Dans le rétro, quelques balles le long des lignes. Quelques joueurs ayant fait l’Histoire. Des anecdotes, des matchs, des lieux : le tennis écrit depuis longtemps sa légende. Parce qu’aujourd’hui ne se comprend qu’à travers hier, parce que les histoires sont belles, WLT vous propose de revivre, les lundis et jeudis, certains grands moments de tennis. Aujourd’hui, le culot de Michael Chang contre Ivan Lendl à Roland Garros, en 1989.
Huitième de finale de Roland Garros, 5 juin 1989. Ivan Lendl, numéro un mondial incontesté, roi de la terre battue et triple vainqueur du tournoi, affronte Michael Chang. C’est clair, c’est écrit : le match ne durera pas. Lendl ne va faire qu’une bouchée de l’Américain, 17 ans seulement. Il va le corriger. Mais tout le monde se trompe. Car ce jour‐là, le tennis découvre l’audace du jeune garçon, le culot de la jeunesse, dit‐on. Celui du talent, aussi.
La présence de Michael Chang à ce stade de la compétition n’est pas franchement surprenante. Malgré son jeune âge, l’Américain est déjà 19ème joueur mondial. Étonnant de précocité, il remporte l’année précédente son premier tournoi sur le circuit ATP, à San Francisco. Mais un gouffre le sépare encore des plus grands. A Roland Garros en 1988, John McEnroe le corrige 6–0 6–3 6–1. Ivan Lendl, qui n’a pas quitté le Top 3 depuis 1982, est donc logiquement favori. Et les deux premiers sets vont dans ce sens : 6–4 6–4. Chang ne peut rien. Mais, dos au mur, l’Américain prend plus de risques. Ses revers long de ligne font mouche. Le rythme s’accélère. La foule se prend à rêver d’un exploit, et soutient désormais ouvertement ce gamin qui bouscule la hiérarchie. Le troisième set est pour Chang, 6–3. Pris de crampes dans le quatrième, Michael se rue sur ses bouteilles d’eau à chaque changement de côté, pour tenter de tenir encore. Au bout de l’effort, il remporte la manche, 6–3, et s’offre un cinquième set. Tout cela est déjà fou, mais le meilleur reste à venir.
Une bataille psychologique
Lessivé, cuit, cramé, Chang parvient tout de même à prendre les devants. Il a breaké le numéro un mondial et sert pour mener 5–3. Vient alors cette folle inspiration, à 15–30, alors que la perte de ce point offrirait deux balles de break à Lendl. Chang fait rebondir la balle, regarde son adversaire et… sert à la cuillère ! Lendl, évidemment surpris, n’a d’autre choix que de monter au filet et renvoyer tant bien que mal cette improbable – mais néanmoins géniale – mise en jeu. Chang termine le travail sur un passing qui frôle la bande du filet, et gagne le jeu dans la foulée. Incroyable. Le public n’en revient pas, bien conscient d’assister à quelque chose qui dépasse le simple cadre du sport. C’est une bataille psychologique. Mais elle n’est pas tout à fait terminée.
Sur le service de Lendl, Chang se procure deux balles de match : 15–40. Là, alors que la première balle ne passe pas, Chang s’avance jusqu’à la ligne de service. Lendl est dérouté : comment servir quand votre adversaire se situe presque là où la balle doit rebondir ? Doit‐il changer quelque chose, ou au contraire conserver ses habitudes ? Les questions fusent, et le numéro un craque. Double‐faute. Chang s’écroule. Il vient de sortir le favori de la compétition, 4–6 4–6 6–3 6–3 6–3 en 4h38. L’Américain remporte même le tournoi en battant Chesnokov puis Edberg en finale, à 17 ans et trois mois, un record en Grand Chelem. Ce service, et cet incroyable placement en retour, accompagneront Chang à jamais. Il se hissera jusqu’à la deuxième place mondiale, en 1996, et remportera 34 titres en carrière, sans jamais regagner un Grand Chelem.
Retrouvez les premiers numéros de cette série Histoire :
« Dans le rétro n°1 : Bruguera / Champion, 1993″
« Dans le rétro n°2 : Frank Hadow, l’inventeur du lob »
Publié le mardi 23 juillet 2013 à 10:15