Après délibérations, voici les résultats de notre concours : « Racontez‐nous votre rencontre avec Roger Federer. » Il vous fallait nous expliquer en un texte travaillé ce qui vous a fait aimer le Suisse. 62 textes reçus et des discussions houleuses. Voici le temps des récompenses.
Premier prix »> AURECLINT et ZASTH
Deuxième prix »> FLORENT MALECKI
Troisième prix »> JEREMY DUBRUNQUET
Prix de l’idée originale »> EFTY
« Roger, mon amour », le livre événement sur Roger Federer est disponible ici. Il n’en reste plus que 98 exemplaires.
Pour son idée originale, nous nous devions de primer ce texte d’Efty ! On ne vous en dit pas plus, même si certains l’ont déjà lu, puisqu’il avait été posté en commentaire… Quoi qu’il en soit… bravo !
Je m’en souviens comme si c’était hier. Il avait 20 ans à peine. J’en avais presque 30. Nous étions de blanc vêtus, évidemment. J’ai tout de suite compris que ce gars allait m’ennuyer. Il avait un catogan, une espèce de nonchalance et un style, incontestablement. Ce type allait m’en faire baver dans MON temple. J’ai vite compris que j’avais affaire à une future grosse pointure. De là à penser qu’il dépasserait tous mes records, il n’y avait un pas que, probablement, je n’aurais pas franchi à l’époque. Mais je me souviens très bien avoir eu un feeling particulier, ce genre d’impression que vous avez une ou deux fois dans votre vie, qui vous fait dire qu’il est en train de se passer un truc « hors du temps », qui vous marquera à jamais. Je vis un instant particulier, comme en suspension, en lévitation. Il régnait un calme étonnant ce jour‐là, une atmosphère un peu irréelle. Tout était ouaté, capitonné. Le public retenait son souffle, l’ambiance était en même temps électrique. Les gens m’encourageaient, mais il y avait comme une incompréhension… Ils voyaient bien que le gars, en face, était d’une dimension exceptionnelle. Qu’il faisait partie de cette engeance un peu spéciale, qui dépasse l’entendement. Il sortait des coups incroyables, avec une aisance déconcertante, comme si rien de tout ce qu’il produisait ne lui coûtait, comme si une inspiration divine le lui suggérait…
Et le temps passait, suspendant son vol, les minutes s’égrainaient, les échanges se succédaient, tous plus splendides les uns que les autres. Je n’arrivais pas à m’en défaire, il me collait comme un sparadrap. Je ne comprenais pas qu’un gars aussi jeune et inexpérimenté puisse me faire ça, ici, avec cette décontraction, cette assurance. Je me revoyais à l’US Open, en 90, battant successivement Mac, Lendl et Andre, je me remémorais tous ces instants, cette insouciance que j’avais à l’époque, cette facilité, cette absence totale de poids sur les épaules, cette certitude que rien ne pouvait m’abattre, ce culot infini… Je me disais que c’était court, une carrière, une vie, finalement. Que tout ce que je pouvais faire se retournait contre moi. Que mon double m’annihilait, me faisait comprendre qu’une page était en train de se tourner, ce genre de c*nneries que j’avais entendues lors de mon arrivée aux sommets. Rien ne semblait l’atteindre. Il allait bien fléchir, abdiquer ? Pas du tout, il continuait, imperturbable. Je me disais, alors : c’est cela qu’ils ont ressenti, eux, quand à l’aube de leur trentaine, ils m’ont vu débouler ? Et – c’est bizarre, je n’y avais pas repensé, mais ça me revient, là -, j’ai eu une pensée émue pour eux, une sorte de compassion à retardement. De temps en temps, je jetais des regards incrédules dans ma loge. Ma fiancée de l’époque me soutenait, au début… Puis j’ai senti que son regard me fuyait. Qu’elle était en souffrance avec moi, parce qu’elle sentait bien que c’était plus qu’un match que j’étais en train de perdre. Un de ces matches où vous ne jouez pas bien et où l’autre en profite pour vous grimper sur le dos. Non, là, j’étais à mon maximum, ce qui aurait suffi contre 99% du circuit. Ca ne marchait pas, contre un mec qui n’était pas tellement connu, même si on savait qu’il émergeait sérieusement et qu’il était sacrément doué. Il me signifiait quelque chose, quelque chose que moi et mon entourage n’avions pas envie d’entendre.
Durant le dernier jeu, il me sort deux superbes retours, un à 15–0, en revers, l’autre sur la balle de match, en coup droit. Il s’effondre. Je suis soulagé. Anéanti, meurtri, groggy, mais soulagé : mon successeur a de la gueule.
Efty
Publié le mardi 20 novembre 2012 à 19:00