Directeur et organisateur des Internationaux de Strasbourg, Denis Naegelen revient sur son année tennistique pour welovetennis.fr. Entretien.
Crédit photo : Chryslène Caillaud / Michel Grasso
Denis, en tant qu’observateur avisé de la petite balle jaune, avez‐vous eu un coup de cœur au cours de cette saison ?
Si je n’avais pas lu la presse ce matin (entretien réalisé le vendredi 7 décembre), j’aurais trouvé formidable qu’on nomme Amélie Mauresmo à la tête de l’équipe de France de Coupe Davis (rires). Finalement, elle va coacher Lucas Pouille et c’est déjà quelque chose de formidable. C’est important, dans les engagements que j’ai pris autour du tennis féminin, il y a cette idée de respect, de parité et de la place des femmes. Il me paraît tout à fait naturel que le tennis féminin ait une place importante, et que des femmes puissent entraîner des hommes me paraît complètement normal. Compte tenu de ses compétences et de son palmarès, Amélie a toute sa place. Elle a montré avec succès qu’elle était capable d’entraîner un mec et ce dernier (Andy Murray) dit très régulièrement que c’était une très belle expérience avec Amélie.
C’est un beau message ?
C’est un message qui doit porter ! Je suis convaincu que le développement du tennis, y compris dans sa pratique, passera par les femmes. On a réalisé différentes études et analyses qui montrent que pour le moment il n’y a pas encore une offre assez suffisante pour les femmes. Le développement passera par là.
S’il y avait un coup de gueule sur cette année tennistique ?
Rien d’important ne me vient à l’esprit. Il y a une succession de petites choses que j’aurais aimé qu’on corrige, mais je ne suis pas président de la Fédération, je ne suis pas entraîneur de l’équipe de France de Coupe Davis et je ne suis plus joueur… Je ne suis qu’un organisateur de tournoi (sourire). À ce niveau‐là, je trouve que la Fédération a joué son rôle pour aider les événements professionnels en France, tout comme la ligue. La Fédération a soutenu les Internationaux de Strasbourg et je comprends qu’elle ne puisse pas influer sur le calendrier des joueuses françaises, car si elles jouent en France, leur notoriété sera plus forte. C’est indéniable. Les garçons jouent les tournois ATP en France. Alors oui, on a une date particulière (la semaine qui précède Roland‐Garros), mais je ne crois pas que ce soit la principale raison.
Vous êtes organisateur d’un tournoi sur le circuit WTA, alors quel regard portez‐vous sur les problèmes de gouvernance dans le tennis masculin ?
Il y a aujourd’hui un vrai combat de pouvoir qui a démarré avec la restructuration de la Coupe Davis qui a apporté une réponse, peut‐être pas encore suffisante, de l’ATP. À mon sens, et c’est une piste personnelle, il existait une autre solution pour rétablir la force et l’histoire de la Coupe Davis : c’est qu’elle soit organisée conjointement par les quatre tournois du Grand Chelem. Comme ce sont les tournois les plus riches, ils auraient dû créer une société commune. Ils ont les moyens d’investir dans une compétition par nations qui aurait été rentable. C’est une piste qui pourrait être creusée plutôt que de faire appel à des fonds extérieurs qui n’ont pas la connaissance et le jugement sur le tennis. Ils achètent pour revendre et souvent le font très bien. Dans ce cas, on touche à une pièce de l’histoire du tennis et ils n’ont pas la compétence nécessaire.
« Je suis convaincu que le développement du tennis, y compris dans sa pratique, passera par les femmes »
Si on revient au jeu, quel regard portez‐vous sur le tennis féminin français ? Doit‐on être inquiet alors que finalement Caroline Garcia et Kristina Mladenovic sont encore assez jeunes…
On a un fond qui n’est plus aussi bon qu’auparavant, mais c’est aussi une question de génération. J’ai environ 50 ans de tennis et je sais qu’il y a eu des vagues avec des pics, des faiblesses et donc des trous de génération, ce qui est le cas depuis deux ou trois ans, à l’exception de Caro et Kiki. Pour être positif, il en suffit d’une. Si Clara Burel concrétise, on aura un formidable tennis féminin emmené par Caroline Garcia, Kristina Mladenovic, mais aussi Alizé Cornet qui s’accroche de manière tout à fait respectable. Il suffit que Clara Burel passe le cap pour qu’on s’aperçoive que le tennis féminin français ne se porte pas si mal. Il faut se garder de faire des généralités trop définitives.
Malgré l’absence d’une lauréate française dans les tournois du Grand Chelem actuellement, le tournoi a chaque année un plateau ultra compétitif la semaine qui précède Roland‐Garros. Quels sont vos secrets de fabrication ?
J’ai une grande expérience de l’organisation des événements et j’ai le sentiment que le sport que l’on met en avant n’est pas toujours l’essentiel dans le succès d’un événement. Il faut construire une image, une réputation et cela ne se fait pas uniquement avec les champions et championnes. Bien sûr qu’ils sont nécessaires, et si un événement n’a pas de grandes championnes à son palmarès, il va perdre en crédibilité. Mais il n’y a pas que ça. Il a été pertinent de prendre un engagement sur trois voies pour les Internationaux de Strasbourg. Le premier est le sport et il faut que les meilleures joueuses y participent. Le deuxième est la place des femmes, car on y organise des événements parallèles pour défendre la médiatisation et l’économie du tennis féminin. Le troisième est l’écoresponsabilité. On a été les premiers à se lancer véritablement un défi pour que cet événement soit le porte‐parole de valeurs vertueuses et puisse être pédagogique. Cette idée a été difficile à faire comprendre, mais on a réussi à montrer que l’on peut s’engager sur des voies parallèles qui ne touchent pas au sport et construire une réputation. On est l’événement le plus écoresponsable de France et en souriant j’ai tendance à dire au monde (rire). On est capables de dire que l’on a réduit notre trace carbone de 30 % sur les quatre dernières années. Il faut le faire savoir. On se doit de montrer aux enfants qui viennent sur le site ce qu’est l’écoresponsabilité à travers des quizz. C’est pédagogique. On est un événement qui vit dans une économie circulaire. On n’est plus seulement un tournoi de tennis. Quand je suis aux réunions de la WTA, on nous appelle le « green event ». C’est déjà une attribution et une différenciation par rapport aux autres. Ensuite, le modèle économique du tennis doit apporter des offres qui répondent aux attentes des entreprises. Je considérais qu’il était nécessaire d’apporter des prestations premium aux entreprises. C’est ce que nous avons fait. On a un succès populaire (5 000 à 25 000 spectateurs) et corporate (400 à 5 800 loges). C’est un travail de longue haleine. L’objectif suivant est de faire revenir les meilleures joueuses.
Vous sentez‐vous pionner dans le sport féminin en France ?
Je n’ai pas créé l’événement, il l’a été par la ligue qui l’a porté pendant de nombreuses années. On a repris la date lorsque la Fédération l’a mise en vente. Si j’ai repris le tournoi, c’est d’abord pour l’Alsace. Je suis Alsacien d’origine et ça me gênait vraiment que le tournoi puisse être vendu et partir à l’étranger. Ensuite, j’ai compris qu’en signant le rachat, je devenais membre de la WTA. J’étais joueur lors de sa création, avec la bataille des sexes. Aujourd’hui, la WTA est le seul circuit professionnel au monde de sport féminin qui est indépendant des mecs. Ce combat est exceptionnel et j’ai trouvé ça fantastique. Tout cela m’a encouragé à porter ces valeurs et à continuer à promouvoir le sport féminin.
Et cela vous plaît ?
Complètement, car je vois que ça progresse. On peut sortir un événement qui avait une réputation moyenne il y a dix ans et en faire un tournoi qui a beaucoup plus de notoriété. Avec de la patience et de la conviction, on arrive à convaincre les médias que c’est un support formidable. Les IS sont plus diffusés dans le monde qu’un ATP en France (135 pays). Ce sont des choses qui me plaisent.
« À la WTA, on appelle les Internationaux de Strasbourg le green event »
Quel bilan faites‐vous de l’édition 2018 ?
Le bilan est très bon et nous sommes arrivés à un équilibre financier. Néanmoins, il faut continuer à réinvestir pour continuer à progresser. Je suis très optimiste. J’ai de nouveaux partenaires qui sont en phase sur ce point. Nous avons également repris Biarritz depuis quatre ans, et avec Nathalie Dechy, nous voulons le remettre au niveau où il doit être. Nous lui avons reconstruit des fondations et nous allons pouvoir construire un nouveau projet.
Avez‐vous un rêve pour les IS ?
Je rêve que Serena vienne jouer avant qu’elle arrête (sourire). Et je veux continuer à construire ce tournoi, car je sens qu’il y a un engouement local et régional très fort. Les gens viennent avec plaisir, le village est devenu « the place to be ». C’est une satisfaction, une vraie fierté de savoir que les IS veulent dire quelque chose pour les Strasbourgeois. C’est un vrai rendez‐vous économique, social et sportif. C’est le succès du tournoi.
Enfin, c’est quoi la vie d’un directeur de tournoi qui doit convaincre les joueuses ?
C’est long, mais ce n’est pas intense. L’évolution est assez remarquable et les joueuses sont de plus en plus difficiles à être approchées. Y compris pour un directeur de tournoi. Le premier barrage est l’agent. Au début, c’était une obsession, maintenant ce n’est plus le cas. Je me rends compte que les offres financières ont du sens, comme le calendrier et le leur. Avec une date si particulière, les meilleures joueuses ne s’inscrivent pas six mois avant. Par contre, une joueuse blessée en février par exemple, ce qui était le cas de Sharapova quand elle est venue (avec un gros chèque aussi), a besoin de gagner de la confiance avant Roland‐Garros. Ce discours fonctionne et on dépend de cela. J’ai parlé de Serena, mais même si je lui offre 500 000 dollars, elle ne viendra pas. Sa priorité est de gagner le titre à Roland‐Garros. Aujourd’hui, je réfléchis, mais je ne me presse pas. Beaucoup de choses se déclenchent après l’Open d’Australie et les stratégies des joueuses peuvent parfois évoluer selon les résultats.
Publié le mercredi 19 décembre 2018 à 12:03