AccueilLe blog de la rédac'Murray, God save the kilt

Murray, God save the kilt

-

C’est d’un texte à six mains et 30 doigts que la Rédaction s’est payée l’ana­lyse du sacre d’Andy Murray, à l’US Open. A retrouver dans GrandChelem 30, ici !

« Je crois vrai­ment qu’un cham­pion ne se définit pas par ses victoires, mais par la manière dont il se relève de ses échecs. » Serena Williams, inspirée, avait senti le coup de trafalgar aux senteurs de whisky écos­sais, la douche imprévue qui porte dans ses gouttes les effluves de bruyère et des embruns mystères, le vent gaélique incons­tant et sauvage, vêtu d’un kilt et jouant corne­muse. Ce lundi 10 septembre 2012, William Wallace a investi de son coeur et de sa volonté un natif de Dunblane, né dans la tradi­tion tennis. Andy Murray. L’héritier de Fred Perry a enfin soulevé une coupe du Grand Chelem. Andy a croqué son succès comme on croque dans la pomme, à pleines dents, la pomme, la grosse, non de la connais­sance, mais de la gloire et de l’histoire. 7–6(10) 7–5 2–6 3–6 6–2. Et Novak Djokovic mis à terre sur l’Arthur Ashe Stadium. La victoire est une pinte de l’hydromel des dieux. Murray s’en est saoulé. Gageons qu’il s’en resservira…

RCV

La riva­lité Murray‐Djokovic, passage de témoin

On avait Federer‐Nadal. On a eu Nadal‐Djokovic. On aura Djokovic‐Murray. Les années passent et les témoins aussi. Alors que Roger Federer s’approche de la retraite à 31 ans bien tapés, alors que Rafael Nadal présente, à 26 ans, le physique d’un vieillard et des genoux en ruine… Novak Djokovic et Andy Murray, eux, pètent la forme. Ils sont encore tout jeune, ils sont encore tout beaux, ils sont affamés par des années passées dans l’ombre de l’infernal duo… et ils sont même amis – tout au moins, comme peuvent l’être deux joueurs qui se livrent des luttes sans merci le dimanche et pour­raient s’en aller siffler un caisson de bières le lende­main. « Pourraient », car c’est évidem­ment délicat lorsqu’on est deux compé­ti­teurs hors normes. Djokovic le confirme : « J’aime beau­coup Andy, mais comment pouvez‐vous sortir et être le meilleur ami de quelqu’un avec qui vous allez lutter jusqu’au bout le jour d’après ? Nous nous appré­cions mutuel­le­ment, mais, pour le moment, nous devons garder une distance profes­sion­nelle. » D’ailleurs, Novak et Andy se ressemblent plus qu’on ne croit… Seuls sept jours séparent leurs deux âges. Pis, le Serbe a long­temps été consi­déré comme un grand comé­dien – dans ses imita­tions, mais aussi ses appels au kiné inces­sants. De son côté, l’Ecossais se fait encore remar­quer par sa manière bien à lui de montrer ses douleurs, de boiter et se tenir le dos – et puis de galoper, Gasquet et Nieminen s’en souviennent encore… Ils se ressemblent telle­ment qu’ils n’ont eu de cesse de se serrer la main cette année. Car la riva­lité Murray‐Djokovic, c’est déjà cinq confron­ta­tions en 2012. Contre quatre au « Djoko‐dal »* et deux au célèbre « Fed‐al »*. C’est aussi du serré, avec quatre victoires partout en 2011 et 2012. En bref, Andy Murray, c’est ce garçon qui a désor­mais pris la mesure des trois autres membres du Big Four. Qui mène face à Roger Federer. Egalement face à Nadal, sur dur, depuis 2008. Et qui semble arrivé à matu­rité. Croyez‐nous, la riva­lité des jours prochains, c’est Murray‐Djokovic.

RCV

*Pour les confron­ta­tions Djokovic‐Nadal et Federer‐Nadal

Joueur complet, athlète hors‐normes
« Cette nuit, mon frère a réalisé son rêve. C’est le fruit de son talent, de son travail et de sa persé­vé­rance. Je suis très fier de lui. » Jamie Murray sait mieux que quiconque combien Andy a dû s’employer pour atteindre son Graal. Bien que très talen­tueux, l’Ecossais avait rapi­de­ment compris que sa main de surdoué ne suffi­rait pas à gagner des Grands Chelems, surtout pour un contem­po­rain de cham­pions tels Federer, Nadal ou Djokovic. Alors Murray s’est mis au boulot, notam­ment sur le plan physique. Ses « trai­ning camps » régu­liers à Miami l’ont trans­formé, au fil des ans, en un athlète complet, puis­sant, endu­rant et parti­cu­liè­re­ment rapide. « Plus jeune, je passais mes jour­nées unique­ment sur le court », raconte l’Ecossais. « C’est en gran­dis­sant que j’ai compris l’importance de multi­plier les sessions en salle de gym. Soulever des barres, faire des sprints et des courses à répé­ti­tion, ce n’est, certes, pas agréable. Mais quand vous arrivez en match, vous vous sentez mieux préparé et, auto­ma­ti­que­ment, vous êtes plus fort menta­le­ment. » Sa victoire en finale de l’US Open face à Novak Djokovic, Andy Murray la doit à sa fabu­leuse palette tech­nique, mais, aussi et surtout, à son formi­dable physique. Car après plus de quatre heures de combat et alors que son adver­saire marquait le pas, l’Ecossais a placé un dernier coup d’accélérateur pour aller décro­cher son premier titre majeur. « J’ai prouvé que je pouvais gagner des Grands Chelems », lance‐t‐il, pas peu fier. « J’ai aussi prouvé que je pouvais tenir l’effort pendant plus de quatre heures trente et finir en vain­queur contre l’un des hommes les plus forts physi­que­ment que le tennis ait jamais connu, surtout sur cette surface. C’est une des prin­ci­pales choses que j’ai apprises ce soir : ne pas douter de moi tant physi­que­ment que menta­le­ment. Je suis sûr que ça va avoir un impact positif sur mon futur de joueur de tennis. » Cette victoire t’aurait-elle ouvert l’appétit, Andy ?

Pauline Dahlem

Enfin dans l’histoire

« Ce gars fait trop d’efforts, il est trop impliqué dans son tennis pour ne pas gagner, un jour, un titre du Grand Chelem. C’est tout le mal que je lui souhaite. » Wimbledon, le 8 juillet 2012. Roger Federer tente de récon­forter Andy Murray après l’avoir une nouvelle fois privé d’un premier titre majeur. Condamné au statut d’éternel loser, inca­pable de mettre un terme à la malé­dic­tion du tennis britan­nique qui n’a plus rien gagné depuis huit décen­nies, l’Ecossais fond en larmes sur le Centre Court. Lui qui n’avait encore jamais remporté le moindre set en finale vient malgré tout d’en prendre un à Roger Federer. « Au moins, je me rapproche », déclare‐t‐il, des trémolos dans la voix. Touchée, la presse britan­nique s’abstient d’enfoncer à nouveau son cham­pion. Mieux, elle réaf­firme sa confiance en ce joueur, dont l’heure, elle l’assure, est bientôt arrivée. Bien lui en a pris. Car le 10 septembre 2012, deux mois après les terribles larmes londo­niennes, Andy Murray met un terme défi­nitif à la malé­dic­tion des British en Grand Chelem. « La plus célèbre et plus longue série de défaites de l’histoire du sport britan­nique vient de s’achever », lit‐on en Une du Times. Fred Perry, vain­queur de l’US Open en 1936, il y a 76 ans, a enfin trouvé son succes­seur. L’exploit de Murray est à la hauteur de la pres­sion qu’il suppor­tait depuis qu’on en avait fait le sauveur du tennis britan­nique. Les John Loyd, Greg Rusedski et autres Tim Henman n’avaient su y résister. « Même pendant le match, je me posais sans cesse des ques­tions. Je doutais un peu. Mais j’ai réussi à être suffi­sam­ment fort pour, enfin, y arriver. » Andy Murray est fier de son exploit, conscient des reten­tis­se­ments d’une telle victoire, tant pour lui, que pour le tennis national. « Quand j’ai servi pour le match, j’ai senti combien ce moment était impor­tant pour l’histoire du tennis britan­nique. Vraiment. Je sais ce que ça repré­sente, encore plus que tous les autres joueurs. On m’a demandé telle­ment de fois et encore plus depuis que j’ai gagné les Jeux quand j’allais enfin m’imposer en Grand Chelem. C’est génial d’y être parvenu. Et j’espère que ça chas­sera défi­ni­ti­ve­ment l’idée que les tennismen britan­niques sont des ratés et ne gagnent rien. » C’est désor­mais prouvé.

Pauline Dahlem

Le déclic des Jeux Olympiques

« Battre Roger en finale a été la plus grande victoire de ma carrière. » C’est dit. En forme de profes­sion de foi. Celle du succès. Celle de la réus­site. Celle de la majesté. Murray a prié durant toutes ces années, comme l’enfant se recueille, le soir venu, lové dans son sommeil, en rêvant de gloire et de fierté. En un mot comme en cent, d’amour. Quatre finales de Grand Chelem… C’est le petit Andy qui devient astro­naute, mais qui est recalé à chaque envolée vers les cieux et la Lune. Pourtant, à Wimbledon, face à Federer, il avait le nez dans les constel­la­tions. Aux Jeux Olympiques, à nouveau dans son petit jardin, qui passera de secret à public et, surtout, histo­rique, il est entré dans sa fusée et a tout oublié. Les échecs, les décep­tions, la pres­sion. Son rêve est devenu réalité. Et le monde l’a aimé, comme il l’avait déjà aimé dans ses larmes et dans son émotion quatre semaines plus tôt. « La foule m’a aidé, ils faisaient un bruit incroyable. J’aime à penser que ça m’a d’ailleurs permis de servir plus fort pour faire la diffé­rence. Ils ont joué leur rôle. Je suis heureux d’avoir pu réaliser cette perfor­mance, heureux pour moi et pour eux. » Résultat : Andy Murray écrase Roger Federer, 6–2 6–1 6–4, et s’offre son tout premier grand titre, une médaille d’or aux Jeux Olympiques. Mats Wilander l’affirmait avant l’US Open : « Andy a marqué un point face à Roger Federer et Novak Djokovic après les Jeux Olympiques. Il sait qu’il peut les battre à la suite, main­te­nant. Je pense aussi que le format des matches en cinq sets, avec l’attitude qu’il présente désor­mais, va le favo­riser. Et, quand il joue bien, avec une bonne atti­tude, il est au moins aussi bon joueur que les trois autres du top 3. » « Il a joué d’excellents Jeux Olympiques et ça va lui donner une moti­va­tion et une confiance supplé­men­taires », renché­ris­sait Ivanisevic. « Je pense qu’il va le faire. » Sa victoire était écrite. A Londres, Andy Murray a fêté son entrée dans la matu­rité. Sa victoire à New York, deux semaines après le décès de Neil Armstrong, le consacre : Andy a marché sur sa Lune.

RCV

Ivan le Terrible

« On n’aimait pas Lendl, car il n’hésitait pas à jouer sur l’homme. » Voilà comment Yannick Noah résume la popu­la­rité du joueur tchèque durant leurs années d’affrontements sur le circuit. Etre aimé, de toute façon, était le dernier souci de ce cham­pion né dans l’ex-bloc sovié­tique, élevé à la dur au moment où le tennis débu­tait sa mondia­li­sa­tion. Si l’on rajoute ça à l’humiliation des quatre premières finales perdues en Grand Chelem, on comprend aisé­ment comment Ivan s’est forgé un mental. Mieux, une cara­pace. Sans avoir un parcours iden­tique, Andy Murray n’a jamais cherché à plaire. Pis, il a presque cultivé cette image peu enivrante d’un athlète ronchon, grognon, à la limite de la spor­ti­vité. On imagine qu’avec Ivan, le courant a dû très vite passer dans sa façon d’aborder l’adversité, le milieu du tennis et l’utilité ou pas de posséder une cote glamour. En somme, d’être popu­laire. Jamais en faire trop, c’est, fina­le­ment, jouer le coup juste ; là est le secret du nouveau Murray coaché par Lendl. « Quand on travaille avec lui, ce qui est bien, c’est qu’il est facile de lui parler lorsqu’on a un problème. Ça ne le gêne pas. Il n’est pas offensé par quoi que ce soit. Il y a beau­coup de personnes qui sont trop sensibles. Si lui a un problème avec moi, il vient me voir. Et si je lui dis quelque chose, ça ne va pas le gêner. » En face, Lendl est aussi dithy­ram­bique que son élève et se souvient parfai­te­ment de sa première rencontre avec son futur disciple : « La première fois que j’ai rencontré Andy, il était avec Brad Gilbert. Il m’avait donné l’impression d’être un garçon gentil, poli et appliqué. Ca m’a donné envie, ensuite, de travailler avec lui, j’avais l’impression de le connaître déjà. J’avais remarqué des gestes qu’il était seul capable de réaliser sur le circuit. Je sentais aussi que je pouvais l’aider sur certains points. Je n’ai pas l’impression d’être son père, mais plus un grand frère qui lui apporte conseils et expé­rience. » Visiblement, ça fonc­tionne plutôt bien, puisque après moins d’une année de colla­bo­ra­tion, Andy a décroché l’or olym­pique sur ses terres, son premier titre du Grand Chelem et s’est forgé un moral d’acier. C’est tout ce qui lui manquait pour se construire un palmarès digne de son talent.

Laurent Trupiano