Un entretien avec Henri Leconte est toujours un moment spécial, car Henri ne manie pas la langue de bois et son expertise ne peut être remise en cause. Toujours à la tête du club de Levallois, il a gardé également un œil attentif sur l’évolution de la pratique et sur les solutions pour que le tennis se porte mieux.
En perdant ta finale en 1988 face à Mats Wilander, est‐ce que tu n’es pas l’initiateur du syndrome « Grand Chelem » pour les joueurs français et de cette omniprésence de Yannick Noah comme symbole de la performance et de la réussite ?
Oui et non. Il est clair que si j’avais remporté ce match, ma carrière aurait pris une tout autre tournure, mais je l’accepte totalement. Yannick Noah, c’est mon grand frère et quoi qu’on en dise, il est le seul à avoir remporté Roland‐Garros. Il doit cette performance à son talent, mais aussi au fait qu’il se soit donné les moyens d’y parvenir, qu’il ait bossé comme un fou pour réaliser son rêve.
Cette défaite en finale de Roland‐Garros, c’est un peu ce que l’on peut te reprocher si on fait le bilan de ta carrière…
C’est logique car je n’ai pas toujours été au taquet, mais on oublie aussi que j’ai eu plusieurs opérations du dos. J’estime cependant que je n’ai pas raté tous mes rendez‐vous avec le public et avec mon sport. J’ai aussi su répondre présent alors même que l’on me croyait perdu à tout jamais. C’est un peu ça la patte Henri Leconte. De par mon comportement et mon franc‐parler, je sais aussi que je ne laisse pas indifférent, que je suis clivant. Ce statut, je l’assume volontiers. Je n’en reste pas moins populaire et ma sincérité me permet toujours de passer des messages et d’être entendu par les passionnés. Je constate cela à chaque fois que je suis interpellé.
Guy Forget est directeur de Roland‐Garros et de Bercy, Yannick Noah était il n’y a pas si longtemps le capitaine de l’équipe de France de Coupe Davis. Pourquoi Henri Leconte n’a‑t-il jamais eu de vraies fonctions dans la famille du tennis ?
Vous devez avoir la réponse, non ? Peut‐être que je fais un peu peur, que je dis quelquefois tout haut ce que les gens pensent tout bas. Mais le fait d’être considéré comme étant à la marge du système, cela ne me dérange pas. Je suis un grand garçon. Je n’ai plus rien à prouver. En fin de compte, cette position me permet d’être libre et de m’exprimer sur tous les sujets qui concernent ma passion. Être libre, c’est un grand atout dans le tennis.
On se souvient en effet de ta sortie chez nos confrères du Parisien où tu fustigeais le niveau de préparation des joueurs tricolores.
Moi aussi, je m’en souviens bien. Cela avait eu le mérite de secouer le cocotier, une vraie tornade !
Finalement, est‐ce que cela a vraiment été utile ?
Je ne sais pas. Ce que j’avais voulu dire, c’est qu’en général, on ne se donne pas les moyens de réussir. Que l’on est trop centré sur nous, que l’on ne va pas assez voir ce qui se fait ailleurs, loin de nos frontières, loin de Paris. Est‐ce que vous trouvez normal que le staff technique du Canada soit tricolore et qu’il obtienne de tels résultats, alors que nous on patine ? Moi non, je pense que l’on peut faire aussi bien, mieux même…
Que faudrait‐il faire concrètement ?
S’ouvrir, expérimenter, et surtout prendre de vrais risques. Mais je ne condamne personne en particulier, il y a un fonctionnement qui existe depuis longtemps et on ne peut pas tout bouleverser d’un coup de baguette magique. Ce qui me rassure, c’est par exemple qu’un mec comme Gaël Monfils décide à un moment de sa carrière d’investir dans son team en choisissant des personnes qui n’étaient pas connues chez nous. Je trouve cela audacieux et courageux.
« J’ai aussi su répondre présent alors même que l’on me croyait perdu à tout jamais. C’est un peu ça la patte Henri Leconte »
Certains vont vous expliquer que le tennis a changé, que l’on n’est plus dans les années 1980…
Et ils n’auront pas forcément tort. Oui, le tennis a évolué, mais pas toujours positivement. Ce que je constate, c’est que l’argent est devenu l’enjeu majeur et c’est dommage, car on délaisse un peu les jeunes et les passionnés. Le reste, c’est presque de la cosmétique.
Oui, mais toi aussi, tu gagnais bien ta vie à l’époque, non ?
Je ne vais pas me plaindre, mais il n’y a rien de comparable. L’arrivée des réseaux sociaux, la mondialisation, les prize money, tout a changé et tant mieux ! Le monde du tennis reste fascinant, mais attention à ne pas aller trop loin et tout gâcher.
C’est un constat impitoyable…
Je dirais plutôt réaliste. J’ai bossé sur moi‐même. L’idée, c’est d’assumer sa personnalité, ses idées, ses principes et ses valeurs. Quoi qu’il en soit, le tennis reste la passion de ma vie, et je dois avouer que mon rôle de président du Sporting Club Levallois Perret me procure beaucoup de joie, de satisfaction. J’aime être au contact des enfants, des espoirs. Et puis je sais que je peux m’appuyer sur une équipe solide et compétente.
Il faut dire que le TC Levallois, avec ses 2 400 membres, est une sacrée structure !
On refuse du monde, donc on est des privilégiés. Je m’en rends compte tous les jours, en particulier quand je communique avec d’autres clubs. Le constat est simple, le tennis souffre. D’ailleurs, je trouve que l’on est un peu isolé en tant que président, que l’on se préoccupe un peu trop de Roland‐Garros, même si l’enjeu est très important et que le nouveau stade va être superbe. J’aimerais que l’on puisse tous ensemble partager nos expériences, nos réussites et nos échecs pour continuer à progresser. On subit, certes, la concurrence d’autres activités, mais le tennis reste un sport attractif. C’est pour cela qu’il faut multiplier les initiatives. À Levallois, on bosse beaucoup sur l’idée de jumelage avec des clubs étrangers par exemple, et cela fonctionne.
Quand on s’appelle Henri Leconte, est‐ce que l’on peut quand même peser sur les décisions qui sont prises ?
On peut déjà s’exprimer, comme je le fais ici, en étant légitime. Est‐ce que je serai entendu ? C’est possible. Ce que je sais, c’est que je ne cherche pas une fonction ou à avoir du pouvoir, ce n’est pas mon mode de fonctionnement. J’ai appris à prendre du recul. On pense toujours que je suis un chien fou, mais ce n’est pas le cas : je suis posé, conscient et efficace. Il faut savoir mener des actions avec beaucoup de sérénité.
Avantage Leconte, c’est terminé !
L’émission, née il y a huit ans sur Eurosport, n’a pas été reconduite pour la saison 2019, une fin qu’Henri Leconte accepte avec fair‐play : « Ce fut une belle aventure et il faut savoir accepter le changement. Sur Roland‐Garros, je vais avoir une séquence intéressante, je vais devoir parler à ma façon de grands moments du tournoi. En Australie, j’ai pu faire découvrir à travers différentes pastilles les sports australiens avec mes potes Pat Cash et Boris Becker. C’est nouveau pour moi d’évoluer dans ce registre, mais c’est enrichissant. Il ne faut pas être nostalgique, mais il est certain qu’Avantage Leconte a marqué les amoureux de la petite balle jaune. »
Au chevet d’Aravane Rezaï
Henri Leconte a décidé d’aider la joueuse française qui désire faire un come‐back. Pour lui, il s’agit plus d’une affaire de cœur, car il connaît bien Aravane qui a défendu les couleurs de Levallois. « Quelquefois, il faut savoir tendre la main. Quand Aravane m’a exposé son nouveau projet, j’ai tout de suite compris que je ne pouvais pas me défiler. On a eu une belle discussion pour mettre les choses à plat et définir nos objectifs. Elle sait que le chemin sera long, mais elle a la volonté et l’envie. De mon côté, j’ai eu la chance de rencontrer les fondateurs d’Olympe Sport, une structure centrée sur la performance basée à Antony. Jean‐Pascal Dupuis (patron des urgences au CHU d’Antony), Frédéric Grossi, son directeur, et Éric Cazenave, qui est maintenant le préparateur physique d’Aravane, ont tout de suite compris notre projet. Cela a aussi permis à Aravane de se rassurer, car elle sait qu’elle peut s’appuyer sur de vrais professionnels pour se construire le physique d’une athlète de haut niveau. Côté tennis, mon team et moi‐même avons mis en place un programme en conséquence, sur le plan mental également. Tout cela se fait dans le calme, sans précipitation et avec l’objectif initial de viser le top 200. Après, une fois que tout sera en place (le physique et le mental), je suis persuadé qu’Aravane peut revenir très vite car je peux vous assurer qu’elle n’a rien perdu de la qualité de sa frappe de balle. Je suis très heureux de relever ce challenge avec elle, car tout se fait avec beaucoup d’honnêteté et de douceur. J’en profite aussi pour remercier Franck Boucher (New Balance, Yonex) qui nous a soutenus dès le début quand je lui ai expliqué l’idée. »
Publié le mardi 21 mai 2019 à 19:05