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Sumyk : « Notre rôle, c’est de faire en sorte que l’athlète n’ait plus besoin de nou »

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Cela faisait un bout de temps que Sam Sumyk, le parrain de GrandChelem ne s’était pas exprimé dans nos colonnes. Aujourd’hui coach de l’Espagnole Garbine Muguruza la nouvelle numéro un mondial, il continue comme d’ha­bi­tude à faire progresser son athlète et surtout à remporter des titres. Entretien.

Sam, nous nous sommes rencon­trés il y a plus de 10 ans lors d’une inter­view réalisée à Roland‐Garros en 2006, qu’est ce qui a changé dans le tennis depuis cette première rencontre ?

Le tennis profes­sionnel est devenu de plus en plus indi­vi­duel. Les équipes de chaque joueuse s’agrandissent. Chacune possède son groupe, sa struc­ture, son team. C’est fina­le­ment une addi­tion de petites entre­prises avec un kiné­si­thé­ra­peute, un prépa­ra­teur mental, un prépa­ra­teur physique. Parallèlement à ce chan­ge­ment, le jeu a aussi beau­coup évolué notam­ment au niveau physique. Aujourd’hui, les joueuses sont de meilleurs athlètes qu’il y a dix ans, c’est indé­niable. Cela implique notam­ment plus d’in­ten­sité lors des matchs. C’est plus dur, plus âpre. Pour pouvoir aller au bout d’un grand tournoi, il faut avoir un corps qui tient la charge.

Que‐ce qui a changé dans ta façon de coacher ?

Déjà, je regarde de moins en moins le tennis que par le passé mais je fais surtout plus atten­tion aux détails. Avant je m’obli­geais à visionner presque tous les matchs, plus main­te­nant. Je n’ai plus vrai­ment besoin de ce « maté­riel ». Dans le haut‐niveau, j’ai compris qu’il fallait surtout s’occuper de son athlète. Qu’observer les autres n’était pas très effi­cace. Il est en effet plus impor­tant de préparer son athlète au mieux car au final quoi que l’on dise on connaît suffi­sam­ment les forces et les faiblesses des adversaires.

Quelle est, depuis tes débuts, ta plus grande satis­fac­tion en tant qu’entraîneur ?

J’aime bien entraîner le haut‐niveau car j’aime bien préparer une formule un. C’est cela ce qui m’intéresse vrai­ment. Arriver à mettre toutes les pièces du puzzle ensemble, c’est exci­tant, c’est un vrai chal­lenge. C’est à chaque fois une vraie aven­ture humaine. Ce n’est pas seule­ment un coup droit, un revers, une volée, cela ne suffit plus. Le champ d’action, la partie recherche, la partie connais­sance, le déve­lop­pe­ment, je dirais que le tennis n’est même plus en haut de la liste. Tout le monde sait jouer au tennis, les règles sont les mêmes, les courts sont de la même dimen­sion, la hauteur du filet est iden­tique : rien n’a donc bougé sauf les surfaces, les cordages, mais c’est normal on est en 2017. C’est une évolu­tion logique. Le tennis est présent mais ce qui est inté­res­sant c’est tous les autres para­mètres qui font que nous sommes dans la haute perfor­mance : nutri­tion, déve­lop­pe­ment physique, le côté émotionnel, les dyna­miques de match, avoir la bonne menta­lité. Il n’y a pas besoin d’être bon du premier au dernier point, il faut être bon quand c’est le moment de l’être et je m’aper­çois au fil du temps que ce n’est pas donné à tout le monde. C’est là où il faut être très fort et au haut‐niveau cela fait la différence.

Aujourd’hui, si on regarde ton parcours, est‐ce que l’on peut conclure qu’il y a des coachs pour les filles et d’autres pour les hommes ?

Quand on est entraî­neur, on entraîne n’importe qui, il faut être capable de faire les deux ; donc non, je ne crois pas à une forme de spécialisation.

Le “coaching on court” a été mis en place chez les femmes, il a été testé aussi chez les hommes à l’US Open lors des quali­fi­ca­tions. Penses‐tu que cela est positif pour le jeu ? Faut‐il aller encore plus loin ?

Non, c’est de la connerie. Notre rôle n’est pas d’être présent sur chaque point. Notre rôle, c’est de faire en sorte que l’athlète n’ait plus besoin de nous. Agassi disait qu’un très bon entraî­neur était celui qui emme­nait son joueur dans un espace où il n’avait plus besoin de lui. Cela signifie qu’au préa­lable tu as donné à l’athlète tous les outils dont il avait besoin. C’est cela notre objectif : ne pas créer la dépen­dance mais l’inverse. Je trouve que ce « coaching on court » ne sert à rien, cela augmente aussi la tricherie selon moi. Depuis que ce coaching existe, je l’utilise aussi parce que ma joueuse le souhaite, le coaching hors du court s’est aussi déve­loppé et il est encore plus flagrant comme si fina­le­ment il était auto­risé. Combien de fois la discus­sion d’une minute sur le court avec la joueuse change le match ? C’est très rare. De toute façon, le rapport que l’on installe avec un athlète c’est comme le médecin avec son patient, comme l’avocat avec son client, c’est de l’ordre du privé. Ce n’est pas fait pour tout le monde. Tout ce que je fais est pour elle et pas pour les autres. En fait ce « coaching on court » est une plai­san­terie, ce n’est pas une règle que j’aime, cela ne va pas avec l’idée que j’ai du coaching.

Tu as long­temps coaché Victoria Azarenka, est‐ce que le passage de la culture biélo­russe à la culture espa­gnole a été diffi­cile à gérer ?

Ce n’est pas diffi­cile à gérer, c’est autre chose. La natio­na­lité de l’athlète fait que c’est diffé­rent. Tu n’entraînes pas une Américaine comme une Biélorusse. Il y a des raisons cultu­relles, mais le plus impor­tant c’est de bien comprendre ton athlète, c’est une histoire de person­na­lité, il n’y a rien d’autre. Tu ne lui parles pas de la même façon. Ce qui est impor­tant ce n’est pas ce que tu dis, c’est ce qu’elle comprend. Une Russe ne comprend pas la même chose qu’une Sud‐Américaine. Je pense que le joueur s’habitue plus vite que l’entraîneur. Enfin dans mon cas, c’est ce que j’observe.

Après la défaite de Garbine Muguruza face à Kristina Mladenovic à Roland‐Garros, tu as fait une sortie sur Twitter qui n’est pas passée inaperçue. Avec le recul penses‐tu toujours la même chose ?

J’ai trouvé le public fran­çais médiocre, c’est mon opinion. Les spec­ta­teurs ont été nuls à sa sortie du court. C’est pour ça que j’ai tweeté, pour que les gens se rabattent aussi sur moi plutôt que sur ma joueuse, mais honnê­te­ment je ne les ai pas trouvé corrects. Ce n’est même pas de la décep­tion de ma part vu que je ne m’attends à rien de la part du public fran­çais. Et si je pense que c’est normal d’encourager une joueuse de son pays, je trouve anormal et con qu’on siffle ma joueuse à sa sortie. Qu’est-ce qu’elle a fait de mal ? Elle a tout donné. Il faut qu’on m’explique. Je n’ai vrai­ment pas aimé.

Le serpent de mer des obser­va­teurs du tennis féminin, c’est de dire que le circuit est « bancal », qu’il n’y a pas de leaders, cela t’agace d’en­tendre ça ?

Cela ne m’intéresse pas. Ce qui serait bien pour le tennis féminin, serait d’avoir à nouveau de vraies riva­lités qui durent dans le temps. C’est cela qui manque. Quand il n’y a qu’une joueuse qui gagne, cela emmerde tout le monde. Je ne veux pas le comparer au tennis masculin mais quand on regarde ce qui se passe chez les hommes, c’est assez diffé­rent, s’il n’y avait que Federer ou Nadal qui gagnaient, on s’ennuierait. Mais la vérité est que ce duo a aussi permis à d’autres joueurs de progresser et d’éclore. Je pense forcé­ment à Wawrinka, Djokovic, Murray. Quelque chose peut se créer avec le retour de Serena Williams, de Maria Sharapova et de Victoria Azarenka mais le temps nous le dira car pour l’instant il y en a deux qui ne jouent pas et la troi­sième a un peu du mal. Mais il va falloir se dépê­cher parce qu’avec l’âge qu’elles ont, cela ne vas pas durer éternellement.

Si tu avais une baguette magique, quelle mesure prendrais‐tu pour améliorer le circuit WTA ?

Je n’en ai pas (rires). Chez les filles, il y a de plus en plus de parents qui coachent et qui ne connaissent pas vrai­ment le tennis. Donc je pense que plus il y aura de vrais coachs, plus le niveau sera élevé. Cela me semble assez logique.

Pour revenir au jeu, on reproche beau­coup au tennis féminin d’être une série de clones qui frappent de tous les côtés. Sais‐tu pour­quoi si peu de filles utilisent le slice ? Les chan­ge­ments de rythme ?

Je ne suis pas d’accord avec les obser­va­teurs du tennis féminin. Je pense qu’ils ne comprennent rien. Tous les « génies du tennis » se trompent. Si tu réduis le tennis féminin à de la puis­sance unique­ment c’est que tu ne regardes pas bien. Je pense qu’une Serena ce n’est pas que de la puis­sance. Il y en a certes, mais il y a une variété, beau­coup de finesse, plus que l’on ne le croit. Quand on prend, sauf erreur de ma part, les dix dernières numéros un mondial, elles ont toutes de la variété : Amélie Mauresmo, Justine Hénin, Kim Clijsters, Serena Williams. On ne peut pas réduire le tennis féminin à la puis­sance, ce serait trop simple et ce n’est pas la vérité.

Est‐tu surpris que l’on ne fasse pas appel à toi en France pour nous aider à devenir des « gagnants » ?

Ce n’est pas vrai, j’ai déjà travaillé pour la FFT. Cela a duré 3 semaines. Après il y a plein d’entraîneurs en France qui n’ont pas, comme moi, la chance d’entraîner à très haut niveau et qui sont très bons. On a un réser­voir mons­trueux. D’ailleurs, quand j’ai besoin d’un coup de main c’est eux que j’appelle, ils sont meilleurs que moi.

Sais‐tu que le tennis en France ne se porte pas si bien que cela, on parle de la pratique plus que du haut‐niveau, as tu une expli­ca­tion à cela ?

C’est normal, on a l’iPad. Tous les « bran­leurs » sont sur l’iPad et l’iPhone. Il n’y a que cela qui les inté­resse. C’est l’évolution, notre vie actuelle. Les « medias sociaux » nous bouffent nos heures et nos jour­nées. Si on en faisait un peu moins, on passe­rait plus de temps dehors, sur un court de tennis, ou un terrain de foot. Mais on ne peut pas lutter, c’est à nous de nous adapter. Je ne veux pas faire mon vieux con, mais je préfère être dehors que de regarder la télé ou être sur l’iPad sauf quand je fais des recherches pour ma joueuse. Le reste, c’est une perte de temps.

On va aussi parler des hommes, on sait que tu es un amou­reux du jeu de Federer. Est‐ce que tout ce qu’il accompli t’étonne ? As‐tu eu la chance d’échanger avec lui ?

On ne sait pas ce qu’il fait, car comme tous les grands cham­pions, il ne montre que ce qu’il veut montrer. Mais pour­quoi à 36 ans ce serait un problème d’être à ce niveau là ? J’ai un peu de soucis avec ça. On peut prolonger le très haut niveau. Il n’y pas d’âge limite à propre­ment dit. En fait, il n’y a pas de secret, il y a du boulot, une hygiène de vie. Au final, on a tout à notre dispo­si­tion pour pouvoir le faire. Il reste que c’est un très bel exemple et un vrai bonheur d’être présent quand il est là.

On réalise un dossier sur le cinéma dans ce numéro, quel type de film apprécies‐tu ? Quel est le dernier film qui t’a marqué ?

J’aime bien les films où je n’ai pas à réflé­chir (rires). J’ai bien aimé le film À Vif avec Bradley Cooper ou encore Le Pont des Espions avec Tom Hawks car il y a une réplique qui me fait marrer, à chaque fois il lui demande « will he help you ? ». Pour À Vif j’ai trouvé ça pas mal car je me suis, par moments, iden­tifié au personnage.

As‐tu souvenir d’une joueuse qui faisait du « cinéma » sur le court, si oui, as‐tu une anec­dote à ce sujet ?

Elles en font toutes. Mais c’est normal, c’est le jeu.

On t’a connu il y a dix ans sur un banc à Roland‐Garros, où te vois‐tu où dans dix ans ?

Loin. Je me vois loin.

Retrouvez gratui­te­ment et en inté­gra­lité le numéro 60, le dernier numéro de notre maga­zine GrandChelem… Bonne lecture !

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