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Madeleine Bärlocher : « J’ai toujours su que Nadal aurait plus de mal que Federer sur la longueur »

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Roger Federer célèbre ses 40 ans ce dimanche 8 août 2021. Nous avons donc décidé à notre manière de lui rendre hommage.

En novembre 2011, nous avions édité le livre « Roger, mon amour », qui a été un vrai succès avec plus de 6000 exem­plaires vendus. Pour faire une vraie promo­tion de cet ouvrage qui nous avait demandé forcé­ment beau­coup de travail nous avions décidé de comprendre l’en­fance et l’ado­les­cence du cham­pion suisse. 

Nous étions donc allés à Bâle, sur ses terres, pour rencon­trer Madeleine Bärlocher,  qui l’a formé en premier en tant que joueur de tennis de 1989 à 1995.

L’entretien complet, dont nous vous propose un extrait ci‐dessous, a été publié dans le numéro 31 de notre magazine.

Pourquoi Roger est venu dans ce club, le TC Old Boys de Bâle  ?
Roger est arrivé ici à huit ans grâce à sa mère, Lynette. Elle y jouait déjà et parti­ci­pait aux matches par équipe. Un jour, elle est venue me voir pour savoir si son fils pouvait inté­grer le club. Elle avait été impres­sionnée par le programme Junior. Avant, Roger jouait sur les courts de l’entreprise de ses parents (NDLR : Ciba, ex‐Novartis).

Lynette espé­rait que Roger puisse réaliser une grande carrière profes­sion­nelle en l’inscrivant ici  ?
Non, ses parents ne l’ont jamais poussé. C’est toujours Roger et Roger seul qui a dit vouloir devenir profes­sionnel. A huit ans à peine, il parlait déjà de devenir numéro un… Il en parlait même à ses copains. Moi, je n’y croyais pas. D’autant qu’en Suisse, à cette époque, il n’y avait pas de très, très grands joueurs. C’était la fin des années 80, avec Marc Rosset, Jakob Hlasek… Mais c’est tout. Oui, à l’époque, on n’imaginait pas qu’il irait aussi loin. Si je l’avais su, je l’aurais certai­ne­ment regardé de plus près.

Mais il y avait d’autres jeunes – certains plus forts que lui.  Wimbledon le faisait déjà rêver  ?
Remporter Wimbledon, ça a toujours été son truc. Même quand il était tout jeune. Je me rappelle d’une anec­dote… Lors d’un entraî­ne­ment, je regar­dais Roger jouer et un point m’avait marqué. Il doit faire face à un lob, il se recule et claque un smash gagnant. Tout content, il me dit : « Un jour, grâce à ce smash, je gagnerai Wimbledon ! » Et, lors d’une de ses finales à Londres, je me souviens l’avoir vu réaliser à peu près le même smash sur une balle de match… Ça m’a fait rire, c’était juste incroyable.

C’était un enfant capri­cieux  ?
Non, pas chez moi, il n’osait pas agir comme ça. Par contre, par la suite, adoles­cent, et surtout quand il est parti au centre d’études d’Ecublens, il s’est mis à beau­coup pleurer et devenir capri­cieux. A Bâle, il a très vite progressé. Du coup, il était satis­fait. Ensuite, lorsqu’il a commencé les tour­nois impor­tants, il ne progres­sait plus aussi vite. Du coup, il se frus­trait sur le terrain et jetait souvent sa raquette. Sinon, il a toujours juré, mais, bon, c’est le lot de tous les jeunes.

Comment vous le carac­té­ri­se­riez  ?
Souriant, atta­chant… Mais il avait, quand même, toujours envie de faire des bêtises, des blagues. Je m’en souviens d’une, parti­cu­liè­re­ment. Lors d’une rencontre inter­club, en atten­dant son tour de jouer, il s’était caché dans un arbre. Le problème, c’est qu’on l’avait cherché partout… Impossible de le retrouver ! Il adorait ce genre de blagues. Il adorait s’amuser. Il est parti à Ecublens vers 13 ou 14 ans. Je sais que ça a été très dur, au début. Il fallait s’adapter à une nouvelle région, une nouvelle vie et s’exprimer en fran­çais… Sa mère me racon­tait qu’il a beau­coup pleuré les premiers mois. C’était très compliqué psycho­lo­gi­que­ment. Et ça a été, pour nous, un déchi­re­ment de le voir partir du club. Il était telle­ment adorable… Il était apprécié de tous… 

Il avait déjà le même jeu qu’aujourd’hui, en termes de tech­nique  ?
Oui, complè­te­ment. Et il appre­nait vite. Lorsque Seppli (Kacovski, son premier entraî­neur) lui ensei­gnait un nouveau coup, il savait le réaliser tout de suite, alors que les autres enfants avaient besoin de deux semaines pour le comprendre et le faire correc­te­ment. D’ailleurs, Seppli disait qu’il avait déjà un talent fou. Il avait l’impression qu’il était né avec une raquette entre les mains… C’est clair, mais on ne pouvait pas prévoir le futur et le destin qu’on lui connaît désor­mais. On ne pouvait pas prévoir qu’il serait numéro un. Beaucoup de jeunes très talen­tueux n’ont jamais vrai­ment percé. En plus, à l’époque, Roger n’avait pas que le tennis dans sa vie. Il adorait tous les sports de balle. Il jouait aussi au basket, au foot… Je disais à tous les Juniors de faire autre chose que du tennis.

Vous êtes restée en contact avec lui, au début, lorsqu’il a explosé au plus haut niveau  ?
Oui. Mais j’ai surtout gardé beau­coup de contacts avec ses parents, sa mère, notam­ment. Lorsqu’on orga­nise des tour­nois pour les Juniors, Lynette nous donne toujours des tee‐shirts et des acces­soires pour consti­tuer les lots des enfants.

Vous aviez une rela­tion parti­cu­lière avec Roger  ?
Non, pas plus que cela. Vous savez, il faut faire atten­tion avec les jeunes. C’est impor­tant de se comporter de la même façon avec tout le monde. Par contre, il se distin­guait des autres enfants, car il avait la gagne. Il détes­tait perdre. On sentait qu’il était ambi­tieux. Je me souviens de l’avoir vu pleurer plusieurs fois lors des rencontres par équipe. Il était couché sur le court. Impossible de le consoler, alors que tout le monde pensait déjà à autre chose.

Quand vous le regardez jouer à la télé, vous ressentez quelque chose de parti­cu­lier  ?
Oui, spécia­le­ment à Wimbledon. Quand j’étais Junior, j’y avais joué… Comment expliquez‐vous qu’il ait été aussi agité, plus jeune, alors qu’il semble telle­ment calme sur le court, aujourd’hui… C’est grâce à Mirka…

Vous la connaissez bien, Mirka  ?
C’est un peu un mystère pour nous tous… Elle est venue au club parti­ciper à des tour­nois, elle venait jouer aussi avec des copines. En fait, ils s’étaient déjà vus avant les Jeux Olympiques de Sydney. 

Il la regar­dait déjà un peu à cette époque  ?
Oui, peut‐être… On l’ignore. Il était surtout concentré sur le tennis. Aujourd’hui, c’est Mirka qui gère tout. 

C’est elle qui l’a changé en quelqu’un de calme  ?
Oui. En ce temps, seul Peter Carter pouvait vrai­ment le calmer. Roger et Peter s’entendaient très bien. Carter l’a beau­coup aidé et bien formé au niveau tactique, notam­ment pendant les compé­ti­tions. Son expé­rience du circuit et son niveau de jeu lui ont beau­coup apporté. Peter amenait de la séré­nité. D’ailleurs, il parve­nait à calmer tous les Juniors. Roger a beau­coup appris à ses côtés, dans la gestion de ses matches, car c’est Peter qui l’accompagnait sur les tour­nois. Ensuite, il est même parti au centre d’études de Bienne où s’entraînait Roger. Ils ont continué à évoluer ensemble sur les Challengers et les gros tour­nois juniors. Roger a toujours été très peu blessé dans sa carrière. 

Nadal va jusqu’à dire qu’il possède un physique idéal. Qu’est-ce que vous en pensez  ?
J’ai toujours su que Rafa aurait plus de mal que Roger sur la longueur. Rafa a un jeu qui fait forcer le physique, car il a des coups et une manière de jouer qui mettent à rude épreuve son physique. Pour en revenir à Roger, il ne faisait pas beau­coup de travail physique aupa­ra­vant, et, à cette époque, sa carrière ne décol­lait pas vrai­ment. Mais, avec Peter Lundgren, les exer­cices physiques ont été plus intenses et pris au sérieux. On a vu rapi­de­ment la différence ! 

Lorsqu’il était au club, il restait après les entraî­ne­ments  ? Il tapait la balle contre le mur  ?
(Rires) Oui, il restait… Il restait pour jouer aux cartes avec ses amis. Il jouait au Jass ! 

Qu’est-ce que c’est que ce jeu ?
C’est très semblable à la belotte. Roger donne l’impression d’être une star très profes­sion­nelle, loin­taine et ultra protégée et, en même temps, dans l’intimité, quelqu’un de facile d’accès, un rigo­lard… un grand enfant  ! Il a toujours été comme ça, même à la maison. Mais je lui ai toujours demandé de bien se tenir sur le court. Par contre, il avait vrai­ment du mal à accepter la supé­rio­rité de l’adversaire. Il ne pouvait pas accepter que son adver­saire réalise un joli point. Il pouvait jurer. Sur le court, il jouait sérieu­se­ment, il lais­sait les blagues à l’extérieur. Je pense qu’il a hérité ça de sa mère. Je me souviens aussi qu’il s’était teint les cheveux en blond, une fois… C’était à l’époque de sa victoire à l’Orange Bowl. Après son titre, je l’avais croisé au club. Comme d’habitude, il jouait aux cartes avec ses amis. Je lui demande d’enlever la casquette qu’il a sur sa tête… mais il ne voulait pas, car il avait trop honte ! 

Pourquoi il s’était teint les cheveux  ?
Il avait fait un pari  ! Il faisait souvent des paris… Qu’est-ce que vous pouvez nous dire de sa famille  ? En ce qui concerne le père de Roger, Robert, il était toujours en retrait et venait rare­ment voir son fils jouer. Son boulot l’obligeait à voyager énor­mé­ment. Quant à Diana, sa sœur, elle jouait aussi au club, sans être membre. Mais elle parti­ci­pait tout de même à de petits tour­nois. Par contre, elle était moins douée que son frère… Elle préfé­rait l’équitation ! Et Lynette  ? Oui, elle ne jouait pas mal. Elle faisait partie de l’équipe senior A. Elle a été cham­pionne de Suisse avec cette équipe. 

Que repré­sente Roger pour la Suisse  ? C’est un héros national  ?
Roger est apprécié de partout dans notre pays. Il y a beau­coup de rencontres de Coupe Davis à Lausanne, Neufchâtel ou Genève et les salles sont toujours pleines pendant tout le week‐end. Ça m’a gêné une ou deux fois qu’il ne parti­cipe pas à cette compé­ti­tion, d’ailleurs, la Coupe Davis. Mais, au début de sa carrière, il a toujours répondu présent. Néanmoins, je pense qu’en Suisse, il n’est pas autant consi­déré qu’aux USA, par exemple. On nous le dit souvent. Quand des Américains viennent ici, ils sont surpris que l’on ne fasse pas plus de choses autour de Roger. Aux Etats‐Unis, si un Américain gagne, c’est normal. Ici, en Suisse, on a moins l’habitude et c’est toujours incroyable de voir qu’un des nôtres ait pu réussir autant. Mais on n’aime pas non plus la démesure.