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Nicolas Pietrowski

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« Le tennis masculin reste une mine d’or pour le tennis féminin »

Entraîneur fédéral, en charge de Leolia Jeanjean, jeune espoir de 12 ans,
Nicolas Pietrowski a bien voulu nous expli­quer certaines spéci­fi­cités de la forma­tion fémi­nine et du rapport de confiance à entre­tenir entre une joueuse et son coach. Très proche de Carlos Rodriguez, il a égale­ment pu suivre dans les coulisses toute la prépa­ra­tion finale de sa pouline Justine Hénin lors du dernier Roland‐Garros. Une vraie source d’inspiration.

Nicolas, ques­tion simple : est‐ce qu’une fille ça s’en­traîne comme un garçon ?

Moi je vais te répondre diffé­rem­ment. Le tennis féminin a la possi­bi­lité de regarder le tennis masculin, et je me dis que le tennis féminin du futur, il consis­tera peut‐être à faire ce qu’est capable de faire un Federer, un Nadal, un Djokovic. Donc pour nous, c’est une mine d’or. On se demande juste ce qui peut empê­cher une joueuse de produire du point de vue tech­nique et tactique ce que les hommes font. Je ne parle pas du physique parce que ce n’est pas compa­rable. Ce n’est d’ailleurs pas une ques­tion de compa­raison, mais une ques­tion d’évo­lu­tion. Le tennis féminin a évolué grâce au tennis masculin, à son habi­tude de créer du jeu, d’aller au filet. En tant qu’en­traî­neur c’est un très bon référentiel.

Mais pour­quoi ce référent‐là ? Parce que les joueuses qui sont en train de créer du jeu, Mauresmo ou Hénin, sont désor­mais numéro 1 mondiale ?

Oui, exac­te­ment. Ces filles créent de la surprise. En face les autres ont un jeu plus replié, plus stéréo­typé et entre deux joueuses de ce type, celle qui gagnera sera juste la plus forte menta­le­ment. La ques­tion pour Hénin, Mauresmo ou pour nous, c’est de se demander qu’est‐ce qui va gêner 80% des joueuses, hors du mental. Eh bien c’est ce style de jeu : varier les hauteurs, les effets, les trajec­toires, créer de l’incertitude.

Mats Wilander a critiqué le fait que les deux demi‐finales de Roland montraient que les filles comme Sharapova n’avaient pas de plan B si le plan A ne marchait pas.

Mais ça montre juste­ment la force de Hénin. C’est que sur terre elle a une telle emprise tech­nique et tactique sur tout le monde qu’on en arrive à ce point‐là. C’est grâce à son jeu qu’elle peut montrer qu’il n’y aucune chance, aucune porte de sortie. C’est juste­ment ça qui va faire avancer les autres filles, elles vont devoir trouver la parade avec leur entraî­neur et faire encore évoluer le
tennis féminin.

Qu’est‐ce qui gêne plus parti­cu­liè­re­ment les filles : un revers chopé dans les pattes ?

Voilà, exac­te­ment. Dés qu’une joueuse doit aller au filet, ça pose des soucis. Une balle dans le carré, il faut avancer dessus, la remonter et c’est problé­ma­tique. Mais atten­tion en face, il faut avoir la capa­cité tech­nique de faire cette balle courte et rasante. Si elle arrive à deux à l’heure dans le carré et monte au‐dessus de l’épaule, ce sera point gagnant pour l’ad­ver­saire. Et puis quand t’es les soeurs Williams, tu tapes telle­ment fort depuis partout que ce genre de varia­tion ne va pas te gêner. Quand on sert à 200 km/h, qu’on tape très fort depuis la ligne de fond, tu n’as pas besoin d’avoir une telle richesse tech­nique et tactique. Mais là on parle d’une fille, Justine, qui fait 1,67 m et qui est bien obligée de trouver une compen­sa­tion tech­nique pour contre­carrer le jeu des filles qui font 1,80 m.

Mais est‐ce qu’on peut encore faire aujourd’hui toute une carrière au sommet en ne jouant que du revers chopé comme Steffi Graf ?

Ca me parait diffi­cile. Pourquoi ? Parce que les joueuses sont capables de jouer beau­coup plus lifté, et je ne te cache pas qu’une balle très haute sur le revers, ça gêne. A cette époque, il y avait peu de joueuses capables de produire cette qualité de balle qui montait au‐dessus de l’épaule de Graf. Aujourd’hui beau­coup plus et ça devient tout de suite plus compliqué. Mais même chez les hommes, tu vois Federer en revers chopé sur le lift de Nadal, il va tenir un moment sur sa qualité tech­nique et puis il y a toujours un moment où il craque.

Finalement depuis Steffi Graf, c’est quoi les grands évolu­tions du tennis ?

Il y a eu une grosse évolu­tion dans l’ap­proche physique. Les meilleures joueuses ont toutes un prépa­ra­teur physique. Automatiquement cela a eu un impact sur l’évo­lu­tion tech­nique, tactique et mentale. Car quand tu te sens très forte, tu as un meilleur mental. J’ai la chance d’aller au Tenniseum de Roland‐Garros et de voir des matches entre Evert et Navratilova. On sent que l’in­ten­sité physique n’est pas la prio­rité. Aujourd’hui tu vois une Sharapova‐Hénin en demi finale à l’Open d’Australie, c’est tout de suite autre chose.

En tant qu’en­traî­neur de joueuses, qu’est‐ce que tu reprends de la philo­so­phie d’un gars comme le père Williams ?

J’ai d’abord un immense respect pour des gens qui sont capables d’an­noncer « Mes deux filles seront numéro 1 mondiales », qui le fait et pas une fois, deux ! Quand on est entraî­neur, il y a de l’hu­mi­lité face à ça. Maintenant ce qui me frappe souvent chez les grands entraî­neurs, c’est le fil conduc­teur. Ils ont un fil et il peut se passer n’im­porte quoi, ils n’en bouge­ront pas. Depuis 12 ans, il leur a dit « C’est comme ça que tu vas jouer, c’est comme ça que tu seras forte, j’ai une grosse confiance en toi et on ne change pas. Tu tapes, tu tapes, je ne sais pas quand ça rentrera mais un jour ça rentrera ».

Concernant Leolia Jeanjean, comment c’est possible de se projeter avec une jeune fille de 12 ans ?

Il y a beau­coup de jour­na­listes qui me posent cette ques­tion : où est‐ce que vous voyez Leolia dans 2 ans, dans 3 ans, dans long­temps, mais moi j’aime bien faire une distinc­tion. Mon boulot, c’est de me projeter, c’est de savoir ce que Leolia doit jouer comme tennis pour être numéro 1 mondiale dans 10 ans. Mais pour Leolia, ça doit rester un rêve, pas un projet. Alors moi je lui pose toujours la ques­tion : « Leolia, c’est quoi ton rêve ? Dans quel stade tu te vois jouer ? Est‐ce que tu te vois monter au filet ? ». Toutes ces questions‐là mais en rêve. Et quand elle me donne un rêve, mon boulot c’est de lui donner les moyens de l’at­teindre grâce à un projet.

Et quel est donc ce rêve ?

Ce qu’elle veut, c’est juste­ment un jeu complet. Elle veut savoir tout faire, monter au filet, faire des amor­ties. Elle adore expé­ri­menter. Elle aime combiner le beau jeu avec l’ef­fi­ca­cité. Tout le dilemme avec des joueuses qui ont un talent comme le sien, c’est de ne pas tomber que dans l’amu­se­ment et c’est ma respon­sa­bi­lité de garder cette joie de jouer tout en ayant des résultats.

Il y avait une inter­view excep­tion­nelle de Carlos Rodriguez dans Tennis Magazine qui parlait de son lien avec Justine Henin, est‐ce que ta bonne connais­sance de ce couple vous inspire ?

Oui, énor­mé­ment, et c’est là où il faut rappeler que chacun a sa destinée. Justine Henin a trouvé son fil conduc­teur en dehors de sa famille et à travers Carlos. C’est Carlos qui lui a permis d’ar­river à la première place mondiale. C’est un exemple que les parents doivent aussi comprendre. Il y a une option où ils vont s’oc­cuper de leur fille et trouver un fil conduc­teur. C’est le cas de Monsieur Bartoli que je respecte beau­coup et qui emmène Marion dans le top 10. Et puis il y a l’autre option où des parents doivent comprendre qu’ils ne savent pas forcé­ment faire et passer la main à un entrai­neur qui a ce fil conduc­teur. Moi il y a un mot que j’aime bien, c’est le pouvoir. Eh bien le pouvoir il est à la joueuse. C’est elle qui décide, c’est elle qui prend ses respon­sa­bi­lités, c’est ça qui fait qu’elle va être forte. Tu vas me dire « Ouais mais elle n’a que 12 ans ! ». Mais à cet âge on est déjà capable de verba­liser son rêve, et c’est impor­tant d’avoir l’im­pres­sion qu’on a toujours le choix. Moi ce que j’aime bien par exemple avec Leolia, c’est qu’elle me demande toujours « Pourquoi tu fais ci ? Pourquoi tu fais ça ? ».