Votre Appoline, elle voud dit tout net et avant même l’issue de dimanche, elle n’est pas contente de ce qu’elle lit depuis 24 heures sur le blog et elle le fera savoir lundi. Il ne peut pas y avoir de grands champions sans grands connaisseurs (au plus) en tout cas sans grands supporters (au moins).
Or certains des commentaires lus avant, pendant et après la journée de vendredi sur Arnaud Clément, Guy Forget, sur Paul‐Henri Mathieu ou sur le tennis français traduisent une défaite totale de la pensée. On a déjà les Ch’tis à 17 millions, c’est pas la peine d’en rajouter dans le néant. En attendant donc lundi où la foudre tombera, Apolline, déesse de la colère, vous invite à relire ce qu’elle a déjà expliqué à la sortie du 1er tour sur la signification de la Coupe Davis, c’est à dire l’esprit d’équipe.
Pourquoi il faut sauver le soldat Clément
Un seul Tsonga éclot et toute la France du tennis se remet à reparler de la Coupe Davis avec les yeux qui brillent. Et de passer immédiatement au crible les performances des uns et de l’autre (surtout de l’autre). Sauvés Tsonga, Gasquet et Llodra qui ont fait leur partie, mais déjà sous la menace de nos lecteurs implacables l’ami Arnaud Clément, coupable d’avoir légèrement flotté pendant 2 sets. On demande sa tête, on a tort et surtout la mémoire courte. Pour toutes les causes perdues, votre Sainte‐Apolline sort de sa retraite aux flambeaux, enlève ses raquettes et accourt au chevet du soldat abandonné.
Alors comme ça, votre Apolline n’a pas le temps d’aller faire le tour d’un autre cirque (le blanc) que tous nos éminents lecteurs profitent de son absence pour aller se tailler en pièce du vieux tennisman français des années 90. D’une certaine façon, Apolline vous comprend et ce n’est pas avec le texte qu’elle a écrit à la sortie de Roland Garros 2007 sur l’aspect lapinou de nos champions tricolores qu’elle pourrait rejeter les idées jetées ici ou là sur l’importance des « impact players », les Tsonga, ces Nadal français (vous l’aviez pas vue venir celle‐là, hein!) qui vous gagnent un week‐end de Coupe Davis dès les premières sélections et en jouant même le samedi. Vu le niveau du finaliste de l’Open d’Australie, il est vrai qu’avec lui « tout devient possible » et on a désormais en tête la phrase de son éducateur Patrick Labazuy : « Rien ne l’arrêtera. Je dis rien ». Bref Tsonga pendant 3 jours en avril prochain aux Etats‐Unis, pourquoi pas ?
Le petit hic qu’Apolline soulève, c’est que son texte parlait du tennis en tant que réalisation et éclosion de soi dans un sport purement individuel et autocentré, certainement pas des quatre petites semaines exceptionnelles consacrées à la Coupe Davis ou à la Fed Cup, et où se développe quelque chose de très spécial dans l’univers du tennis, et qui s’appelle l’équipe, surtout l’esprit qui va avec.
Coach dans le plus grand sport collectif d’intérieur au monde par le nombre de licenciés (le futsal) et adjointe de l’entraineur championne de France de la discipline, votre Apolline est plus que sensible à la notion d’esprit d’équipe et rien que là‐dessus, elle va vous dire pourquoi c’est important de garder Arnaud Clément parmi les quatre mousquetaires français qui iront tenter d’arracher leur première victoire aux Etats‐Unis.
D’abord parce que l’esprit d’équipe, ça n’existe pas sans fondation, sans pilier et donc sans expérience. Pas plus qu’une équipe de bleuets aurait survécu au Mundial allemand, on n’envoie pas un quarteron de gamins même super doués se faire étriller outre‐atlantique par le tenant en titre, on les rassure avec un mec qui a déjà géré ce genre d’évènements. Et l’expérience de l’équipe de France 2008 en fonction des circonstances actuelles (PHM convalescent Grosjean qui n’est plus titulaire en simple), c’est Arnaud Clément… et Mickael Llodra.
Corrélativement à l’expérience, il y a également l’attitude. Même s’il fut le premier à reconnaitre qu’il est sorti du match pendant le 3eme et le 4ème sets de son double contre les Roumains, Arnaud Clément est un formidable coéquipier, un formidable animateur et un formidable gagneur pour booster sur 7 jours un regroupement d’egos. S’étant toujours adonné à l’équipe de Coupe Davis sans jamais un seul état d’âme, il fait surtout partie de cette très rare classe de joueurs qui ne se sont jamais troués dans l’exercice de leurs fonctions, qui n’ont jamais sous‐joué à cause de la pression, et ceci dès les premières sélections. Par politesse, on évitera ici de faire la liste des fragiles du coeur rattrapés par la spécificité de la Coupe Davis. Certains seront même alignés aux Etats‐Unis…
Et puis il y a un truc fondamental de la Coupe Davis, c’est que le match du vendredi c’est pas le même que le match du samedi qui n’a rien à voir avec celui du dimanche. Qu’est‐ce qu’on veut dire par là ? C’est qu’à force de taper par exemple sur Guy Forget, on n’oublie de rappeler tout ce que ce joueur a incarné des spécificités de la Coupe Davis et à quel point il sait que la clé d’un week‐end, c’est pas d’être le plus fort tout le temps, c’est au contraire la capacité d’un joueur à passer d’un état à un autre, de s’adapter, d’accepter de ne pas être bon pendant 10 minutes pour être meilleur 20 minutes plus tard. D’être par exemple le Guy Forget laminé de ce vendredi lyonnais de décembre 1991 après qu’Agassi lui ait fait visiter la Palais des Sports de la capitale des Gaules et qui accepte les critiques dures de son capitaine Noah, retourne le samedi battre la plus grande paire de double de l’époque avec Leconte (Flach‐Seguso), et sèche le dimanche l’un des plus grands joueurs de l’histoire du jeu (Sampras). Et c’est encore un autre Forget, brinquebalant, sur une patte qui accepte de n’être que coéquipier de luxe en 1996 pour aller chercher le point du double.
Sur le même principe, on aime ce qu’on a entendu de la bouche de Mika Llodra après les 5 sets du point décisif contre la Roumanie. On comprend que Clément et lui se connaissent suffisament pour dire ou entendre les mots qui fouettent les joues mais vous remettent à l’endroit en un temps express. Et on savoure donc en bouche ce petit détail de la déclaration de Llodra qui fait toute la richesse d’une équipe : « Je ne connais pas Jo aussi bien qu’Arnaud. Je ne suis pas sûr que j’aurais pu lui dire la même chose ».
Voilà où il est le charme de ces week‐ends, voilà où elles se dénichent les histoires d’hommes en Coupe Davis, cette compétition dont John McEnroe disait qu’elles séparaient les enfants des adultes. C’est du temps passé ensemble, c’est des discussions où on se fout à poil devant le groupe, c’est des silences qu’il faut faire exploser ou au contraire entretenir pour l’harmonie et le bien du groupe. Parce qu’il ne les connaissait pas aussi bien qu’aujourd’hui, Guy Forget n’avait su comment activer certaines références émotionelles, techniques et tactiques chez Paul‐Henri Matthieu en finale contre les Russes en 2002, ou rentrer en résonnance avec Richard Gasquet l’an dernier contre les même Popoffs.
Pour toutes ces raisons, on est certain qu’Arnaud reste un pilier de l’équipe de France qui par le fait même d’avoir vécu un week‐end difficile va se faire fort d’être l’atout discret mais réel d’une équipe de double Llodra‐Clément qui en terme de palmarès et de niveau de jeu restent ce qui peut le plus inquiéter les Bryan Bros. Que Tsonga et Gasquet gardent leur force pour les simples et les encouragements, il leur en faudra à l ‘appel du dernier dimanche.
Publié le lundi 12 mai 2008 à 09:20