Jean‐François Caujolle, Directeur de l’Open 13, de l’Open de Nice et de celui de Bruxelles, nous a reçus chez lui, à Marseille et nous a fait partager un peu de son univers improbable, entre franc‐parler, références à Sénèque et quête du plaisir. Après cinq années passées à la tête de Bercy et à l’occasion de la 20ème édition de l’Open 13, il confie, pour Welovetennis, ses satisfactions et ses rêves de créateur hédoniste accompli.
Organiser la 20ème édition de ton tournoi, ça doit te faire quelque chose, non ?
On pourrait en faire des tonnes, c’est vrai (rires), mais ce n’est pas dans ma philosophie et, à vrai dire, ça ne représente rien pour moi. Je ne suis pas marqué par la flèche du temps. Je ne suis pas passéiste, je vis dans l’instant présent. Ce qui n’empêche pas que beaucoup de choses se soient passées. Chaque édition est compliquée. Il y a des écueils de plus en plus élevés en fonction de la crise économique, du calendrier, des garanties données aux joueurs, de l’avènement des pays asiatiques et du Moyen‐Orient qui mettent beaucoup plus de moyens.
Quand tu as racheté le tournoi, quelle était ton ambition d’origine ?
Plus que d’ambition, on va parler de philosophie. Et, cette philosophie, elle est tournée vers le plaisir. Me faire plaisir de façon naïve et prétentieuse, mais aussi faire plaisir aux autres, aux passionnés, aux Marseillais et à nos futurs partenaires.
On arrive à faire tout ça avec un tournoi de tennis ?
Oui, comme on peut y arriver avec un événement culturel ou dans la relation à l’autre. Aujourd’hui, des milliers de personnes viennent voir du tennis en février, au Palais des Sports. Avec mon équipe, on a donc réussi à réunir deux choses qui comptent dans nos vies : Marseille – et le sud – et le tennis. Depuis que je suis tout petit, j’ai toujours rêvé de tennis…
D’accord, mais, là, on est chez toi et il n’y a pas un seul objet lié au tennis…
Et oui, comme tu le vois, je n’ai pas de coupes, pas de raquettes, pas d’affiches…
Alors quelle est vraiment ta relation au tennis ?
Je dirais qu’il y a eu deux étapes. La première, c’est la passion. J’avais 10 ans et demi, c’était un mercredi après‐midi. Je découvre ce sport et, le soir, je pleure dans mon lit. Je ne veux pas aller à l’école le lendemain, je veux jouer au tennis. Cette phase a existé tant que j’ai été amateur. Quand je jouais contre le mur, j’étais dans la peau de Roy Emerson. En plus, j’avais un professeur qui savait nourrir cette passion et qui m’a élevé au tennis presque comme un fils. Après, il y a eu la dure réalité de la carrière d’un sportif de haut niveau. Passer deux heures par jour à ne faire que ça, ça a été un petit choc. Un plaisir, aussi, mais paradoxalement une souffrance. A cette époque, c’était très ingrat, surtout si on compare notre statut à celui des joueurs d’aujourd’hui. Maintenant, on est beaucoup mieux préparé au passage d’amateur à professionnel. Les étapes sont mieux définies. Cette transition n’a pas été facile pour moi. C’est pour ça qu’on a souvent dit que j’étais un joueur marginal, voir fainéant, que je n’avais pas le niveau que je devais atteindre. Moi, j’estime ne pas avoir eu la force de caractère, ni la bonne préparation, pour aller plus haut que ce que j’ai accompli.
« On a souvent dit que j’étais un joueur marginal »
Avoir été ancien joueur, ça facilite le rôle d’organisateur ?
Evidemment. D’ailleurs, ce sont souvent d’anciens joueurs qui sont aux commandes des tournois. C’est le cas à Marseille, comme à Metz. C’est presque incontournable pour réussir. Les exemples de Gilles Moretton ou Patrice Dominguez le prouvent.
A l’Open13, l’organisation est familiale, beaucoup de tes proches travaillent à tes côtés. Pourquoi ?
Personnellement, je suis fier de cet esprit de famille qui règne au sein de notre équipe. Les 15 personnes qui travaillent n’ont pas le sentiment d’être dirigées ou commandées par un boss. Tout le monde a son autonomie. On revient à ce qui se passait dans les sociétés traditionnelles, où l’on naissait avec une fonction presque pré‐définie. J’ai besoin de ça ; je délègue au maximum. Mais, le souffle général, c’est moi qui le donne. Je connais bien les sensibilités des gens qui m’entourent et je m’efforce, chaque jour, de renvoyer un sentiment de confiance. C’est essentiel. Pas mal de personnes sont venues bosser à l’Open 13 et peu sont arrivées à s’adapter. Mais c’est aussi ça, notre force : on ne se considère pas comme des salariés, on est là pour se faire plaisir.
C’est quoi un Open 13 réussi ?
C’est celui où l’on a vu du grand spectacle, pas celui où le profit est le plus élevé. J’ai en tête une édition où Del Potro et Murray s’étaient retirés. Financièrement, ça avait été un bon bilan, puisque je n’avais pas eu les garanties à payer. Mais, sur le court et dans les tribunes, on n’avait pas vu cette étincelle habituelle…
Sur vingt éditions, il doit bien y en avoir une qui t’a marqué plus que d’autres ?
D’abord, je tiens à préciser une chose : si l’Open 13 est ce qu’il est, aujourd’hui, c’est, surtout, grâce à deux grands joueurs : Arnaud Clément et Sébastien Grosjean. Ces deux‐là ont toujours joué le jeu, notamment après l’épopée de 91, en Australie. A ce moment précis, le tournoi était remis en cause par les institutions. Leur fidélité et leur aura lui a donné une autre dimension et un boost incroyable. Une vraie légitimité. Avant nous, c’était IMG qui s’en était occupé pendant six ans, mais Patrick Proisy (NDLR : ancien Directeur de l’Open 13) ne pouvait pas faire les mêmes paris que nous, car il avait des comptes à rendre sur le plan financier. Dès qu’on a repris les rênes, j’ai compris qu’il fallait investir dans les joueurs. Donc, verser de belles garanties. L’année où j’ai racheté, on a emprunté beaucoup d’argent et on a investi de manière presque irrationnelle en doublant ou triplant les garanties. Et ça a fonctionné. On a été récompensé par la victoire de Lendl la première édition, celle de Becker, puis, ensuite, la présence régulière de Kafelnikov. Mais Roger Federer est aussi venu quatre fois, Nadal a été présent, tout comme Djokovic, trois années de suite. Mis à part les Australiens et les Américains, on a eu tous les plus grands.
On se rappelle qu’il y avait l’ambition de convaincre Federer pour cette année. C’était de l’info ou de l’intox ?
De l’info ! D’ailleurs, j’en ai une autre, puisqu’on discute, désormais, avec lui pour la prochaine édition. En 2013, ce sont les 20 ans du tournoi et dixième anniversaire de sa victoire à Marseille. Tout un symbole. Mieux, en 2013, Roger ne sera pas obligé de jouer les Masters 1000, il pourra s’aménager un calendrier sur mesure. La porte est plus ouverte qu’en 2012.
Ca veut dire que Roger Federer jouera encore au tennis en 2013…
Tu sais, d’après lui, il jouera même encore en 2015…
« Roger Federer est venu jouer quatre fois à l’Open 13, Nadal a été présent, tout comme Djokovic »
C’est possible d’installer une relation humaine avec les joueurs ou est‐ce qu’il n’est question que de chéquier ?
J’ai une vraie anecdote à te raconter pour te répondre : une année, Kafelnikov, qui a été souvent décrit comme un chasseur de primes, nous demande une wildcard. On la lui donne, parce qu’il n’était pas inscrit. La semaine d’avant, il gagne l’Open d’Australie… Autant dire qu’il aurait pu faire l’impasse, car l’Open13 se déroulait la semaine d’après. Il ne recevait aucune garantie chez nous, alors que, dans le même temps, il pouvait s’aligner à Dubaï où on lui proposait un très gros chèque. Et bien, il est venu chez nous et pas à Dubaï. Pour le remercier, on lui a offert une montre Daytona, gravée à son nom. D’ailleurs, à chaque fois que je le croise aujourd’hui, il me montre la montre – il la porte régulièrement. L’année d’après, on le fait venir avec une grosse garantie. C’est la fameuse époque où la mafia russe avait un peu pris en otage les grandes stars du sport. Il perd au deuxième tour. Résultat : la saison suivante, il décide de s’inscrire sans garantie. Je trouve ça surprenant… mais Yevgeny vient me trouver et m’explique : il est ici pour remporter le titre et réparer les péripéties de l’année précédente. A l’époque, il est numéro deux mondial. Ca résume bien les relations qu’on peut avoir avec les joueurs, des relations axées sur la simplicité.
Simplicité, s’il y a une garantie au bout…
Aujourd’hui, c’est clair que ça devient très dur d’avoir un joueur dans les 30 premiers sans garantie. A Rotterdam, où le tournoi est assez gigantesque, avec le plus grand village d’Europe, et bien, cette année, Richard Krajicek a choisi de miser sur Roger Federer et Juan Martin Del Potro. Du coup, son budget est limité pour les autres joueurs et, notamment, ceux du top 30. Ca va créer, logiquement, un tableau à deux vitesses. Voilà. Alors, effectivement, si l’Open 13 se trouve dans le trio de tête de l’ensemble des ATP 250 en termes de valeur sportive, ce n’est pas parce qu’il y a Jean‐Francois Caujolle ou la mer, mais parce que notre calendrier est très favorable et qu’on est généreux avec les joueurs et leurs garanties.
Ces garanties, tu ne trouves pas qu’elles sont trop élevées ?
Si l’on compare ce que gagnent les joueurs de tennis aux footballers, golfeurs ou basketteurs, ce ne sont pas les plus riches. Il n’y a que quelques tournois où ils peuvent faire de l’argent. D’ailleurs, un joueur doit savoir gérer ces aspects‐là pour ne pas commettre d’erreurs. Je pense, notamment, à Andy Murray, la saison dernière. Aujourd’hui, on ne peut pas se permettre de ne pas jouer pendant cinq semaines… Les joueurs ont besoin de jouer et de gagner des matches, c’est pour ça qu’ils ne viennent pas simplement pour toucher de l’argent. Sur ces questions‐là, moi, je n’ai aucun tabou. Cette année, je peux vous dire que je donne des garanties à sept gars.
« Je suis celui qui paie le mieux »
On a quand même l’impression que certains joueurs demandent beaucoup…
Peut‐être, mais je ne crois pas que ce soit trop. Maintenant, c’est sûr que je suis responsable d’un certain climat, car je suis celui qui paie le mieux. Il y a des tournois ATP 250 où le budget des garanties est limité à 300 000€. Moi, je suis plus proche de 700 000€ et ça ce sait. On est juste derrière Dubaï, Pékin ou Doha, à égalité avec Barcelone et Rotterdam. Mais encore loin de Halle… Cette année, là‐bas, il y aura Djoko, Nadal et Federer ! Un chèque d’environ trois millions de dollars…
L’économie d’un tournoi dépend beaucoup de la qualité des partenaires, non ?
La qualité et la fidélité, oui. A l’Open 13, on a de la chance, avec la BNP, Sodexho, Onet et tous les institutionnels, de la Ville de Marseille au Conseil Général. Eux nous suivent depuis le début. Je n’ai pas eu de turnover et c’est très rare dans ce métier. C’est aussi ça qui me permet de maintenir un budget de quatre millions d’euros, là ou les autres ATP 250 ne dépassent pas 2,5.
En fait, tu raisonnes plus comme un producteur de spectacles !
C’est ça, oui. Chaque année, je fais de vrais paris pour le casting, mais aussi pour la mise en scène. J’aime bien cette idée de spectacle ; d’ailleurs, c’est ce que j’ai fait à Bercy pendant cinq ans. Si je ramène Federer, par exemple, je ne ferais pas venir plus de monde – on est déjà complets à partir de vendredi. Et, les journées faibles, le lundi et le mardi, je ne vendrais pas plus de billets, car il ne jouerait pas avant le jeudi. En revanche… quel plaisir ce serait de le revoir sur le court !
Pourquoi ?
Parce que c’est Federer. Il m’impressionne. Il est formidable. Il a tout. Le pied, la main et l’œil. Le touché vient ensuite, mais n’est qu’une conséquence. McEnroe avait le même type de qualités. Donc j’aimerais me faire plaisir en le voyant évoluer encore une fois à Marseille et, ce, même si j’ai été comblé par son succès à Bercy, pour ma dernière année en tant que Directeur. Ca faisait cinq ans que j’attendais ce moment !
L’effet Jimbo
Jean‐François Caujolle est connu pour son duel homérique face à Jimmy Connors, alors 3ème joueur mondial, sur le Central de Roland Garros, en 1980*. Il revient, pour GrandChelem, sur cet événement, avec quelques révélations qui permettent de mieux comprendre comment le match a basculé.
« Tout le monde m’en parle, de ce match. C’est ma marque de fabrique, il me ressemble. Il pointe mes capacités, mais aussi mes faiblesses et, surtout, mon manque de responsabilité vis‐à‐vis de l’événement. Si je me suis lancé dans l’organisation de tournois, c’est peut‐être pour exorciser ça. Je tiens quand même à préciser que ce match a été entaché de deux fautes d’arbitrage assez énormes. Alors, il ne faut pas dire que le public était contre moi. On était mercredi, il y avait beaucoup d’enfants… De toute façon, je n’ai jamais su gérer le public. Quand je rentrais sur un court, j’avais toujours l’impression qu’il était contre moi. Ca a souvent été une souffrance. Ca devait être lié à un manque de confiance en moi et, plutôt que de chercher la solution, je me trouvais des excuses. Avant ce fameux match, j’avais réalisé une belle saison sur terre, j’étais en forme et, Connors, je l’avais dominé à Monte‐Carlo. Comme ce mec avait le don de la provocation, il est allé jusqu’à donner une conférence de presse à son arrivée, à Orly, juste avant Roland. Là, quand on l’interroge sur son objectif pour le tournoi, il répond : jouer Caujolle. Ses vœux furent exaucés… Et, pourtant, je mène 6–2 6–3 5–2. Tous les points sont vraiment accrochés. Ma première balle de match sort de rien. Sur le jeu suivant, à 30‑A, je sers un ace. Connors conteste et montre une autre marque. Je passe alors le filet pour montrer la bonne à l’arbitre. Et c’est là que le public commence à siffler. Je me souviens aussi que l’arbitre initialement prévu avait eu une indigestion. Du coup, c’est un vieux monsieur qui l’avait remplacé… Connors l’a complètement terrorisé, notamment quand il montait sur la chaise pour lui expliquer qu’il se trompait. On ne pourrait plus voir ça, aujourd’hui ! Bref, le match a tourné… et je l’ai perdu. Ce qui est drôle, c’est je l’ai de nouveau croisé l’année d’après**, au troisième tour. Il m’avait insulté tout le match et m’avait fait un doigt ! (Rires) Et, le plus marrant, avec le recul, c’est que personne ne se rappelle qu’il s’agissait juste d’un deuxième tour. Alors, quelques fois, j’en profite… Je m’invente une demi‐finale… (Sourires) »
*Jimmy Connors bat Jean‐François Caujolle, 3–6 2–6 7–5 6–1 6–1, Roland Garros 80, R64
** Jimmy Connors bat Jean‐François Caujolle, 6–0 6–2 6–0, Roland Garros 81, R32
La raquette de Jo‐Wilfried Tsonga, c’est ici !
Publié le lundi 20 février 2012 à 16:38