Chargé du développement économique au sein du comité exécutif de la Fédération française de tennis, Lionel Maltese analyse pour GrandChelem les évolutions du marché économique du tennis avant de dresser les lignes directrices de la stratégie de la Fédération pour faire évoluer la situation.
L’étude menée pour les États généraux nous démontre que ce sont les bénévoles qui génèrent le plus de richesse, quelle analyse cela vous inspire‐t‐il ?
L’impact économique du bénévolat est sous‐estimé en France et n’est à mon sens pas complètement mesuré économiquement, car il existe de nombreux bénévoles qui créent de la valeur économique pour leurs associations. Je connais de nombreux élus dirigeants dans le tennis qui agissent sous la forme de mécénat de compétences et cela n’est pas intégré dans les études. Pour répondre à la question, je ne suis pas surpris car l’économie des biens, des services et des expériences tennis est en développement et les bénévoles sont au cœur de cet écosystème.
Comment faut‐il réformer le tennis amateur (et donc les clubs) pour qu’il puisse rester à cette position sachant qu’il existe une crise du bénévolat ?
Je n’aime pas le mot de réforme, je préfère parler de stratégie… Le tennis amateur, comme le sport amateur en général, est peu étudié en termes de demande et de comportement de consommation. Ainsi, les offres qui sont proposées dans nos clubs sont souvent peu adaptées aux besoins des consommateurs. C’est l’enjeu majeur à mon sens pour aider nos dirigeants de clubs. La crise du bénévolat est aussi un élément majeur, car de moins en moins de personnes peuvent ou souhaitent s’engager. Je suis d’ailleurs assez surpris que cet enjeu citoyen ne soit pas central dans le cadre de Paris 2024. Pour nous c’est le cas, nous menons de nombreuses actions pour accompagner nos élus bénévoles dans le quotidien de leur club et nous sommes conscients, avec nos collaborateurs à la FFT, qu’une meilleure connaissance des besoins du terrain est nécessaire pour mettre en place des actions utiles à la vie sociale et économique de nos clubs.
Parmi les chantiers que la FFT a présentés lors de ses États généraux, lesquels sont les plus prioritaires ?
Le club est la priorité absolue. Nous sommes dans une période où le lien social est en danger dans notre société. Le sport est un bien public et nous sommes une fédération de clubs. Un club, par définition, est à la fois un lieu socialisant et favorisant des expériences sportives génératrices de bien‐être individuel et collectif. Notre sport est un sport de club. Une autre des priorités est liée à la singularité de notre modèle social et économique avec la propriété d’une ressource événementielle (Roland‐Garros, mais aussi le Rolex Paris Masters) que nous devons développer dans un environnement politique et économique sous tension. Dans ce cadre, la promotion de la terre battue est aussi une priorité. Pour être plus précis, le lien entre le sport qui se voit et le sport qui se pratique est notre chantier clé. Nous avons l’opportunité de coconstruire avec nos parties prenantes une fédération productrice de bien‐être social et créatrice de valeur économique différenciatrice.
Quel est le rôle de locomotive que jouent fondamentalement les tournois ATP et WTA sur le territoire ?
Les tournois sont des leviers d’actions car ils sont un lieu et un moment de partage tennistique médiatisé. Nous sommes en train de travailler avec les tournois grâce à Alain Moreau, qui est aussi un homme de terrain et qui a rencontré quasiment tous les dirigeants de tournois français en un temps record. Le lien entre « tennis qui se voit » et « tennis qui se pratique » se fera via nos événements et nos joueurs locomotives. Dans cette dynamique, je peux vous dire que Jo‐Wilfried Tsonga sera un acteur et une personnalité clé dans les mois et les années à venir.
Faut‐il être fataliste à l’idée que le tennis ne soit plus dans l’air du temps ou pensez‐vous qu’il s’agisse de volonté et d’adapter sa stratégie pour continuer à ce que le tennis soit le premier sport individuel en France ?
Être fataliste voudrait dire que nous privilégions le conservatisme et la politique du « non » en nous retranchant derrière nos acquis économiques (Roland‐Garros). La sociologie de la licence est pour moi un élément central au changement opportuniste. La licence n’est qu’un service parmi d’autres et plutôt dédié aux compétiteurs qui représentent une minorité de pratiquants en termes de volume. Elle a un rôle majeur dans la vie des clubs et des compétitions de la FFT, mais le tennis est un loisir. Une réflexion et un plan d’action sur le concept de « membre du tennis français » avec des contenus attractifs pour tous feront que notre sport s’adaptera à la demande actuelle et notamment aux besoins de nos jeunes passionnés.
On dit souvent que les champions ont un effet d’entraînement. Pourtant, si on regarde l’Espagne, c’est tout le contraire. Est‐ce que l’explication de la montée en puissance du padel dans ce pays est la seule réponse que l’on peut apporter ?
Chaque pays a sa culture. Si le fait d’avoir un champion ou plusieurs champions d’exception provoquait automatiquement une augmentation du nombre de pratiquants, alors la Suisse devrait être le pays le plus prolifique… Non, les champions sont une condition nécessaire mais pas suffisante. Peu de fédérations arrivent à collaborer avec les champions qui sont des professionnels entrepreneurs avant tout. Le lien avec nos champions est historique, mais un équilibre économique et social avec eux est à reconstruire. Nos joueurs doivent avoir conscience qu’ils bénéficient d’une fédération exceptionnelle sur le plan économique. L’exemple des rémunérations en Coupe Davis en est une illustration. Concernant le padel, à la différence de l’Espagne où cette pratique est gérée indépendamment de la fédération, la FFT intègre le padel dans sa stratégie fédérale. Pour moi, le padel est une pratique complémentaire et augmente la gamme d’offres d’expériences hédoniques pour les sports de raquette. Pour faire une comparaison avec l’exemple du basket et le développement du 33 qui est une véritable réussite, le padel est une activité nouvelle qui n’est pas une réponse mais un atout dans la politique de développement des pratiques.
Publié le mercredi 25 avril 2018 à 10:34