Pendant une semaine, elle n’a pas voulu parler, elle s’est retranchée auprès de sa famille, elle a préparé sa défense, elle a fait analyser un de ses beaux cheveux blonds, elle a appelé Jean Gachassin pour lui expliquer ce qui s’était passé, mais elle ne pouvait pas tout lui dire. Evidemment. Il fallait attendre. Mais une semaine s’est écoulée et Apolline est en mesure de vous révéler ce qui s’est passé le 27 mars dernier à Miami avec Richard Gasquet.
Commençons par l’aspect documentaire de ce papier. Apolline va rappeler deux, trois petits faits historiques pour planter le décor. Il y a 12 ans, Laurent Trupiano et Apolline Céleste se sont rencontrés par Internet. Non pas sur Meetic qui n’existait pas encore, mais sur le Sportif Déchainé, site crée par le sieur Trupiano, site culte puisqu’il fut le premier média d’info sportive sur l’Internet français avec déjà à l’époque une ligne éditoriale qui a scellé l’amitié entre les deux comparses : un Canard Enchainé du sport. Des textes de fond, engagés, passionnés, contre‐pied, qui ont marqué les internautes pionniers et si on rappelle cela, c’est qu’Apolline prend ses plus vieux et fidèles lecteurs à témoins : elle ne se souvient pas d’une seule semaine sans que le Sportif Déchainé ait signé au moins un texte sur la question du dopage. C’était une période où le couvercle de l’omerta sur les pratiques du haut niveau était en train de sauter dans un certain nombre de sports‐phare : le cyclisme, le football, l’athlétisme. Un grand spécialiste y construisait sa réputation sur une connaissance encyclopédique, presque obsessionnelle de la question : le docteur Jean‐Pierre de Mondenard. Il n’a pas baissé pavillon depuis. Il reste intraitable. Apolline l’embrasse sur les deux joues. Mais lui ne la suit pas dans sa chambre. Intraitable, elle vous le dit, le doc’.
Outre un grand fait d’armes, une interview de deux heures de Daniel Baal, le président de la fédération française de cyclisme, pour le Sportif Déchainé TV (programmé sur la défunte Canalweb de Jacques Rosselin. Sniff, toute une époque) où nous avions poussé le bon président Baal au fin fond de ses plus intenables paradoxes, Apolline avait également eu une entrevue de trois heures avec l’affable Philippe Bouin où de façon fort diplomatique, nous étions tombé d’accord pour dire que nous nous trouvions à l’exact opposé sur la question de l’exemplarité du sport. Philippe Bouin ne comprenait pas qu’on demande aux jeunes champions d’être plus exemplaires que la société dans laquelle ils vivaient. Les politiciens s’y dopaient, les artistes s’y droguaient, les Français étaient champions du monde des anxiolytiques, pourquoi attendre d’un gosse de 23 ans qu’il soit plus exemplaire que les autres sous prétexte qu’il était un sportif. Apolline pensait exactement l’inverse. Toute l’affaire du sport, tout le respect que le public a pour les sportifs, toute la fascination qu’il peut porter jusqu’à la fin de sa vie pour un champion, repose sur un contrat de confiance entre le dit champion et le public. C’est par un mental hors pair, un talent exceptionnel, une capacité de travail unique, et donc un florilège de qualités naturelles, entretenues par des pratiques abordables humainement, mais que le commun des mortels ne peut soutenir plus de 15 minutes, que nous appelons le champion « champion ! ». Dans cette acception, il va sans dire que ce héros ne peut pas tricher sur les conditions de sa performance : il n’a pas le droit de se doper, il n’a pas le droit de se droguer. Sinon nous ne pouvons pas l’admirer, nous ne pouvons pas nous emballer, lui faire de statue, nous ne pouvons même plus parler du sport qu’il représente, nous ne regardons même plus ce sport. Apolline ne regarde plus ni le cyclisme, ni l’athlétisme, et de moins en moins de football parce qu’elle n’y croit plus. Le champion a par contre le droit de fumer ou de boire un petit coup de jaja. Certes tout dopage n’est qu’une question de dosage, et l’alcool et le cannabis sont des adjuvants qu’il ne faut jamais sous‐estimer, mais qu’on soit bien clair, le dopage comme il est pratiqué aujourd’hui, c’est pas avec une tirette de chichon, ni un coup de cognac qu’il se fait, c’est avec du lourd, avec du chimique programmé, avec de la fenêtre de tir. Si néanmoins Apolline vous précise encore ça, c’est que même là‐dessus, la fumette et la piquette, Laurent Trupiano et elle ont une petite tolérance des pratiques de l’époque, mais certainement pas celle de trouver ça génial. Un sportif, c’est un exemple de santé, et donc un sportif de haut niveau, ça fume pas et ça boit pas. Ca fumera et ça boira peut‐être quand tout ça sera fini, mais quand on est en pleine activité, les champions se doivent d’être inattaquables sur ces questions‐là. Pour vous situer même où les deux compères du Sportif Déchaîné, de Sport24, de GrandChelem et de Welovetennis peuvent pousser la question de l’exemplarité. Quand on fait du sport, on fume pas et on boit pas, mais ça vaut aussi pour ceux qui écrivent sur le sport, qui travaillent dans le sport, qui vivent du sport. Outre le problème de l’alcoolisme et de la fumette qui a lui aussi lourdement infusé le monde du journalisme, sachez que les fondateurs de ce site ont refusé il y a deux ans de monter un autre projet de journal gratuit avec une société d’édition qui avait pignon sur rue mais dont une réunion de trente minutes avec les deux responsables nous avait permis de comprendre que ces deux‐là ne pouvaient pas clore une journée sans se faire un petit joint sur le balcon. Vous aurez compris l’intérêt de cette rétrospective : chez GrandChelem‐Welovetennis, on n’est pas trop le genre à trouver des circonstances atténuantes à des mecs qui se dopent ou qui se droguent, même une seule fois, ici Richard Gasquet.
Enchaînons avec l’aspect journalistique de ce papier. Quand elle a reçu par SMS l’info « Gasquet contrôlé à la cocaïne », Apolline a tout de suite compris qu’il fallait rentrer dans le mode « patience », la fermer à double tour et attendre. Elle a effectivement vu se déverser la tonne de commentaires des lecteurs sur le site. Beaucoup de grosses bêtises, quelques menues réflexion, deux‐trois liens intéressants sur des tentatives de pistes évoquées par d’autres médias, mais finalement la même zone d’ombre que l’ensemble du milieu du tennis sur ce qu’il s’était passé dans la fameuse soirée du vendredi dans un club de Miami, le bien nommé Set. A force néanmoins de s’obstiner sur cette zone d’ombre, le monde du tennis oubliait de lire, de relire et de relire encore le premier et seul communiqué de Richard Gasquet quand il tombait sur nos prompteurs : « Compte tenu de la complexité de ce dossier, je réunis actuellement les preuves de mon innocence et fixerai le moment opportun pour m’exprimer ». Ce communiqué était accompagné de l’information selon laquelle Gasquet avait déjà diligenté un contrôle capillaire pour démontrer qu’il n’était pas un cocaïnomane. La ligne de défense choisie par les avocats du champion était donc claire. Elle indiquait même que le joueur et son entourage avaient déjà préparé cette stratégie depuis quelques jours. En gros et comme premier message pour les futures instances qui le jugeraient, Gasquet disait : oui j’ai pris de la cocaïne, mais je ne suis pas un consommateur, pas du tout, du tout, du tout. Et le terme de « complexité » laissait déjà entendre que Richard Gasquet allait essayer de démontrer qu’il n’était pas entièrement responsable de sa boulette, que c’était plus compliqué que ça.
Après ce communiqué, rien. Rien pendant quatre jours. Une polémique sur la dose retrouvée dans les urines, sujet micro passionnant et nano utile à part pour entériner que le taux correspond bien à l’équivalent d’un rail de cocaïne pris la veille du contrôle. Plus rien donc jusqu’à ce que le président de la Fédération, Jean Gachassin, s’exprime et finalement lâche tout, enfin presque tout : « D’après ce qu’il m’a dit, il s’est fait avoir. (…) Il a fait sans doute une troisième mi‐temps un peu difficile. Il a dû se faire avoir, je ne sais pas comment ni dans quelles circonstances. Je ne peux pas en parler et il n’a pas voulu le dire. C’est d’ordre privé. Il savait qu’il ne jouait pas, il s’est laissé aller… « . Reprenons cette déclaration pas à pas. « Il s’est fait avoir », confirmation est donc faite que Richard Gasquet ne nie pas qu’il a bien consommé de la cocaïne mais qu’il l’a fait dans une circonstance où il a été victime de la situation. Victime de quoi ? Gachassin répond « Je ne peux pas en parler et il n’a pas voulu le dire. C’est d’ordre privé ». Question simple d’Apolline : de quoi un homme peut‐il se dire victime mais dont il ne veut parler car cela relève de l’ordre privé ? Vous l’avez compris, si vous voulez éclairer l’affaire Gasquet, rembobinez le film et cherchez la femme.
On est le vendredi 27 mars 2009 à Miami. Richard Gasquet doit jouer son premier match contre Albert Montanès. Mais il souffre toujours et encore de son épaule. Une IRM passée le vendredi confirme qu’il ne sera pas en mesure de défendre ses chances le lendemain. Richard Gasquet ne jouera pas le tournoi de Miami ce qu’il déclarera officiellement le samedi en présentant aux autorités de l’ATP les preuves de son incapacité physique. Tournoi terminé, il peut donc aller faire une bonne soirée avec les français de passage, et tiens, super plan, aller assister au concert du DJ Bob Sinclar, de faction au fameux Set, discothèque hype du quartier de South West. Richard Gasquet s’y rend avec ceux qui seront les seuls témoins français de cette soirée. Ils ont pour nom Thierry Champion, Christian Audigier, entrepreneur et designer, et une équipe de Paris Dernière. Si ni Thierry Champion, ni Christian Audigier n’ont tenu à revenir sur cette nuit, l’Equipe Magazine a fait parler un membre du staff de Paris Dernière qui n’a pas été franchement marqué par l’omniprésence de Richard Gasquet une fois la soirée entamée. Des photos du lieu en effervescence ont été prises qui ne font jamais apparaître le Français, alors qu’on reconnaît Thierry Champion sur l’une d’entre elles entourées d’un essaim de jeunes gratteuses de nuques aux attributs particulièrement gonflés. On joint d’ailleurs ici le lien des photos de la soirée pour bien situer de quelle faune on parle, sinon on ne peut pas comprendre ce qui va suivre. On pourra y faire défiler la centaine de photos qui capture de face ou de profil tout l’étal des poissonnières déguisées en disco bitch, on ne trouvera aucune trace de Gasquet. Richard est bien l’homme invisible comme nous l’avions décrit dans la parabole des 4 Fantastiques. Où peut‐il donc être passé dans un tel aquarium ?
C’est là que démarre l’aspect fictionnel de ce papier. Apolline a essayé de le traiter avec humour. Toute ressemblance avec des personnages ayant réellement existé serait purement fortuite. Ne cherchez pas la vraisemblance dans ce qui va suivre. C’est parce qu’il y a fiction qu’il y a bingo.
Quand Richard Gasquet est arrivé au Set, Apolline lui a foncé droit dessus. Enfin elle l’a fait comme le font toutes les Apolllines, elle lui a foncé dessus tout en lui faisant croire que cette rencontre à cet endroit‐là à ce moment‐là était un hasard total. Et si ce jeune homme avait la plus petite parcelle de doutes sur ses intentions, Apolline avait quelques arguments pour lui faire passer les vents du destin pour les voiles légères de la coïncidence : grande, blonde, gros seins, belles cannes, elle avait déjà pesé et emballé pas mal de sportifs aux dents écartés sur cette phrase que sa bouche pulpeuse savait répéter comme personne : « You’re french, aren’t you ? Porlez vous froounnçé ?». La cible était accrochée radar, tenue par le bout de la queue, le point le plus stable chez un homme. Derrière ça, le désir faisait sa petite affaire, simplifiant les questions. Rester dans un des carrés du Set ? Aller où ? A ton hôtel ? A mon hôtel ? Dans la villa de tes copains ? Dans celle de mes copines ? Qu’importe, vite un lieu privé, discret, pour nous aimer dans les creux et les bosses. Là, Apolline a montré à Richard deux, trois petites virtuosités qu’elle savait enchaîner sans les mains, certes pas aussi brillantes que le revers croisé du Français, mais on fait ce qu’on peut. Visiblement Richard avait l’air d’apprécier tout ça, de beaucoup s’amuser. Comme on était bien, comme on était beau, comme on sentait bon le sable chaud, Apolline a sorti deux petits sachets dans lesquels il y avait de la poudre blanche. Tout de suite elle a vu le regard un peu malaisé de Richard. Il ne découvrait pas la chose, non, c’est juste qu’il n’en avait jamais pris. Mais en voyant Apolline commencer à tracer les lignes en grande professionnelle et à se sniffer un rail comme à la cantine (en fait Apolline, qui est née le jour de la chandeleur, avait mis de la farine de pâte à crêpes dans le premier sachet), Richard s’était vite dit qu’il allait passer pour un con s’il n’en prenait pas. Et puis il ne jouait pas demain, on était à Miami, Apolline était une bombe, s’il n’essayait pas la coke ce jour‐là, quand est‐ce qu’il allait l’essayer ? Richard passait enfin à l’acte avec le deuxième sachet, celui où la farine fait gling gling dans le cerveau. Moment étrange de peur et de plaisir… que l’étrangeté envahissait par‐dessus tout malgré les circonstances euphoriques. Voilà ce que Gachassin appelait une troisième mi‐temps un peu difficile. Le lendemain, Gasquet déclarait forfait alors que la compétition était déjà commencée. Plus tard dans la journée, il était contrôlé. Positif. Fin de l’histoire ? Non.
C’est par l’aspect prophétique du texte qu’Apolline va terminer. Dans quelques semaines, Richard Gasquet et ses avocats vont venir défendre la thèse suivante sur cette soirée. Ils vont dire qu’Apolline a été pilotée par quelqu’un pour faire commettre l’irréparable à Richard, qu’elle l’a manipulée, qu’elle savait qui il était. Même s’ils auront bien du mal à démontrer que des commanditaires russes ou que la mafia espagnole ont des intérêts très forts à faire chuter un Gasquet, ils diront qu’Apolline était quand même une diablesse, juste là pour faire tomber les jeunes perdreaux du mois dans les flammes de la tentation. Apolline est coupable, pas Richard.
Eh bien ils auront raison. Apolline est la grande responsable de tout cela. En bonne pilière du Set, elle a tout de suite vu la naïveté du jeune homme qui était rentré, elle a tout de suite vu ses yeux timides de gamin qui fait semblant d’assurer alors qu’il assure pas un calot, elle a tout de suite vu qu’il jouait au grand mais qu’il était encore tout petit dans sa tête, elle a tout de suite vu qu’elle pouvait en faire ce qu’elle voulait. Mais messieurs les juges, messieurs les avocats, soyez cléments avec votre Apolline, car elle a un alibi béton qui la dédouane sur l’essentiel : elle n’avait même pas besoin de savoir que ce jeune homme, c’était Richard Gasquet.
Apolline Céleste
PS : A la demande paradoxale des premiers lecteurs, ce texte n’est plus ouvert aux commentaires
Publié le mardi 19 mai 2009 à 00:16