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Rodolphe Gilbert : « Ramesh Krishnan savait jouer au tennis, ce n’était pas le peintre du coin ! »

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Numéro 51, avril 2016, on lance un débat : La défaite est‐elle le début d’une victoire ?
On inter­roge donc logi­que­ment Rodolphe Gilbert dont le revers en Coupe Davis en 1993 face au joueur indien Ramesh Krishnan (lors de la rencontre, Ramesh était classé 200ème) en Coupe Davis à Fréjus lors du match décisif est un « must ». Ce duel terminé un lundi hante encore les nuits du trico­lore, et on le comprend…

Première sélec­tion, un match décisif sur deux jours… Le sort ne vous a pas épargné !
« Effectivement… La pres­sion était impor­tante et je n’y étais pas préparé. Je l’ai décou­vert sur le court. Jouer en Coupe Davis, c’est quelque chose de diffé­rent. Peut‐être pas pour tout le monde, mais, quand on est assez fran­chouillard comme moi, cela pèse lourd, la Coupe Davis revêt une impor­tance parti­cu­lière. On ne peut pas dire qu’il s’agis­sait d’un baptême idéal… D’autant qu’en face, j’avais un gars qui avait vingt ans d’ex­pé­rience derrière lui. Effectivement, il jouait moins, mais, dix jours avant, il avait mis 2 et 2 à Pioline, à Gstaad. C’est un mec qui savait jouer au tennis, ce n’était pas le peintre du coin ! »

Ce revers de Fréjus a provoqué un élec­tro­choc dans votre carrière ?
« Si on ne parle que de ce match‐là, non. Il y a des défaites béné­fiques, mais celle‐là, en parti­cu­lier, non. Je me suis repassé une centaine de fois le film du match dans la tête en espé­rant que le scénario change (rires) ! Cela remonte à loin, les souve­nirs s’es­tompent avec les années… Pour moi, il y a pres­crip­tion, cela fait bien long­temps que je n’y pense plus. Je n’ai pas rejoué en équipe de France derrière, mais, si cela avait été le cas, cela m’au­rait servi. J’aurais abordé les choses diffé­rem­ment, j’au­rais pris du recul par rapport à l’événement. »

En parlant de recul, ce doit être dur de se contenir quand on exerce le métier d’en­traî­neur et qu’on voit son joueur en diffi­culté…
« Il faut essayer de ne pas faire sentir au joueur qu’on envi­sage la possi­bi­lité qu’il y ait de la tension et la défaite au bout. Je crois que la plupart des entraî­neurs inté­rio­risent beau­coup… Ils essaient de trans­mettre du calme, de la séré­nité à leur joueur. Je pense que les coachs qui ont été joueurs se mettent souvent en retrait de cette façon, même s’il y en a aussi qui aiment être plus démons­tra­tifs. C’est un peu mon ressenti, mais je ne vois pas beau­coup de coachs qui font des bonds de quatre mètres à chaque point ! »

Après une défaite, le joueur ressent forcé­ment de la frus­tra­tion… Comment s’en accommode‐t‐on afin de repartir sur de meilleures bases ?
« Le tennis, c’est comme un quatre‐quarts : il y a la partie tech­nique, la partie physique, la partie tactique et la partie mentale. Cette dernière, c’est celle de la résis­tance à l’échec – et à la victoire, car il y a des joueurs qui ont du mal à la gérer au cœur‐même d’un match. Il faut savoir maîtriser la frus­tra­tion. Certains sont plus à l’aise quand ils sont menés, mais cela reste une mino­rité. Bon nombre de joueurs aime­raient qu’il y ait parfois des matchs nuls, que ce soit équi­table… Mais, dans notre sport, ce n’est pas possible (rires) ! »

Lorsqu’on est coach, on est aussi impacté par la défaite. De quelle manière l’en­traî­neur y fait‐il face ?
« Oui, on subit la défaite, bien entendu. Mais, pour moi, cela a toujours été un peu diffé­rent, car je prends beau­coup de recul. J’essaie de me déta­cher du terrain, parce qu’il ne faut pas oublier qu’on ne joue pas. Malgré tout ce qu’on peut dire, préparer ou faire, c’est le joueur qui est sur le court. Il y a des tas de choses qu’on ne maîtrise pas. Cela dit, évidem­ment, cela m’est arrivé de vivre un match plus inten­sé­ment qu’un autre. Par exemple, le troi­sième tour de l’US Open où Marc Gicquel bat Gaudio 7–6 au cinquième. Je peux vous assurer que je ne faisais pas le malin sur la fin ! »

Parmi toutes les défaites qu’un joueur subit au cours de sa carrière, y en a‑t‐il vrai­ment des bonnes, des défaites qui donnent un coup de boost plutôt qu’un coup de bambou ?
« Oui, il y a des défaites encou­ra­geantes, face à un garçon qui était mieux armé de l’autre côté du filet. Et puis, il y a les sales défaites : elles viennent comme un poing dans la figure et provoquent de vraies remises en ques­tion. Elles peuvent être la consé­quence de beau­coup de choses : moins de moti­va­tion, un retour diffi­cile après une bles­sure… Dans tous les cas, il faut retourner au boulot et mettre les bouchées doubles. Ces derniers temps, Nadal a pris de bonnes claques, des claques qu’il ne prenait pas avant. Je me doute qu’a­près sa défaite à Rio, le gars a peut‐être pris deux ou trois jours, avant de se remettre plus que jamais au travail pour le reste de la saison. Le rôle du coach, c’est d’ap­puyer là où cela fait mal, tout en rassu­rant, d’aider son joueur à ne pas se laisser aller, à ne pas être désabusé. »