Alors que la pratique du tennis vit une vraie crise, il nous a semblé utile et justifié de nous pencher sur la profession de moniteur de tennis. Son rôle, mais aussi sa formation, d’autant que son statut est en pleine mutation avec la désaffection des bénévoles au sein des associations sportives. Nous avions déjà abordé le sujet dans le dossier du numéro 44 en mars 2015 intitulé : Où va le tennis en France ? Depuis rien n’a vraiment changé et sans dire que la situation s’est dégradée, il était temps d’évoquer certaines thématiques et ceci dans l’objectif certain de revaloriser le métier, de mettre en avant les initiatives pédagogiques qui fonctionnent et évoquer aussi assez largement les réformes qu’il faudrait mener à bien pour remettre le plaisir de jouer au centre du projet. Oui le tennis est un sport magnifique, il permet l’épanouissement, la dépense physique, et la réussite. Encore faut‐il créer autour de la pratique les conditions du succès et oublier certains dogmes ou théories qui sont de plus en plus éloignés du terrain, car le terrain reste le rectangle de vérité.
Pour parvenir à dresser le portrait type de l’enseignant en 2017, nous sommes allés à la rencontre de deux CTR, Stéphane Heyd de la ligue d’Alsace, et Réné Francqueville de la ligue du Poitou Charentes. Ils dressent un bilan réaliste de la profession de moniteur de tennis, profession qui n’a cessé d’évoluer.
Quand on regarde les chiffres, il semble que la profession soit attirante, y‑a‐t‐il toujours plus d’enseignants ?
Stéphane Heyd : « Je ne dirai pas cela, car les chiffres englobent tous les types d’enseignants, ceux qui font une heure comme ceux qui sont à temps plein. »
René Francqueville : « La profession vit une vraie mutation. On en demande toujours plus. On parle beaucoup de polyvalence. La culture du terrain est un objectif que l’on a perdu alors même que c’est l’essence de cette profession. »
Que pensez‐vous de la formation qui est aujourd’hui proposée aux futurs enseignants ?
SH : « Elle a été formalisée pour répondre aux exigences du diplôme de DE. Avec le recul, on peut en faire un premier bilan. La vérité c’est qu’elle est trop axée sur la volonté de former les stagiaires à des outils administratifs, sur l’idée que l’enseignant doit savoir mener un projet par exemple, manager une équipe. »
R.F : « Je pense sincèrement qu’il faudrait accepter de la recentrer sur les fondements du métier d’Éducateur Sportif. Elle veut créer des hommes à tout faire. Au final, c’est du saupoudrage. »
Constatez‐vous déjà les conséquences de la réforme liée à l’abaissement du classement requis à 15⁄2 ?
SH : « On avait beaucoup débattu à ce sujet en expliquant qu’il y avait toujours des exceptions qui pouvaient confirmer la règle mais que le classement était un critère qui nous semblait essentiel. Il faut croire que l’on n’a pas été entendu. On comprend l’idée, mais sur le terrain, la réalité dépasse quelquefois la fiction. »
R.F : « Un enseignant doit être capable de faire une démonstration, il doit maîtriser les bases de sa discipline. Aujourd’hui à 15⁄2, en général, ce n’est pas le cas. De ce fait, on perd encore du temps alors même que la durée de la formation par son volume est déjà trop courte. »
Où en est la notion de culture du tennis au sein du corps professoral ?
SH : « Je dirais qu’elle est moins présente qu’avant mais il ne faut pas généraliser car je côtoie toujours des enseignants passionnés qui ont la fibre. »
R.F : « Elle devrait être obligatoire et cultivée. Le tennis est un sport complexe à enseigner aux plus jeunes et beaucoup se lancent dans ce métier sans réelle vocation et je trouve cela très gênant. Cela devrait être important dans nos sélections. Il faut aussi dire la vérité, à savoir que l’enseignant doit être disponible et travailler la plupart de son temps le soir et le week‐end. »
Pour revenir à cette idée de polyvalence, ne faudrait‐il pas créer différents grades, spécialisations pour s’y retrouver sur les compétences de chaque enseignant ?
SH : « Ce serait une solution, car au fur et à mesure de sa carrière un enseignant trouve ses repères et son plaisir dans un domaine bien précis. Il y en a qui ont une vraie fibre commerciale, d’autres qui sont des vrais profs de terrain comme l’on dit, enfin il y a aussi ceux qui adorent coacher, entraîner. »
R.F :« Des spécialisations, c’est logique puisque cela définirait de vraies compétences. Il me paraît donc intéressant, au regard des besoins de clubs, de diversifier l’emploi par le recrutement de personnes ne relevant pas du même champ professionnel (DEJEPS – BEJEPS…) afin d’offrir une qualité de service, une vraie synergie à la hauteur des attentes diversifiées du terrain. On saurait qui fait quoi, qui est vraiment doué dans un domaine précis. Cela permettrait aussi de se perfectionner, de progresser. »
Le DE est le pilier de la pratique et de son développement, et pourtant on a l’impression à vous écouter que rien n’est mis en place pour un vrai épanouissement ?
SH : « Il y a une forme de crise de la vocation, c’est certain. Le tennis n’est plus à la mode et pourtant il est tout à fait adapté si on s’engage sur des réformes, si on sort d’un schéma qui a vécu. Il y a effectivement un vrai chantier qui consisterait à revaloriser cette profession. »
R.F : « Il n’y a jamais eu autant d’outils pédagogiques que maintenant et pourtant on enseigne le tennis de la même façon depuis vingt ans, cela ne peut pas durer, il faut se remettre en cause, c’est crucial, vital, inévitable. Cela permettrait de créer une vraie dynamique au sein des enseignants. Il est capital que nos dirigeants de clubs comprennent le bien‐fondé d’inciter leurs enseignants à participer aux formations continues mises en place. »
En tant que CTR pouvez‐vous faire bouger les choses ?
S.H : « C’est vrai que nous avons la possibilité de créer des rassemblements, de sensibiliser le corps professoral, de faire remonter les informations auprès de la Direction Technique Nationale. »
R.F : « C’est ce que nous faisons en proposant par exemple des formations qui sortent de l’ordinaire, en essayant de faire découvrir de nouvelles méthodes à nos enseignants. Alors c’est vrai que c’est quelquefois difficile de les motiver mais j’ai envie de dire que là aussi il s’agit de méthode et de contenus ».
On ne parle jamais de salaire, mais est‐ce que l’on connaît le salaire moyen d’un DE ?
S.H : « Difficile de répondre à cette question tant les statuts sont différents suivant les missions, la durée du temps de travail, la région, et bien sur le type de clubs dans lequel on enseigne. »
R.F : « C’est un sujet important car il est évident que certains clubs n’ont plus vraiment les moyens ou n’ont pas de réelles stratégies de développement qui permettent de créer de vrais emplois avec des perspectives de carrières pour susciter une vraie dynamique de club. Trop souvent on constate des clubs avec un nombre d’enseignants qui y travaillent, sur des temps réduits, sur la base forfaitaire. C’est ridicule, il faut sortir de cette manière de penser. »
On vous sent tous les deux préoccupés par la situation ?
S.H : « L’enseignant est un socle, comme le club. Et sa mission principale a été dénaturée. On voudrait avoir quelqu’un qui sait tout faire. Avec la crise du bénévolat, il arrive que tout repose sur les épaules de l’enseignant, or il fait ce métier au départ parce qu’il désire apprendre à ses élèves à jouer au tennis, à prendre du plaisir, à progresser. »
R.F : « Un goûter c’est bien, mais un goûter ça ne permet pas à un enfant d’apprendre à servir, à être autonome pour pouvoir jouer avec son copain. On se plaint qu’il n’y pas plus de jeu libre, mais j’ai envie de dire que tout a été mis en place pour que cela soit le cas. Je n’ai pas peur de dire que la profession est en crise sur ces objectifs, et en plus, elle n’a pas la reconnaissance qu’elle mérite. La faute à qui ?? »
Dernièrement, vous avez accueilli Olivier Letort dont les méthodes sont plutôt innovantes et amènent une vraie remise en question, pourquoi avez‐vous pris cette initiative ?
S.H : « Tout simplement parce que comme on l’a dit précédemment cela fait partie de nos missions. J’ai connu le travail d’Olivier par le bouche à oreille et sa venue a été appréciée, cela permet de prendre conscience qu’il n’y a pas de fatalité, que l’apprentissage, la pédagogie sont multiples et surtout qu’il y a des méthodes qui donnent des résultats concrets, rapides en termes de plaisir, de progrès. Il faut le dire haut et fort, et ne plus avoir peur de s’écarter du chemin classique. »
R.F : « Cela fait longtemps que je suis le travail d’Olivier Letort. Il a fait le constat des échecs de certaines pratiques, et il a cherché. Il a construit de nouvelles formes d’apprentissage qui fonctionnent. Comme malheureusement on n’osera jamais en parler dans les centres de formation, j’ai donc décidé de franchir le pas et de le faire venir en Poitou. Cela a été un succès, un bol d’oxygène. Comme quoi, je reste persuadé qu’il existe des solutions, qu’il faut juste avoir un peu de courage. »
Il nous semble en effet que la France reste un grand pays de tennis avec des passionnés partout sur le territoire et encore plus chez les enseignants ?
S.H : « C’est tout à fait vrai, et c’est une force. Il faudrait juste parvenir à les identifier, les faire participer plus activement à certains projets, réformes. »
R.F : « Des fous de tennis, de pédagogie, il y en a beaucoup, et il ne faudrait surtout pas résumer mes propos en laissant croire que les enseignants sont les responsables, c’est un tout. C’est un système associatif qui ne fonctionne plus et qui montre certaines incohérences. Pour moi, il faut penser à vite se retrouver autour d’une table pour échanger et trouver des solutions fruit d’expériences réussies sur le terrain. Le tennis est un sport formidable, l’enseignant doit être celui qui apporte du carburant, de la vie au club. Il est l’élément moteur de son club et non un faire‐valoir à d’autres. »
Chiffres clés :
NOMBRE D’ENSEIGNANTS EN ACTIVITÉ
1980 : 1 278
1990 : 2 200
2000 : 3 395
2010 : 5 400
2016 : 6 933
NOMBRE DE NOUVEAUX ENSEIGNANTS (NOMBRE D’ENSEIGNANTS DIPLÔMÉS PAR AN) EN :
1990 : environ 200
2000 : environ 300
2010 : 361
2014 : 294
2015 : 270
2016 : 294
Publié le mercredi 15 février 2017 à 18:30