Le coach de Serena Williams est l’invité de ce numéro de GrandChelem où il est beaucoup question d’audace, d’envie d’ailleurs, et de défendre son patrimoine à l’étranger. Avec son académie installée en France, mais tournée vers l’international et le haut niveau, et l’actualité brûlante de l’Open d’Australie, il était essentiel de prendre le temps d’échanger avec ce passionné passionnant légèrement hors‐norme. Entretien.
Photos Chryslène Caillaud
Patrick, tu as vécu encore un Open d’Australie plein d’émotion. Si tu ne devais retenir qu’une chose ?
Ce serait évidemment les progrès des jeunes joueurs de la Mouratoglou Academy : Rudolf Molleker, 18 ans, qui se qualifie et devient le plus jeune joueur du tableau final ; Alexei Popyrin, 19 ans, qui atteint le troisième tour du tableau où il s’incline en cinq sets face à Lucas Pouille. Enfin, Stefanos Tsitsipas, 20 ans, qui sort Roger Federer et atteint les demi‐finales. Nous travaillons à leurs côtés depuis plusieurs années et les résultats au plus haut niveau commencent à arriver, alors évidemment cela fait extrêmement plaisir, même s’il reste encore beaucoup de travail à accomplir pour qu’ils réalisent leurs rêves.
Est‐ce que la montée en puissance de Stefanos Tsitsipas, que tu as détecté en 2015, te surprend ? Pensais‐tu que cela prendrait plus de temps ?
Oui et non. En fait, personne ne pensait que tout irait si vite. D’un autre côté, depuis son arrivée à l’académie, je suis convaincu qu’il deviendra un très grand joueur de tennis. Son potentiel est immense, et je pense que désormais, tout le monde en est convaincu. Je ne peux jamais savoir avec précision à quelle vitesse les joueurs vont exploiter leur potentiel. La seule certitude que j’ai, c’est que Stefanos atteindra le plus haut niveau, car il a la détermination, la capacité de travail, l’état d’esprit et le potentiel nécessaire.
Dans quel compartiment du jeu penses‐tu qu’il doive encore progresser ?
Il peut encore mieux servir et progresser au retour. Il peut également être plus efficace à la volée et s’améliorer dans le petit jeu et tout ce qui est proche du filet. Enfin, il doit avoir les bonnes intentions de jeu à chaque match pour passer le prochain cap.
Certaines personnes mettent en doute l’idée que Serena puisse décrocher son 24e titre du Grand Chelem. Est‐ce que cela t’agace ?
Non, cela ne m’agace pas du tout. Je peux le comprendre, car elle n’a remporté aucun des quatre derniers Majeurs auxquels elle a participé. Par ailleurs, de nombreuses joueuses ont montré de grosses qualités de jeu. Le pari est osé. Ce n’est pas simple de revenir à 37 ans après un an d’arrêt et après avoir mis au monde un enfant. C’est un énorme bouleversement à la fois psychologique et physique. Je rappelle qu’elle a repris l’entraînement il y a seulement 10 mois. On ne peut acheter le temps. Il faut être patient. Au tennis, tout est possible, surtout avec des champions comme Serena.
Penses‐tu, comme nous, que l’Open d’Australie est toujours le théâtre de très gros matchs, plus que sur les autres Grands Chelems ?
Je ne me suis jamais posé la question dans ce sens, mais vous avez sûrement raison. Je pense cette année au Tsitsipas/Federer, Murray/Bautista Agut, Popyrin/Pouille, et aussi aux trois combats plus qu’épiques de Nishikori, dont le dernier face à Carreño Busta. Mais je me souviens aussi de la finale incroyable entre Rafa et Novak en 2012, qui s’était achevée à 7⁄5 au cinquième set.
« Stefanos atteindra le plus haut niveau »
Patrick, le dossier de ce numéro porte sur les Français qui sont partis tenter leur chance à l’étranger. Partages‐tu l’idée que quand on est un coach formé en France, on a un bagage suffisant pour tenter l’aventure hors de ses frontières ?
Sans aucun doute, la formation française pour les entraîneurs de tennis est la plus complète au monde et permet de « s’exporter ». Je pense cependant que deux secteurs manquent et devraient être intégrés à cette formation : la maîtrise de l’anglais, qui est indispensable pour une carrière internationale – or, c’est souvent un frein majeur pour nous Français –, et l’enseignement du coaching à proprement parler. Lorsque je parle de coaching, j’entends l’art de rentrer en contact avec l’autre, d’intégrer son monde, de communiquer avec l’athlète, l’attitude que doit adopter le coach, et tous les détails de la vie quotidienne au contact de son joueur dans l’exercice de son travail.
Comment expliques‐tu que des coachs comme toi, Sam Sumyk, et tout le staff de haut niveau du Canada parviennent à être performants à l’étranger alors qu’en France, il semble que l’on ait encore un peu de mal ?
Je pense que si Sam ou le staff de haut niveau du Canada exerçaient en France, ils feraient également des résultats. En France, depuis des décennies, on a mis de côté tous ceux qui ne rentraient pas dans la norme. Or, le haut niveau échappe totalement à toute forme de norme. La FFT a évolué et depuis que nous avons changé de président, la politique de la DTN est beaucoup plus axée sur l’efficacité, les résultats. Cela va permettre à des profils plus atypiques, mais performants, de trouver leur place en France. Je trouve cela très intéressant et positif. Pour que le tennis français réussisse, il faut savoir réunir les meilleurs coachs, les meilleurs préparateurs physiques tricolores et les mettre au service du projet. Il faut même faire rentrer des étrangers lorsqu’ils sont efficaces. Cela a déjà commencé et c’est une excellente chose.
Quel conseil donnerais‐tu à un coach qui veut quitter la France ?
Je ne lui conseillerais ni de partir ni de rester, mais de suivre les projets qui lui semblent être les meilleurs pour lui. Être français à l’étranger est une chance. Nous avons, je pense, une très bonne réputation et notre formation est reconnue. Nous avons le devoir de bien représenter la France lorsque nous évoluons à l’international.
Quelle destination devrait‐il viser en priorité ?
C’est difficile à dire, mais aller aux États‐Unis, en Australie et en Europe de l’Est permet de découvrir trois manières totalement différentes d’aborder le haut niveau avec réussite. Il y a des choses à prendre de ces trois visions du sport qui sont d’une richesse incroyable.
Après ton expérience avec Serena, bien teintée d’American way of life, où aimerais‐tu te poser ?
Je n’ai jamais réfléchi en termes de destination, mais bien en termes de projet. Je réagis toujours à un joueur ou à une joueuse qui émet le souhait de travailler avec moi et dont le projet me parle et me motive. Aujourd’hui, le lieu que je préfère dans le monde, c’est ma région, la Côte d’Azur, et en particulier la Mouratoglou Academy. C’est un lieu qui transpire le tennis et l’énergie qui s’en dégage est galvanisante.
Ton académie est basée en France, mais peut‐on dire qu’elle possède des particularités liées à ses origines ?
La Mouratoglou Academy est située sur la Côte d’Azur et c’est important, car c’est une région exceptionnelle qui garantit des conditions climatiques idéales pour la pratique du tennis et la proximité (15 minutes) du deuxième plus grand aéroport français. C’est aussi une région où a été créée la terre battue (au xixe siècle), surface que j’affectionne tout particulièrement, et c’est bien pour cela que la façade de l’académie revêt cet aspect ocre. Donc oui, la Mouratoglou Academy respire les valeurs tricolores qui sont bien ancrées dans son ADN.
Y a‑t‐il dans ton académie une prime quand on est français ? Est‐ce que cela garantit un niveau suffisant pour enseigner ?
Il n’y a ni prime ni passe‐droit. J’ai voulu créer un système humain et basé sur le mérite, comme le haut niveau peut l’être.
« La FFT a évolué et depuis que nous avons changé de président, la politique de la DTN est beaucoup plus axée sur l’efficacité, les résultats »
Après le succès du Verrazzano Open en 2017, il y a eu une année de break puisque le tournoi est reconduit seulement cette année, peux‐tu nous dire pourquoi ?
Notre tournoi Challenger s’appelle désormais le Mouratoglou Open ! L’année dernière, l’académie s’est restructurée et j’ai souhaité que mes équipes se concentrent sur notre cœur d’activité, à savoir les stages d’entraînement et notre programme tennis‐études. Organiser des événements de grande ampleur reste dans notre culture et nous sommes très motivés à l’idée de repartir en 2019 sur cette aventure du Mouratoglou Open. La première édition a été exceptionnelle. Nous avons reçu des retours très élogieux, aussi bien en France qu’à l’international. Les joueurs ont salué le standing de l’événement et le public a été au rendez‐vous. Nous sommes très excités à l’idée de revenir et d’offrir aux habitants de Sophia Antipolis et de la région PACA un vrai spectacle. Situé début avril (du 1er au 7), il ouvrira la formidable saison sur terre battue.
Quelle est ton ambition pour cette deuxième édition ?
Que ce tournoi Challenger se positionne de façon pérenne dans le calendrier ATP et qu’il soit un rendez‐vous incontournable pour les joueurs, pour le public et pour nos partenaires. Ce tournoi, c’est aussi l’occasion de partager notre passion pour le tennis auprès du grand public. J’en profite pour annoncer que cette deuxième édition sera placée sous l’angle du divertissement avec comme grande nouveauté des « night sessions », une programmation d’animation encore plus dense, des soirées à thèmes, des célébrités, et bien d’autres surprises encore.
Que penses‐tu de la réforme de l’ATP sur le circuit Challenger ?
Je pense qu’il nous faut quelques années de recul pour nous rendre compte des effets positifs et des aspects négatifs. Ensuite, nous pourrons en tirer des conclusions.
Il y a beaucoup de réformes en ce moment, mais les principaux sujets ne sont pas abordés. Cela me chagrine, car c’est bien l’avenir du tennis qui est en jeu. Le coaching évidemment me tient à cœur, mais je pense aussi que la sévérité très excessive des règles pendant les matchs doit être revue pour permettre aux joueurs d’être en mesure d’exprimer naturellement leurs émotions. Il ne faut surtout pas changer le tennis, mais prendre des mesures pour que le spectacle soit plus dense et permettre aux fans de s’identifier davantage aux champions.
Murray était venu remettre le trophée il y a deux ans, est‐ce que tu vas chercher à le faire venir ?
L’académie a beaucoup d’amis parmi les top players. Nous verrons qui remettra le trophée au vainqueur cette année, nous n’avons pas encore fait notre choix [rires].
Le plateau avait été exceptionnel en 2017. Tu as forcément envie de faire aussi bien, voire mieux, non ?
Oui, évidemment, pour qu’un tournoi soit tout à fait réussi, il faut avoir un plateau sportif très relevé pour garantir des rencontres de très haut niveau ainsi qu’une belle finale. Nous avons eu la chance que ce soit le cas lors de la première édition avec un Français, Benoît Paire, régional de l’étape, en finale. Le Mouratoglou Open est aussi un tremplin pour la nouvelle génération, à l’instar de Stefanos Tsitsipas ou encore Corentin Moutet qui avaient participé à la première édition. Nous sommes plus que jamais dans cet état d’esprit.
Est‐ce que ce tournoi est aussi organisé pour permettre à des joueurs de l’académie d’en faire leur objectif ?
Évidemment, compte tenu de la qualité des joueurs de l’académie, ils y participeront et nous attribuerons des wild‐cards aux plus méritants.
Quel est ton meilleur souvenir de la première édition ?
L’ambiance. Je regardais les gens, les invités, les sponsors, les joueurs, et tout le monde était tellement content d’être là que ça donne forcément envie de recommencer ! Il y a eu beaucoup de moments d’anthologie : l’arrivée de Nicole Scherzinger qui était venue passer la journée au tournoi ; l’intervention de Cyril Hanouna qui était entré sur le court à la fin d’un match de Benoît Paire pour faire une interview surprise ; les entraînements sur les courts annexes de Grigor Dimitrov, sans oublier la remise du trophée au vainqueur par Andy Murray, no 1 mondial de l’époque, la soirée des sponsors qui a été énorme en termes d’ambiance. Bref, une immense fête du tennis !
« Nous sommes très motivés à l’idée de repartir en 2019 sur cette aventure du Mouratoglou Open »
Comment fais‐tu pour faire autant de choses à la fois, tu as une méthode ?
Si je fais beaucoup de choses à la fois, c’est parce que je suis passionné. Je conçois aussi la vie comme un voyage beaucoup trop court. Il y a tellement de choses fantastiques à faire, tellement d’aventures à vivre ! Alors j’essaie simplement de faire du mieux que je peux tout ce que j’aime le plus.
Est‐ce que la journée de Patrick Mouratoglou fait plus de 24 heures ?
Elle est toujours trop courte, ma journée ! Quand je m’endors le soir et que j’ai l’impression d’avoir pu beaucoup avancer dans mes projets, alors mon sommeil est plutôt bon. Mais c’est vrai que je dors peu, d’autant plus que j’ai cinq enfants et des hobbies, dont deux gros chiens avec lesquels je fais du dressage, c’est une de mes passions.
Quand tu penses à tes débuts à Montreuil et le chemin parcouru, qu’est-ce que tu te dis ? Que c’est une chance ? Le résultat d’un travail ? Un rêve qui s’accomplit ?
Je vis clairement un rêve, je ne peux pas le nier. J’ai la chance de vivre de ma passion, ce qui est assez rare. Je sais aussi que si j’en suis là, c’est parce que j’ai travaillé des milliers d’heures sur chaque sujet, parce que je suis habité par le tennis. J’essaie cependant de ne jamais regarder derrière, mais toujours en direction de mes prochains projets et objectifs.
Publié le mercredi 13 février 2019 à 14:02