Gilles Simon a donc tiré sa révérence.
Durant sa carrière, alors qu’il était en activité, il a rarement accepté des longs entretiens. Pour se justifier, il expliquait que finalement les médias ne comprenaient pas grand chose au métier de joueur de tennis professionnel.
On avait eu la chance qu’il accepte de nous parler en mars 2017 en marge du Masters 1000 de Monte‐Carlo. Cet entretien prend encore plus de sens maintenant que Gilles a rangé sa raquette.
On vous le propose donc exceptionnellement en intégralité :
Lorsque tu rangeras ta raquette, qu’aimerais-tu que l’on dise de toi. Quel mot symboliserait ta carrière ?
J’aimerais que l’on ne dise rien de moi. De toute façon, cela ne m’intéresse pas.
On y vient, on a l’impression que l’exercice avec les médias te pèse, on se trompe ?
Évidemment que cela me pèse car vous êtes toujours à côté de la plaque. Sur la durée, c’est fatigant, lassant. J’essaye pourtant à chaque fois d’être didactique mais je ne sais pas comment dire. Vous ne changerez jamais. Rendez vous compte que j’ai souvent dix fois la même question. Aujourd’hui, le thème c’était Novak Djokovic et le fait que vous aviez décrété qu’il n’est plus le même (NDLR : L’entretien a été réalisé à Monte‐Carlo après sa défaite en trois sets face au Serbe au 1er tour). Or l’idée qu’il a changé ça ne veut juste rien dire du tout. Comme tous les êtres humains, il a des hauts et des bas. Mais pourquoi voudriez‐vous qu’il ait changé ? Cela reste le même joueur quoi qu’il se passe. En fait, vous vivez en cercle fermé, c’est votre gros problème.
Y‑a‐t‐il une solution pour que l’on s’améliore ?
Oui, il faut regarder ce qu’il se passe sur le terrain et pas ce que vous avez envie de voir. Le problème c’est que vous écrivez beaucoup, notamment avant le match en expliquant souvent ce qu’il va se passer et si par malheur le match ne tourne pas comme vous l’avez prévu vous ne changez pas d’avis. C’est consternant.
C’est le cas pour tous les interlocuteurs ?
Non, certains sont plus pertinents que d’autres car ils connaissent mieux le jeu. Mais pour résumer la situation, si je bats Novak aujourd’hui quoi qu’il arrive c’est lui qui aura fait un mauvais match. C’est déjà écrit qu’il ne va pas bien. Donc on m’aurait même volé ma victoire. C’est cela qui est dingue. Alors, j’ai envie de vous dire que si vous voulez bien faire votre travail il faut juste bien regarder ce match comme celui de l’Australian Open en 2016 et à ce moment là peut‐être que vous pourrez avoir un avis objectif.
Est‐ce que votre rôle n’est pas de nous éduquer, de nous donner des clés ?
C’est ce que j’essaye de faire constamment mais j’ai l’impression que c’est inutile, que cela ne peut pas changer. Après je suis aussi le seul dans cette position car je ne gère pas mon image médiatique, cette idée ne me concerne pas.
Les autres ne feraient que ça alors, ils répondraient tranquillement à nos questions idiotes pour gérer leur image ?
Là vous interprétez. Chacun dit ce qu’il veut et il y en a qui expliquent aussi ce que l’on veut entendre. Moi, j’essaye simplement d’être juste. Et pour revenir par exemple à mon match face à Novak Djokovic, j’aimerais bien qu’un journaliste soit capable de m’expliquer pourquoi et comment Novak Djokovic était moins bien aujourd’hui qu’à l’Open d’Australie où il avait commis 100 fautes directes.
Le problème semble insoluble puisque vous êtes sur le terrain et que nous sommes en tribunes…
Oui, mais je le répète votre avis ne dépend pas de ce qui se passe sur le court alors que c’est votre travail normalement de regarder le match et d’essayer de comprendre ce qui se passe.
Est‐ce lié à un manque de culture tennistique, de formation ?
Je dirais que c’est une habitude, une routine. Je répète, vous vivez en circuit fermé. Vous racontez toujours la même chose encore et encore.
Et les consultants, ils sont plus compétents ?
Pas toujours, car à la fin, le consultant va vivre dans votre milieu, et il sera contaminé. Ce qui est terrible c’est que l’on demande souvent au consultant de nous expliquer ce qui va se passer. À partir du moment où on lui demande de nous dire ça c’est foutu car il va vouloir voir ce qu’il a dit. Jamais je n’ai entendu un consultant dire : je ne sais pas. Pourtant ce serait souvent la bonne réponse.
Et vous le poste de consultant, ce n’est pas quelque chose qui vous attire ?
C’est hors de question car cela représente tout ce que je déteste.
Si on vous écoute, les conférences de presse d’après match ne servent à rien ?
Je crois qu’elles sont assez inutiles mais c’est comme ça.
Donc vous ne serez jamais consultant mais peut‐être coach, directeur d’une académie, d’un tournoi ?
J’ai effectivement envie d’être actif quand ma carrière sera terminée. Pour l’instant ce n’est pas encore d’actualité. De toute façon, le tennis est ma passion donc je ne me vois pas l’abandonner. Et pour revenir au poste de consultant, ce n’est pas être dans l’action, il s’agit juste de raconter des histoires.
Lors du média day à Monte‐Carlo, Jo‐Wilfried Tsonga a pris le soin de lire une lettre pour faire une mise au point avec les médias, qu’en penses‐tu ?
Je ne peux pas répondre à cette question car je ne sais pas ce qu’il s’est réellement passé. Cela ne m’intéresse pas. De plus, si je veux savoir ce que pense Jo, j’ai une solution simple, je l’appelle et on discute. Là sur cet événement, tout sera un peu déformé donc le mieux au final c’est d’aller à la source. Après pour Jo, c’est particulier.
Pourquoi pour Jo c’est particulier ?
Je dirais qu’il y a des joueurs qui sont assez soucieux de ce que les médias disent d’eux. Cela peut les toucher, les blesser. De fait, quand ils pensent que les choses publiées sont inexactes ou nuisent à leur image, ils y répondent en voulant rétablir leur vérité. Moi, à vrai dire, je ne suis pas cette logique. Je ne vous donne même pas ce pouvoir. Écrivez ce que vous voulez, cela m’importe peu, je ne le lis même pas. C’est drôle parce que parfois j’ai même été menacé. On m’a expliqué que mon attitude pouvait avoir des conséquences que je n’évaluais pas comme celle de me faire une « mauvaise presse ». Cela m’a fait sourire. Après je comprends aussi que cela puisse être désarmant pour vous car vous n’êtes pas habitués à ce que l’on tienne ce discours. Je déplore d’ailleurs cette situation mais il faut bien reconnaître que seule l’image compte dans ce cirque médiatique. Et ce petit « délire », je ne veux pas en être complice. Il se dit beaucoup de choses, les entourages jouent aussi un rôle important. On a essayé de m’expliquer que c’était déterminant, qu’il fallait que je m’y soumette. Je cherche toujours à comprendre pourquoi.
On ne peut vous contredire sur ce point, mais est‐ce que les réseaux sociaux n’ont pas aussi accéléré ce mouvement ?
On est tous différents. J’ai deux trois neurones qui fonctionnent correctement. Donc si je devais dire des choses adéquates pour être aimé, je t’assure que je saurais le faire. Mais je n’ai pas ce besoin. Je veux juste dire ce que je pense. Et je ne veux pas que les médias ou qui que ce soit ait une emprise sur moi. Roger Federer, le jour où il fait un revers dans le filet et que le stade se lève contre lui, il est perdu. Il fait de la « com » toute la journée. Il enchaîne les interviews comme une machine. Il peut faire cela pendant trois heures. Et cela a visiblement une bonne influence sur son mental. Il a besoin de ça. Quand tu le joues à Roland‐Garros, les gens sont pour lui. Ils pensent qu’il est français.
La recherche de reconnaissance, ce n’est pas donc pas votre truc ?
Non, quand j’ai fini mon match, je sais si j’ai été bon ou pas. Je n’ai pas besoin de raconter des histoires.
Avec ce constat, avez‐vous conscience de vous marginaliser un peu ?
C’est ce que l’on me dit. Mais en 10 ans, personne n’est venu me voir en me prouvant que je disais des conneries. Donc maintenant, je fais ma conférence de presse et tout va bien.
On va finir sur un sujet qui vous tient aussi à cœur, la Coupe Davis. Vu de l’extérieur, les années passent et l’ambiance ne change pas vraiment..
(Il marque un temps d’arrêt). La Coupe Davis est un sujet qui est plus dur moi. Tu as compris pourquoi ? J’aime bien poser des questions parce que cela t’oblige à réfléchir (rires).
A cause de l’idée de la nation ?
Non, tout simplement parce que ce que je dis n’implique pas que moi, mais l’équipe. Donc c’est le seul moment où je suis aussi obligé de lire ce qu’il se dit. Mais cela fait partie des règles du jeu, je le sais.
J’insiste. Pour nous, il y a cacophonie au sein du team France, partagez‐vous ce point de vue ?
Je ne partage pas cette idée. Chacun a le droit de parler. L’essentiel, c’est que cela soit fait dans l’idée d’aider le groupe. Et donc forcément le groupe est plus fort que l’individu. Il faut donc savoir se fixer des limites. Quand on joue pour soit on est forcément centré sur ce qui nous fait du bien. Là, le groupe doit passer avant donc il ne s’agit pas de dire des choses qui peuvent nuire à la cohésion de l’équipe.
Ok, ça j’ai compris, mais qu’en est‐il concrètement de l’ambiance entre vous ?
En 10 ans, il n’y jamais eu de problèmes de joueurs. Il n’y a jamais eu de propos négatifs de Richard, Jo, Gaël ou Moi nous concernant. C’est tout ce que je peux te dire.
Publié le mercredi 23 novembre 2022 à 12:22