Arbitre émérite, juge‐arbitre apprécié et reconnu, Patrick Flodrops a vécu l’âge d’or du tennis, celui de la génération John McEnroe/Björn Borg/Yannick Noah, mais aussi celle plus moderne de Boris Becker/Stefan Edberg. Entretien.
Patrick, est‐il facile de résumer votre carrière en quelques mots ?
S’il le faut, je vais le faire. J’ai arbitré plus de 1 000 matchs ATP. J’ai débuté ma carrière en 1977 pour l’arrêter en 2000. Au début, j’officiais en tant qu’arbitre de chaise, puis je me suis orienté vers le juge‐arbitrage dont les missions me correspondaient plus. J’ai pris énormément de plaisir à faire ce métier. Ce fut une aventure passionnante.
Comment vous est venue cette vocation ?
Un jour, je me suis posé par hasard sur une chaise d’arbitre, et très vite je me suis rendu compte que j’avais un don. Je crois beaucoup à cette idée en fait, que nous ne sommes pas égaux dans notre capacité à juger des balles. Bien sûr, on peut travailler sa « technique », mais selon moi il y a beaucoup d’inné, c’est la base pour être performant.
Depuis votre époque, le rôle de l’arbitre a‑t‐il considérablement changé ?
C’est le moins que l’on puisse dire et j’en suis très heureux. Quand j’ai débuté, l’arbitre était quelque part un homme de droit divin. Il incarnait l’autorité mais aussi la vérité, et ce même s’il faisait des erreurs. Cette idée était insupportable. D’autant qu’au final nous avions seulement le droit de dire « faute » ou « bonne ». On ne nous autorisait rien, et cette situation était très souvent ubuesque. C’était pour moi un peu le Moyen Âge avec un arbitre tout‐puissant et des joueurs qui ne devaient rien dire.
« Je n’ai pas peur de le dire, John (McEnroe) était un tricheur »
Qu’est-ce qui a fait que le verrou a sauté ?
Souvent, c’est un événement qui bouscule tout. Et cela est arrivé lors d’un match entre le Français Dominique Bedel et Wojtek Fibak à Roland‐Garros en 1979. En fait, je n’étais pas désigné sur cette rencontre mais elle a dégénéré. Mon collègue André Van Der Poel, qui officiait sur la chaise, a commis une erreur dont il ne s’est jamais remis. Alors que Dominique Bedel jouait une balle de 2e set, son passing de revers sort, mais l’arbitre de chaise ne voit ni n’entend l’annonce de son juge de ligne et annonce haut et fort : « 2e set Bedel ». Fibak sort alors de ses gonds et le public, qui n’est pas dupe, commence à mettre une ambiance que je qualifierai de… spéciale. Le Polonais fait donc appeler le juge‐arbitre Jacques Dorfmann. Ce dernier demande des explications à Van Der Poel qui est complètement bloqué, incapable de prononcer un mot. J’ai donc été appelé pour le remplacer et lors de ce match, je me suis permis de descendre de ma chaise pour calmer les esprits sur chaque balle un peu litigieuse.
Et cela a tout changé ?
Bien évidemment, car il n’était plus question de droit divin. On a humanisé notre fonction, on était enfin dans l’action. Cela a aussi rassuré les joueurs car une décision pouvait être remise en cause. On a véritablement changé d’ère. Forcément, cela n’a pas plu à tout le monde au début, mais cela a été une vraie évolution. Enfin, une forme de dialogue pouvait être installée entre l’arbitre et les joueurs. Personnellement, j’en étais ravi, et ce pas uniquement parce que je pense y avoir contribué.
Oui, mais cela a aussi donné plus de pouvoir aux joueurs et certains ont vite profité de cette ouverture pour en faire un peu trop…
Vous voulez parler de Jimmy Connors, de John McEnroe. De toute façon, et je n’ai pas peur de le dire, John était un tricheur. Même s’il subissait une vraie pression de la part de sa famille qui ne lui parlait que de gagner, quelle que soit la manière, son comportement n’a jamais été sportif, il montrait tout le temps les mauvaises marques. Il était d’une mauvaise foi incroyable. Mais John est un cas vraiment à part, un cas unique, car dans l’ensemble il y avait beaucoup de fair‐play.
Est‐ce qu’arbitrer sur terre battue est plus difficile que sur les autres surfaces ?
Je n’emploierai pas le mot difficile, l’attention est différente car il y a la fameuse trace. Donc l’arbitre peut perdre pied s’il se trompe. Sur dur, il n’y avait pas cette idée jusqu’à ce que la technologie fasse son entrée sur les courts.
Parlons‐en justement. Vous avez vécu les premières expérimentations du Hawk‐Eye, comment cela s’est-il passé ?
Au départ, ce fut surtout une petite catastrophe. Cela fonctionnait mal, il y avait beaucoup d’erreurs. Les instances ont même pensé arrêter l’expérience très vite, car cela avait l’effet inverse de celui escompté. Heureusement, des améliorations technologiques ont permis de rendre le fameux Hawk‐Eye plus fiable au cours du temps, mais il s’en est fallu de peu pour qu’il soit définitivement mis au placard. Et puis finalement, il est devenu « officiel » en 2006 à Miami.
« Des améliorations technologiques ont permis de rendre le fameux Hawk‐Eye plus fiable (…) il s’en est fallu de peu pour qu’il soit définitivement mis au placard »
Aujourd’hui, est‐ce que vous seriez favorable à ce que ce type de technologie soit aussi utilisée sur terre battue ?
Oui, cela me semble logique maintenant que l’on est au point. La réticence est liée au fameux pouvoir de la trace. Ce que je sais, c’est que quand le joueur dispose de la possibilité de demander une vérification électronique, il est dans un autre état d’esprit, il ne peut y avoir de frustration ou de discussion, il doit à un moment se résigner. De ce point de vue, la technologie rend la décision indiscutable et le joueur ne peut ruminer, il doit accepter l’idée que sa balle est faute alors qu’il la voyait bonne, par exemple.
Pensez‐vous que l’on pourra avoir à terme un court sans arbitre ?
S’il s’agit juste de compter les points et de juger les balles, ce sera bien sûr possible d’un point de vue technologique, cela ne fait pas de doute. D’ailleurs, sur le Masters Next Gen [l’an dernier, NDLR], il n’y avait pas de juges de ligne. Mais un court sans arbitre, cela voudra dire que l’on oublie que son rôle consiste aussi à faire respecter le code de conduite ou à dialoguer avec les joueurs, car il peut naturellement y avoir des tensions.
Quels souvenirs gardez‐vous de cette époque ?
Le sentiment que l’arbitre a changé de statut, que le tennis était en plein boom, que ses règles devaient évoluer. J’ai aussi pris plus de plaisir en tant que juge‐arbitre car mon rôle était plus complet, c’était celui d’un manager. Le rapport avec les joueurs était également différent, même si bien sûr je n’ai pas fait ce métier pour devenir leur ami.
« Wilander n’a jamais demandé expressément à rejouer le point »
Il y a des légendes qui ont la vie dure. En 1982, lors de la demi‐finale entre l’Argentin José Luis Clerc et le Suédois Mats Wilander, sur la balle de match, le juge de ligne annonce la balle faute. Patrick Flodrops, qui officie sur la ligne de fond de court, a bien vu que la balle est bonne mais ne peut rien dire. L’arbitre de chaise, Jacques Dorfmann, annonce alors logiquement « jeu set et match » et descend de sa chaise. José Luis Clerc sort alors de son calme légendaire tant l’erreur lui semble grossière. Mats Wilander, lui, ne comprend pas vraiment la situation et s’adresse alors à Jacques Dorfmann en lui expliquant que son adversaire a vu la balle faute. Jacques Dorfmann interprète alors l’attitude du Suédois, remonte illico sur sa chaise et annonce au micro : « À la demande de Mats Wilander, le point va être rejoué », alors même que le Suédois n’a pas fait expressément cette demande et que personne n’est allé vérifier la trace. Pour Patrick Flodrops, c’est un vrai soulagement : « J’ai eu très peur que José Luis Clerc, que j’appréciais beaucoup et qui était un joueur exemplaire, puisse m’en vouloir, d’autant qu’à la suite de ce match, il avait décidé d’arrêter sa carrière. Plus tard, je l’ai croisé et il m’a rassuré sur ce point, avec la classe naturelle qu’il a toujours eue sur le circuit, un vrai seigneur. »
Publié le mercredi 25 juillet 2018 à 16:30