C’est au CNE au moment de Roland‐Garros que le nouveau Directeur national nous a accordé un très long entretien où il n’a jamais manié la langue de bois. Rafraîchissant.
Pourquoi avez‐vous avez décidé de vous lancer dans la compétition pour devenir DTN ? Quel document a‑t‐il fallu produire pour faire partie de la sélection ?
Cela a été à la fois simple et compliqué. C’est un long cheminement de 36 ans comportant des années d’enseignement en club, dans la ligue des Yvelines, au Centre National à Roland‐Garros, et aussi centre d’entraînement à Saint Raphaël. Dans le cadre de mes missions fédérales, j’ai eu la chance de suivre des joueuses, dont une qui était 24e mondiale à 18 ans. J’ai également entraîné pendant trois ans Magdalena Malleva (NDLR : La joueuse bulgare a été classé 4ème mondiale en 96, elle a remporté 10 titres en simple dans sa carrière). Année après année, jour après jour, j’ai donc appris, j’ai fait des constats d’échec, de régression, et de progression. Je me posais souvent la question : « Qu’est ce qu’il faudrait que je fasse au quotidien pour qu’une séance de mini‐tennis, une séance de loisirs ou d’entraînement puisse faire qu’aujourd’hui je me dise que je n’ai pas été mauvais, voire bon ? A vrai dire, la réponse s’est construite au fil du temps. En fait, il s’agit d’une recherche permanente, d’une remise en question de tous les instants. C’est cette ligne de conduite qui m’a fait comprendre que j’aime vraiment ce métier, qu’enseigner est un véritable sacerdoce et qu’il faut sans cesse se remettre en question.
Est‐ce qu’à un moment dans cette compétition, vous avez positionné votre projet par rapport à ceux de vos concurrents ?
Pas du tout, ce que j’ai proposé c’est je le répète 36 ans de vécu en clubs, en régions, dans les centres nationaux et dans le privé. Ces 36 ans de travail et d’expérience m’ont permis de faire des constats, mais aussi de constamment chercher des solutions adéquates, de nouvelles façons de penser la formation, l’enseignement, et le haut‐niveau. Notre société est plus égoïste, il faut pouvoir s’adapter. Les exigences sont de plus en plus fortes, les performances se sont améliorées, il faut donc toujours être à la pointe, en mouvement.
Nous avons eu la chance de travailler pour une personne qui s’appelle Patrick Mouratoglou. Il nous a expliqué que vous étiez allé le voir et surtout que vous lui aviez avoué que vous veniez surtout parce que vous vous sentiez obligé de le voir.
Oui, « obligé » dans le vrai sens du terme.
Visiblement vous n’aimiez pas vraiment le personnage. Au final à la suite du rendez‐vous et de votre discussion vous l’avez appelé en lui disant qu’il était très loin de l’image que vous en aviez, ou des choses que vous aviez entendues. C’est un peu pareil pour vous, on nous a dit beaucoup de choses, mais on a envie d’avoir votre analyse. Donc notre question est simple, quelles sont les qualités les défauts de Jean‐Luc Cotard ?
Je vais commencer par les défauts (silence).
Si vous voulez…
(Silence)
En un mot, et peut‐être que ce sera plus simple. Est‐ce que vous vous sentez à votre place aujourd’hui ?
Ah oui, je n’ai aucun souci là‐dessus, je suis dans mon élément.
Alors ce défaut ?
J’ai réfléchi, je dirais que je suis très impatient. De plus, je peux être ressenti comme quelqu’un qui est donneur de leçons. Et plus grave (rires), je pense être un peu « bordélique ».
Ça fait peur…
Il ne faut pas (rires). La vérité est que je réfléchis beaucoup. Mon cerveau est toujours en ébullition. Souvent je le compare à un feu d’artifice. Aujourd’hui, je suis très heureux de le mettre au service de notre fédération parce que je sais aussi qu’autour de moi, des élus, des collègues vont me permettre de bien structurer ce fameux « feu d’artifice ».
Et une qualité, une seule ?
Je dirais la spontanéité. Notre monde est trop imprégné de manque de spontanéité et de manque de vérité, d’authenticité. En fait, c’est assez simple, je pense qu’on peut tout pardonner à quelqu’un qui est honnête et spontané. En revanche, on ne peut rien pardonner à quelqu’un qui est calculateur, politiquement correct. Personnellement, je n’ai jamais été dans le calcul, cela m’est impossible.
Jean‐Luc Cotard raconte sa « plus belle réussite pédagogique »…
Récemment vous avez expliqué qu’il y a des chemins que la DTN n’a pas encore osé emprunter par tradition, par conservatisme probablement ou peut‐être parfois par manque d’ouverture, qu’est‐ce que cela veut exactement dire ?
Il s’agit de pointer notre méthodologie, notre façon d’entraîner, et surtout le fait que l’on ne regarde pas assez ce qui se fait au‐delà de nos frontières. Le constat est pourtant simple. Les projets qui fonctionnent sont des projets familiaux, et plus largement les projets individuels. Nous sommes encore trop imprégnés par un l’idée que le collectif est une valeur absolue, or ce n’est pas vrai, on en est même très loin.
- « Notre monde est trop imprégné de manque de spontanéité et de manque de vérité, d’authenticité »
Quand vous dites ça, vous remettez en cause ce qui a été fait. Est‐ce que cela veut dire qu’il y aura moins de monde au centre national d’entraînement ?
Je dis qu’il existe d’autres directions et que nous sommes en réorganisation. Toute la fédération s’est remise en cause et cela va aboutir à un nouveau mode de fonctionnement. La DTN et le CNE seront aussi au cœur de ces transformations.
Une autre chose qui nous a surpris c’est le fait que vous insistiez sur l’idée que la France est un pays de la « loose ». Nous n’avons pas franchement cette impression. Regardez le handball, le biathlon et d’autres sports où la France a beaucoup progressé. À GrandChelem, on se dit même que finalement la victoire de Yannick Noah en 1983 est la pire chose qu’il soit arrivé au tennis tricolore…
Oui probablement, je vous rejoins sur cette idée. Il aurait fallu en effet que quelqu’un gagne rapidement après.
A trop insister sur une victoire masculine en Grand Chelem, on a l’impression que les titres de Mauresmo, Pierce et Bartoli ne valent pas grand‐chose ? Est‐ce que l’on se trompe ?
Oui et il faut reconnaître que chez les filles, il y a eu durant ces vingt dernières années de très beaux exploits. Il ne s’agit pas de les minimiser.
Est‐ce qu’évoquer Yannick Noah n’est pas une mauvaise méthode ? On a l’impression que cela pèse lourd sur la génération qui est en place ?
Ce qui m’intéresse dans le parcours de Yannick Noah, ce n’est pas simplement son titre en 1983 mais la manière dont il a gravi les échelons, son cheminement personnel, familial, son histoire, et cette belle rencontre avec Artur Ashe. Maintenant c’est vrai que j’aimerais qu’il dise aux joueurs et joueuses que cela ne compte plus, qu’il leur dise que c’est à eux de reprendre le flambeau.
Est‐ce que votre nomination a été obtenue grâce à des soutiens, en somme, est‐ce que votre poste est lié à certaines amitiés ?
Je vais être clair. Je sais qui je suis, je sais ce que je vaux. Je sais qui je ne veux pas être. Je sais ce que je ne sais pas faire et surtout je ne dois rien à personne. Tout ce que je veux c’est qu’on me respecte car je respecte les autres.
Parmi tous les anciens DTN qui sont passés avant vous, lequel vous inspire le plus ?
Indiscutablement, Patrice Dominguez.
Pourquoi ?
Premièrement il y a sa photo dans mon bureau, et j’ai revendiqué cette « descendance » à la dernière assemblée générale de la FFT. Je suis un fils Dominguez. Quand il était DTN j’étais enfant et je n’ai que de bons souvenirs. Patrice aimait tous les tennis, et jamais il ne s’est éloigné du jeu, du terrain, son expertise était pointue, cela reste un exemple pour moi.
- « Je suis un fils spirituel de Patrice Dominguez »
Comment allez‐vous, dans cette citadelle qu’est la DTN, rester proche du terrain ?
En ce moment, je suis un peu dans le dur car ce n’est pas le bon timing, nous sommes en période de réorganisation mais je ne serai pas un DTN cloitré dans son bureau parisien. À terme, je veux pouvoir aller passer une journée sur un TMC, sur un 15.000 , sur un ATP 250. Il ne faut surtout pas se couper de la base, et du court, c’est dans ce rectangle que tout se passe.
On va parler un peu d’enseignement quand même ; que répondez‐vous à ceux qui expliquent qu’un professeur au sein d’un club doit faire rêver, que son niveau doit être suffisant pour en imposer sur le court ?
Pour moi, le DE qui fait rêver, c’est le DE qui démontre bien. Je dis cela parce qu’un enfant de 6, 8, 10 ans ne sait pas ce que ça veut dire 15⁄2, 15, ‑15. L’essentiel c’est qu’à n’importe quel classement l’on puisse apprendre à un enfant la bonne technique d’un coup droit ou d’une volée. On peut ne pas avoir eu un classement exceptionnel et pourtant enseigner, entraîner à haut‐niveau. C’est une réalité que l’on peut constater tous les jours sur le circuit. Si j’insiste sur la « démonstration » c’est aussi parce que l’on sait que les enfants ont beaucoup de neurones miroirs qui sont extrêmement sensibles au mimétisme. On comprend donc que le DE sera un exemple, que l’enfant voudra réaliser les mêmes gestes que lui et qu’il se doit de maîtriser techniquement les bases de notre sport. C’est essentiel.
Quel est le chantier que vous allez débuter sur l’enseignement ?
Ma ligne de conduite c’est de dire haut et fort que le seul haut niveau que je reconnais est le haut niveau d’enseignement. C’est cela le cœur de ma stratégie. Le haut niveau existe dans tous les secteurs et à toutes les étapes d’enseignement. Il ne faut rien négliger. Cela commence souvent par le fameux mini‐tennis. Donc que vous soyez au mini‐tennis ou que vous entraîniez Roger Federer, Andy Murray, c’est la même chose, la même exigence, j’ai envie de passer ce message.
- « Ma ligne de conduite c’est de dire haut et fort que le seul haut niveau que je reconnais est le haut niveau d’enseignement »
Que pensez‐vous de la formation actuelle des DE ?
Ce que je recommande c’est que ce soit vraiment les équipes techniques de ligue qui forment les DE. Je me réjouis aussi que nous soyons passés à deux épreuves de pédagogie, deux certifications de terrain. J’ai beaucoup contribué à cette décision, il faut que le terrain prime encore, c’est important.
Va‐t‐il y avoir des ouvertures vers l’étranger ? Nous avons l’impression qu’on est un peu dans l’idée que la formation à la française est supérieure aux autres…
J’ai un vieux copain grec qui a structuré des pays comme la Turquie, l’Ukraine et qui est de culture française, alors bien sûr qu’il faut s’ouvrir sur l’étranger. En revanche, notre système français reste toujours une bonne référence à l’étranger. De toute façon, je ne fais pas de différence entre un français et un étranger, un homme et une femme, s’il est bon il est bon, quelle que soit sa nationalité.
Depuis le lancement de GrandChelem, il y a dix ans, nous avons donné la parole à beaucoup de courants, de forces vives qui n’ont pas toujours le sentiment d’être écoutés, est‐ce que le nouveau DTN va tendre l’oreille ?
Évidemment, je m’y engage. Je sais que notre terreau est fertile, que les DE sont aussi des chercheurs, des professeurs qui cherchent des solutions et qui innovent. Je saurai répondre à leurs sollicitations.
Comment cela va‐t‐il se concrétiser ?
Par des contacts, des échanges, des projets à définir. Avant, l’idée c’était souvent de centraliser, or ce n’est pas toujours la meilleure formule. Il faut remettre l’athlète, l’enfant au premier plan.
Facile à dire quand on voit les réticences de certains et le système mis en place…
Ça c’est certain, on commence par l’entraînement en club, puis celui du comité, puis la ligue, et après le pôle. Et le pire c’est que l’on considère à tort que comme on est dans la structure d’après, celle du dessus, on est forcément meilleur.
Vous voulez changer tout ça ?
Ah, oui plus que fortement, le CST va avoir un rôle très important et renforcé auprès des clubs où tout se passe. On a un produit à faire évoluer qui est le club, un méga‐produit qui est la fédération et cela passe par le fait que les gens soient récompensés de leur activité. Je pense qu’il faudrait que l’on soit plus dans la notion d’objectifs et de résultats, que le DE soit un « prestataire de service » au sens noble du terme et qu’il soit rémunéré dans ce sens. Si l’activité du club se porte bien grâce à son travail il mérite d’être récompensé. Développer le loisir, avoir un pôle de compétition performant, le DE est au centre des problématiques. C’est son savoir‐faire qui permet d’avoir de l’activité et des résultats économiques, il faut donc qu’il puisse se sentir davantage impliqué.
Que préconisez‐vous ?
Je pense qu’un DE est une entreprise qui rend des services de qualités (de qualité) à une autre entité qui est le club avec ce que cela comporte en termes de relations économiques. Aujourd’hui, nous avons les moyens législatifs pour évoluer vers un modèle encore plus efficient et flexible.
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Entretien réalisé par Laurent Trupiano et Loïc Revol
Publié le lundi 24 juillet 2017 à 20:16