15 victoires en 16 matches. C’est le bilan de Marin Cilic pour le premier mois de l’année 2010. 6 victoires, 9 défaites. C’est le bilan du même homme pour les quatre derniers mois. Pas de miracle pour le natif de Medjugorje, mais une saison incompréhensible en assomption précoce, puis long chemin de croix.
Cette assomption, c’est un janvier sublime : Marin semble porter en lui quelque flamme inconnue. Il se hisse au mental, au physique et – reconnaissons‐le – au tennis jusqu’en demi‐finale de l’Open d’Australie. Cinq sets pour dominer Bernard Tomic, 6–7(6) 6–3 4–6 6–2 6–4 ; quatre pour sortir Stanislas Wawrinka, 4–6 6–4 6–3 6–3 ; cinq pour une énorme perf’ face à un Juan Martin Del Potro en délicatesse, 5–7 6–4 7–5 5–7 6–3 ; cinq, encore, pour une régalade contre Andy Roddick, 7–6(4) 6–3 3–6 2–6 6–3. Trois fois cinq sets, 4h12 de moyenne sur le court… L’énergie et le talent qu’il déploie en bluffent plus d’un. Et même Andy Murray… pendant un set seulement. L’Ecossais, fringant et plutôt frais, laisse son cadet essoufflé au pied de l’ultime marche, 6–3 4–6 4–6 2–6.
Cilic entre dans le top 10, sûr de ses forces, son service, son coup droit, sa volée. Sa dynamique impressionne : outre ses perfs australiennes, janvier le voit défendre – et brillamment – ses titres acquis en 2009, à Chennai et Zagreb. Fastes semaines qui déjà le couronnent surprise de l’année 2010 – jusqu’où ira‐t‐il ? et face aux meilleurs ? nous rejouera‐t‐il sa pièce de Pékin 2009, où il mêlait et comique, et tragique contre un Rafa rousté, au plus bas de sa forme ?
Mais, mais, mais… Son assomption s’arrête au purgatoire. Jusqu’à fin juin, il vogue du plus au moins, du très haut au très bas, cul et raquette placés entre deux chaises. Finale à Munich et huitièmes à Roland, le voilà en approche de cieux paradisiaques. Premier tour à Wimbly, la même à Indian Wells : ça tire en sens inverse et la tête sous terre. Cette période est loin d’être dégueulasse, okay, il perd contre plus fort que lui – un Verdasco à Miami, un Montanes à Monte‐Carl’, un Youzhny en Bavière, un Ferrer à Madrid, un Söder’ à Roland et un Llodra au Queen’s. Mais elle nous laisse… dubitatif. Défaites contre Garcia‐Lopez, Feliciano Lopez et Florian Mayer. Meilleure perf’ : une victoire sur Marcos Baghdatis, 30ème mondial. Y a mieux, y a moins.
Janvier jouissif, automne pourri
Et beaucoup moins, comme en témoigne la suite de sa saison. On parle de chemin de croix, de virée au Calvaire. De janvier à juin, Marin a remporté 30 matches pour seulement 11 défaites. De juillet à novembre… 10 victoires, 11 défaites. 75% de succès acquis dans les six premiers mois, ça vous cale une saison, en deux bouts bien distincts. Petit sursaut et bonne demie à Washington, mais 2 et 2 contre David Nalbandian. La suite : défaites, défaites, défaites. Marin ne connaît plus les victoires d’affilée : il perd, il perd, il gagne, il perd. Kei Nishikori, Andreas Seppi, Andreas Heider‐Maurer : on a vu des bourreaux aux noms bien plus ronflants… L’assomption 2010 aura duré un mois ; le retour sur terre, les deux pieds dans la fange, en fait d’autant plus mal.
Il faut se ressourcer durant l’intersaison. Retrouver, réentendre les fondamentaux familiaux. Repos chez papa, chez maman, Zdenko et Koviljik. Retour aux racines, vacances à Medjugorje, le berceau familial. C’est un bon gars, Marin, et il n’a pas compris ce qui s’est déréglé. Optimisme : « Je trouve que cette année a été positive. J’ai joué ma première demi‐finale dans un tournoi du Grand Chelem, j’ai réussi à défendre mes titres de l’année précédente, à Chennai et Zagreb » – sauf que là, c’est synthèse de son mois de janvier… « On a atteint les quarts de finale en Coupe Davis, avec la Croatie, où on a affronté la Serbie, à Zagreb. Ca a été un moment très important. » Okay, on le comprend, malgré la fessée de Djoko (défaite contre Novak 6–3 6–3 6–2). « J’ai eu quelques belles victoires. Et puis, je n’ai pas réussi à retrouver la forme et la qualité de jeu que je voulais. » Et voilà résumés six mois de son année. « Néanmoins, je considère tout ça comme une leçon et j’espère que ça portera ses fruits en 2011. »
« Je n’ai pas réussi à retrouver la forme et la qualité de jeu que je voulais. »
Bien dit ! D’autant que sur le fond, on est d’accord avec Marin. 14ème fin 2009, 14ème fin 2010. Un classement maintenu, une finale, deux titres et une demie en Grand Chelem, c’est « positif ». Mais lui et nous, on espérait plus, on le pensait lancé et un cap dépassé. Raté. Si ce n’est pas moins bon que l’année 2009, ses perspectives à l’horizon 2011 sont assez emmerdantes : 1 220 points à défendre, sur cinq semaines, ça fait beaucoup. Bob Brett a du travail – et ils ont commencé, il y a quelques jours, sous le soleil de Sanremo. « Le job d’un entraîneur consiste à travailler un diamant brut pour le faire devenir pur », expliquait‐il, il y a peu, dans la presse italienne. « Il faut comprendre les domaines dans lesquels le champion en herbe peut s’améliorer et travailler dur. » On imagine qu’il a déjà scanné Cilic : son service – première balle efficace, pas assez régulière –, coup droit – potentiellement terrible, mais…
Entouré de son coach australien et d’Ivanisevic – un soutien, une présence –, on le voit mal ne pas trouver de solutions ! « Goran est un ami toujours disponible », explique‐t‐il, à propos de son aîné, avec qui il travaille régulièrement. « Je suis allé le voir la semaine dernière, nous avons parlé des objectifs sur lesquels je dois me focaliser l’année prochaine. » Le garçon a l’écoute. Mais aussi les qualités… « À mon avis, Cilic peut être numéro un », affirme Goran à propos de son poulain. « C’est un joueur complet. Si on met Federer à part, c’est le plus complet de tous » – rien que ça ! « Il a tout, le problème, c’est qu’il n’utilise pas tous ses coups. Il n’est pas à l’aise avec son premier service. Je n’aime pas son lancer de balle. Il a un grand coup droit qu’il n’exploite pas. Il doit gagner le point trois fois… J’aimerais le voir monter bien plus au filet. Je lui dis : « Commence par utiliser tes armes, parce que ça commence à parler dans le vestiaire, on dit que Marin n’ose pas y aller… » Parfois, il oublie combien il est fort. Il est le futur du tennis, c’est une star, il doit trouver la solution pour gagner les matches, même s’il n’est pas le meilleur à chaque fois. On s’en fout de la manière ! Moi, j’ai gagné plein de tournois sans forcément bien jouer à chaque fois. Lui, il veut trop bien jouer. Bon, je ne lui en dis pas trop non plus pour ne pas casser son rythme et qu’il soit confus… » L’écoute, les qualités… et l’humilité : « Marin est un exemple de correction, que ce soit sur le court ou en‐dehors. C’est un exemple pour les jeunes. » C’est… son curé de toujours qui le dit, le Père Branko Rados. Oui, car Marin « vient d’une famille profondément catholique », on vous l’a dit, le garçon est un gendre idéal pour nos vieilles belles‐doches.
Le talent est là, les clefs à disposition… Reste à exploiter tout ça et, comme le dit Bob Brett, « à améliorer » les secteurs nécessaires pour retrouver une dynamique plus conforme au statut du Croate. Et, peut‐être, vivre, en 2011, une assomption totale vers les sommets du tennis mondial.
Publié le samedi 11 décembre 2010 à 10:30