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C’est quoi la culture de la gagne ? (2÷3)

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Dans notre numéro 51, nous nous étions atta­chés à comprendre si la défaite était le début de la victoire. Dix numéros plus tard, on y revient d’une certaine façon et c’est l’ac­tua­lité qui a guidé ce choix. Avant le résultat que l’on connaît concer­nant France‐Belgique, nous avons donc mené l’en­quête pour savoir ce qu’est vrai­ment la fameuse culture de la gagne. Si elle s’en­seigne, si elle est passa­gère, si elle est innée. Pour bien comprendre cette théma­tique plutôt impal­pable on s’est dit qu’il était assez logique de donner la parole à Caroline Garcia mais aussi à Patrick Mouratoglou, Jacques Piasenta, l’en­traî­neur de Marie‐José Pérec et à Fernando Belasteguin, l’in­vin­cible numéro 1 mondial de padel. Enfin, pour pousser la réflexion nous sommes allés rendre visite, sur son divan, à Pascal Aubrit, psycho­thé­ra­peute qui pose les jalons et les prin­cipes qui régissent l’idée folle qu’il puisse exister une culture de la gagne. Au final, s’il ne fallait retenir qu’une défi­ni­tion, ce serait forcé­ment celle de Rafael Nadal, suivez le guide.…

La défi­ni­tion du maitre, Rafael Nadal…

« Définir la culture de la gagne ? C’est la passion pour ce que vous faites, l’état d’esprit avec lequel vous vous levez tous les matins, cette moti­va­tion pour aller sur le court et progresser. C’est ça la culture de la gagne. Tout le monde veut gagner quand on est compé­ti­teur. La passion occupe une place impor­tante. Se réveiller toujours avec cette passion, celle qui te permet d’aller sur le court pour s’améliorer encore et encore et s’entraîner tous les jours avec la bonne atti­tude, tout le monde n’est pas capable de le faire. Si vous ne vous entraînez pas tous les jours pour les bonnes raisons, vous n’êtes pas en posi­tion de gagner. C’est vrai que j’ai souvent été dans cette dyna­mique au cours de ma carrière. Néanmoins, j’ai connu des périodes où j’ai été blessé, donc je ne gagnais pas. J’ai douté. Mais j’ai surtout cru en moi et en mon travail. C’est un aspect essen­tiel. Et si on croit en son travail, on sera alors à nouveau en posi­tion de gagner. C’est ce que je pense avoir bien fait toute ma vie. »

Vu de la piste…

Jacques Piasenta : « La clé, c’est la préparation »

Il nous a semblé utile d’aller à la rencontre d’un grand entraî­neur dans une disci­pline qui ne requiert pas les mêmes qualités physiques et mentales que le tennis. Jacques Piasenta, l’an­cien coach de Marie‐José Pérec, celui qui l’a amené à la médaille d’or olym­pique à Barcelone, est un inter­lo­cu­teur de choix.

Jacques, dans le tennis, beau­coup de spécia­listes mettent de côté l’inné, c’est à dire les dispo­si­tions liées par exemple à la morpho­logie pour parvenir à acquérir la culture de la gagne, qu’en pensez‐vous ?

En athlé­tisme, ce critère est indis­so­ciable de la culture de la gagne, car il est évident que le physique et ses qualités sont une part essen­tielle de la perfor­mance. Au tennis, d’autres critères c’est vrai rentrent en jeu. De plus, on est dans un duel contre un seul adver­saire, c’est réel­le­ment différent.

Quels sont les points communs malgré tout ?

Je dirais l’am­bi­tion, l’envie, la passion et la prépa­ra­tion. Ce sont à mon avis les critères qui comptent notam­ment sur du long terme. En gros, cela va définir votre niveau de compé­ti­ti­vité. Je rajou­te­rais la force supplé­men­taire qui permet de vous sublimer quand le « combat » devient encore plus difficile.

Ça aussi c’est de l’inné ?

Aimer se faire mal, aimer se surpasser ce n’est pas donné à tout le monde. Je pense en effet que l’on peut avoir cela en soit. Après, suivant les athlètes, le coach peut aussi ensei­gner cette envie, c’est un travail minu­tieux, fasti­dieux et de longue haleine.

C’est ce que vous avez fait avec Marie‐José Pérec ?

Marie‐José avait des qualités physiques excep­tion­nelles, il fallait juste trouver les idées pour qu’elle aime aussi s’en­traîner, qu’elle ait plus confiance en elle. De toute façon, je consi­dère qu’il s’agit d’un dialogue perma­nent entre le coach et son cham­pion. C’est la base de la perfor­mance et donc de la fameuse culture de la gagne, la sincé­rité et pas de faux semblant. Le coach est aussi impliqué que l’ath­lète dans sa recherche de la compé­ti­ti­vité, lui aussi doit être au top. L’inné ne fait donc pas tout. On peut heureu­se­ment faire progresser les choses, amener le cham­pion à trouver de nouvelles limites. C’est un chemin, cela se passe tous les jours à l’en­traî­ne­ment, dans des compé­ti­tions, à l’issue de contre‐performances. C’est une quête et je le répète cela doit être une vraie envie de la part de l’ath­lète. Et malgré les douleurs des efforts, il faut aussi pouvoir y mettre une réelle notion de plaisir. Cette idée, je l’ai toujours placée au centre des mes séances. Après, je consi­dère aussi qu’un athlète doit rendre des comptes et qu’il est utile de l’ins­taller dans un groupe pour qu’il puisse échanger et se responsabiliser.

Que pensez‐vous des prépa­ra­teurs mentaux qui commencent à prendre beau­coup de pouvoir ?

Comment dire… (il respire) Mon expé­rience person­nelle sur ces sujets n’est pas bonne, mais je rappelle que je suis un spécia­liste d’ath­lé­tisme. Je ne dis pas que le mental ne joue pas un rôle, je suis conscient de ça. Mais j’ai vu trop de prépa­ra­teurs mentaux qui ne restent pas à leur place. À terme, ils ont tendance à inter­férer dans les choix du tech­ni­cien, et cela ne me plaît pas du tout. J’ai presque envie de dire que dans mon cas ils ont été plus néfastes qu’autre chose.

On sent que pour vous la culture de la gagne est très liée à la préparation ?

C’est la clé, et c’est aussi cela qui est inté­res­sant. Il peut y avoir de temps en temps des perfor­mances sans que la prépa­ra­tion soit idéale ou minu­tieuse. On joue sur son poten­tiel, mais sur le long terme, cela n’amène rien de grand. Gaël Monfils est un bon exemple de ce point de vue là même si l’on peut aussi supposer que son corps soit très fragile. Il y a donc des données que l’on ne maîtrise pas. Même si de ce côté là on peut aussi mini­miser les risques en mettant en place autour de l’ath­lète les meilleurs spécia­listes dans chaque domaine. Pour Marie‐José Pérec et mon groupe de l’époque, j’avais une ligne directe avec le Professeur Saillant, cela favo­ri­sait les diag­nos­tics, les prises de déci­sions et les soins. Cela évitait aussi d’avoir des doutes. En gros, rester sur son chemin, sa dyna­mique, ses perfor­mances, ses objectifs.

Maintenant que vous êtes à la retraite, quel bilan tirez‐vous de votre carrière de coach ?

Beaucoup d’émo­tions et d’hu­mi­lité même si très souvent et je n’ai pas peur de le dire je savais que sur la ligne de départ il y avait près de 75% de tricheurs. Malgré tout cela, on est arrivé à remporter des titres et à donner beau­coup de joie. Inutile aussi de dire que le travail avec Marie‐José a été un moment assez inou­bliable, jamais je n’ai eu une athlète qui aimait autant la compé­ti­tion, ce moment fatal. Alors certes, elle était nerveuse, stressée, mais une fois que la course avait commencé, c’était vrai­ment une athlète extra­or­di­naire de générosité.

Retrouvez gratui­te­ment et en inté­gra­lité le numéro 61, le dernier numéro de notre maga­zine GrandChelem… Bonne lecture !