vingt premiers, je ne me considèrerai plus comme un outsider.
Le top 20, c’est un cap.
Je ne sais pas pour les autres, mais moi je me fixe des objectifs assez forts. Après on verra.
Est‐ce que ça dépend des tournois dans lesquels tu t’engages car tu peux être favori sur un Challenger et outsider sur un Grand Chelem.
Non, je ne mets pas de pression par rapport à ça. Il y a des Challengers où j’étais favori, je les ai gagnés. D’autres, je ne l’étais pas, je les ai gagnés quand même. Le top 100, c’est un premier objectif pour rentrer dans les grands tournois. Après il y a le top 50 pour rentrer dans les Masters Series.
Est‐ce que les deux années très dures que tu as traversées ont renforcé ta résolution d’outsider ?
Oui quelque part, ça a été un mal pour un bien. Ca m’a fait prendre conscience de pas mal de choses dans ma vie de tous les jours. D’abord je suis beaucoup plus professionnel.
Concrètement ça veut dire que tu faisais quoi avant que tu ne fais plus maintenant ?
Avant j’arrivais, je m’échauffais à la vavite et je rentrais sur le terrain. Maintenant j’ai compris que l’échauffement faisait partie d’un tout. Avant j’avais également tendance à tout donner. Même quand j’étais fatigué, je tirais sur la corde et je me mettais en danger. Aujourd’hui il y a des soirs où je suis capable de m’obliger à aller au lit même quand je ne me sens pas fatigué.
Et qu’est‐ce que tu appris personnellement avec cette attente ?
D’abord que dans la vie, il n’y avait pas que le tennis mais plein d’autres choses à découvrir sur cette terre. Ensuite ça m’a permis de me rapprocher de ma famille. C’est‐à‐dire que le tennis m’avait obligé à laisser une partie de mon lien avec ma famille et mes amis.
Ils étaient là quand tu avais des problèmes ?
Oui c’est justement là que l’on reconnaît ses vrais amis. Dans ces moments‐là on apprend beaucoup de choses entre ceux qui sont là par intérêt et ceux qui sont là pour toi.
Et pour ta copine, comment c’était ?
Comme elle joue au tennis, c’était plus facile pour elle de comprendre ce que je traversais. Je ne dis pas que c’était tous les jours « peace and love » mais c’est ça qui m’a permis de tenir pendant ces mois.
En référence à cela, est‐ce que tu peux nous dire dans ces trois derniers mois quel est le match où tu t’es dit « A partir de maintenant, ils vont voir le vrai Tsonga » ?
C’est allé très vite et je n’ai pas eu le temps de faire le point sur ces trois mois, mais pour tout dire je n’ai jamais quitté cette impression depuis 3 ans. J’ai toujours su que quand je reviendrai, je serai fort.
Ah oui ?
Oui, parce que j’avais des blessures, je revenais et je remportais des tournois, puis je me blessais à nouveau, et à chaque fois que je revenais je gagnais des tournois. Donc pour moi, c’est toujours allé très vite et ces six derniers mois ont été la suite logique de ce qui se passait depuis trois ans. Je dirais qu’au contraire c’est maintenant que j’attends le déclic.
Justement tu sens que ça bouge pour toi en ce moment au niveau médiatique.
Oui (sourires) – A tous les niveaux.
Tu saisis dans ces moments‐là ce que tu peux représenter pour le tennis, par ta couleur ?
Oui, mais c’est pas ça qui prime. La couleur, aujourd’hui, dans le sport…
Oui dans le sport mais dans le tennis français, il n’y a pas beaucoup de Noirs…
Oui (silence), il y a le dernier Français qui a gagné Roland‐Garros, y’a Gaël (Monfils), et puis y’a moi (sourires). Mais notre génération est quand même mieux représentée.
Pour revenir sur le terme d’outsider qui veut dire celui qui est dehors, aujourd’hui on est au contraire au CNE, au centre de la Fédération pour faire cette interview. Pourquoi tu ne pars pas dehors dans une structure privée ?
Moi j’ai envie de te répondre « Pourquoi je ne resterais pas là »
Alors pourquoi tu ne resterais pas là ? (Rires)
(Rires) Parce que je suis avec Eric (Winogradsky) et ça se passe très bien. Avec mon entraîneur physique, avec le staff médical. Avec les dirigeants du CNE, ça se passe également très bien. S’il y a des gens qui se sentent mieux ailleurs, tant mieux.
Est‐ce qu’il y a une question d’argent ? Tu sais bien qu’il y a des gens qui sont payés par des structures privées pour aller s’entraîner chez elles.
Non, moi, ça ne rentre pas dans mes critères. J’ai été blessé pendant ces deux dernières années alors la première chose qui compte, c’est est‐ce que je me sens bien, est‐ce que je suis heureux. Je suis bien ici donc je ne me suis même pas posé la question.
Est‐ce que tu comprends dès lors la pression que certains joueurs se mettent en jouant à Paris ?
Non, c’est quelque chose que je ne comprends pas. Moi j’y arrive en tant qu’outsider justement, donc c’est forcément bonus. Je ne comprends pas cette pression.
Mais est‐ce qu’on est pas un peu inconstant côté français ?
Oui on est inconstant, mais on est inconstant par rapport à qui ? Par rapport à Federer ? A Nadal ? Et les autres ? Roddick, il a des chutes de concentration et il a également du mal. Les autres ont tous du mal. C’est justement celui qui règle le mieux ces sautes de concentration qui devient numéro 1.
Quelles sont les choses qui te restent à travailler aujourd’hui ?
J’ai l’impression que j’ai tout à travailler (Rires). C’est ça mon problème. Ce que j’essaye de régler en ce moment, c’est le comportement, c’est être constant. Techniquement j’ai encore beaucoup de boulot. Et enfin il y a l’histoire d’expérience. L’expérience, c’est fondamentale
Publié le jeudi 15 mai 2008 à 06:22