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Andre Agassi, l’entretien

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Deuxième chapitre de nos grands témoins pour présenter la sortie de notre tome trois de la collec­tion Welovetennis, « Rafa, mon amour » (le premier est consul­table ici !). Notre invité n’est autre qu’Andre Agassi. Présent à Roland Garros lors de la finale, cette année, le Kid de Las Vegas connaît bien le Majorquin… Oui, c’est Rafa qui l’a battu pour le dernier match de sa carrière sur le gazon de Wimbledon, en 2006.

« Rafa, mon amour » est le troi­sième livre de la collec­tion We Love Tennis. Après « Grand Chelem, mon amour », qui dessine le pano­rama d’une décennie à travers 40 matches de légende ; après « Roger, mon amour », qui explore, en profon­deur, la nature du mystère Federer ; voici venir un nouvel ouvrage de réfé­rence sur Rafael Nadal. Comment le Majorquin s’est-il construit, au fil des ans, l’image qu’on lui connaît ? D’où lui viennent cette gémel­lité, ces deux visages si diffé­rents sur et en‐dehors du court ? Pourquoi son person­nage public est parfois si délicat à comprendre ? « Rafa, mon amour » tente de répondre à ces questions. 

« Rafa, mon amour », un livre de Simon Alves, Rémi Capber, Pauline Dahlem et Laurent Trupiano – Editions Flora Consulting – Sortie : novembre 2013 – déjà dispo­nible en pré‐réservation sur www.kdotennis.com

Rafael Nadal a gagné Roland Garros à huit reprises. A quel point trouvez‐vous cela monumental ?

Quand on y réflé­chit, c’est sans doute quelque chose qui ne se repro­duira plus jamais. Rien que le fait de le dire, comme cela… Cela vous place le truc. C’est un accom­plis­se­ment extra­or­di­naire. Borg avait gagné cinq fois d’affilée à Roland et on ne pensait pas que ce serait un jour égalé. Rafa a déjà gagné huit fois, il n’a perdu qu’un match, n’a été poussé que deux fois au cinquième set… Je ne pense pas qu’on assis­tera de nouveau à un exploit pareil, tous sports confondus. C’est abso­lu­ment incroyable.

Et ce n’est pas encore fini ! Rafa est jeune, il n’a que 27 ans…

Oui. Et cela va dépendre de son corps, de la manière dont il va tenir. Je pense qu’il va tenir, parce que Nadal va tirer des leçons du passé. Il sait désor­mais ce que cela coûte de trop jouer, de prendre les mauvaises déci­sions. Il est désor­mais conscient de la fragi­lité de son corps et de son physique. Ceci étant dit, je pense qu’il va beau­coup plus se concen­trer sur ses choix de program­ma­tion, de manière à être prêt pour les grands événe­ments. Peut‐être qu’il va mettre un peu moins l’accent sur les tour­nois de moindre impor­tance. C’est une bonne chose pour le tennis, parce qu’on a besoin de pouvoir compter sur un cham­pion comme lui aussi long­temps que possible.

A terme, doit‐il se concen­trer unique­ment sur Roland Garros et un peu moins sur les autres Grands Chelems ?

C’est sûr que cela va être de plus en plus compliqué pour Nadal de gagner ailleurs que sur terre battue. Quand Djokovic, Murray et lui‐même jouent leur meilleur tennis, je les classe dans cet ordre : Djokovic en numéro un, Murray en numéro deux et Nadal en numéro trois… sauf sur terre battue. Cette géné­ra­tion est remar­quable, ces joueurs ne laissent que des miettes à leurs pour­sui­vants. Quant à Nadal, je pense qu’il peut gagner encore plus de tour­nois majeurs. Il ne va pas unique­ment se concen­trer sur Roland Garros, il va aussi essayer de gagner les autres. Maintenant, s’il ressent des douleurs lorsqu’il joue sur dur, peut‐être qu’il devra faire l’impasse sur un tournoi comme l’US Open. Mais, s’il n’a pas mal, alors pour­quoi pas jouer et gagner ? Il va se donner toutes les chances de remporter les Grands Chelems qu’il s’estime capable de remporter. Le tout, en ayant en tête un objectif : faire durer sa carrière au maximum. Son but est certai­ne­ment de gagner le plus de tour­nois majeurs possible. Combien a‑t‐il de Grands Chelems aujourd’hui ?

Déjà 12…

12… C’est déjà incroyable. Je me souviens de sa première victoire à Roland Garros. Il avait clamé au monde entier que son rêve était de gagner Wimbledon. Brad Gilbert, moi‐même et plein d’autres personnes avions alors rigolé. Mais, dès l’année suivante, il était arrivé en finale à Londres. Un gars nommé Federer l’avait battu. Et puis, l’année d’après, suite à une nouvelle victoire à Roland, Nadal était de nouveau finale. Et, malgré encore une défaite, il répé­tait qu’il voulait gagner ce tournoi, qu’il ferait tout pour y parvenir… Il a fini par y arriver… A l’époque, Federer avait gagné 12 ou 13 Grands Chelems. On se disait qu’il était et reste­rait le meilleur joueur de tous les temps. C’était dingue. Aujourd’hui, on voit que Nadal en est déjà à 12. Dont huit Roland Garros – c’est juste exceptionnel.

« Revenir en aussi peu de temps
comme Nadal, je crois que je n’avais
jamais vu ça auparavant. »

Que pensez‐vous de ce retour si rapide au haut niveau ? Pourriez‐vous nous parler de la récu­pé­ra­tion après une blessure ?

Me concer­nant et ce qu’on m’a toujours dit, c’est qu’il faut le temps de l’immobilisation plus la moitié de ce temps pour retrouver son niveau d’avant. Si vous vous arrêtez deux ans, il vous faudra trois ans pour revenir. Regardez Del Potro, il a dû arrêter un an après sa victoire à l’US Open. Et cela lui a pris un an et demi pour retrouver le tennis qui peut de nouveau lui permettre de faire partie des préten­dants à une victoire en Grand Chelem. A un moment donné, durant ma carrière, j’ai dû m’arrêter pendant deux ans. Et c’est deux ans après avoir repris que je me suis retrouvé en finale de Roland Garros. Pour Nadal, il a été immo­bi­lisé sept mois. Quand il a repris, je me suis dit qu’il lui faudrait au moins un an avant de retrouver son niveau. Alors quand je le vois jouer aujourd’hui… Je ne m’attendais pas à ça. Je pense qu’il a pris les bonnes déci­sions tout au long de son processus de retour. Malgré cela, quand il est arrivé à Roland Garros, lors de ses premiers tours, je le trou­vais moins en forme qu’à Rome et je me suis dit qu’il en avait peut‐être trop fait. Je pensais que Djokovic avait été plus profes­sionnel dans sa prépa­ra­tion avec pour seul objectif la victoire à Paris. Il s’était employé à gagner tout de suite sur terre battue, à Monte Carlo, et ensuite avait géré son plan­ning. Il semblait frais, parfai­te­ment prêt. Je pensais qu’il allait le faire. Mais non, la faute à un Nadal déjà revenu à son meilleur niveau. Revenir en aussi peu de temps comme Nadal, je crois que je n’avais jamais vu ça auparavant.

Nadal est vrai­ment à 100%, aujourd’hui ?

Je ne pense pas. Il n’est pas exac­te­ment le même qu’avant. Mais il est telle­ment plus fort que les autres sur terre battue qu’il n’a pas besoin d’être à 100% pour gagner. C’est vrai pour tous les joueurs, sauf un : contre Djokovic, il doit être à 100%. Il le sait. Cette année, à Roland Garros, il a réussi à produire son meilleur tennis dans le match qu’il fallait. C’est à cela qu’on recon­naît les cham­pions. Je n’ai pas pu voir toute la rencontre, d’ailleurs, j’étais dans l’avion. Mais, à l’aéroport, j’ai pu regarder un jeu, à 4–3 au cinquième. C’est là que Djokovic a perdu un point après avoir touché le filet. Je me demande bien ce qui a pu se passer dans sa tête à ce moment‐là pour qu’il agisse ainsi… Il doit encore en faire des cauche­mars. Nadal était tout au fond, dans un coin du court, Djoko n’avait pas besoin de contourner la balle comme cela pour smasher. Le point était tout fait. Et derrière, il aurait mené 5–3. Mais, voilà, c’est le sport. Et le sport est cruel (sourire).

Aujourd’hui, vous regardez plus de tennis que lorsque vous jouiez ?

Oui. J’en profite beau­coup plus qu’avant. Quand je jouais, je devais penser à moi et à mon jeu. C’était diffi­cile d’apprécier les matches. Mais, aujourd’hui, c’est diffé­rent et j’en profite au maximum.

Quel est votre joueur préféré du Big Four ?

J’apprécie et je respecte telle­ment chacun de ces joueurs qu’il me serait impos­sible d’en choisir un. Regardez Djokovic : il a commencé le tennis dans un pays en guerre et est devenu un athlète excep­tionnel, doté d’une qualité de dépla­ce­ment remar­quable. Regardez l’engagement que met Nadal dans son jeu, il a donné une autre dimen­sion à ce sport. Regardez la faci­lité de Federer. Regardez Murray, ses qualités défen­sives et ses atouts offen­sifs, qu’il doit encore déve­lopper. Mais regardez aussi Ferrer. Ce gars a peut‐être accompli encore plus que ces quatre‐là réunis. Je veux dire… Faire partie de cette géné­ra­tion et être numéro cinq – et mieux encore, main­te­nant ! – depuis 10 ans avec ses capa­cités… Combien de joueurs d’1m75 font partie du top 100 ? Ce que fait Ferrer est remarquable.

Vous êtes inquiet pour le futur du tennis ? Quand cette géné­ra­tion partira…

Il y a un risque que le tennis ne progresse plus, effec­ti­ve­ment. Chaque sport a ses cycles. Il faudra peut‐être attendre cinq ou sept ans pour avoir de nouveau un grand cham­pion. Mais je ne crois pas qu’on puisse comparer des géné­ra­tions avec d’autres géné­ra­tions. On peut comparer des cham­pions placés dans le contexte de leurs propres géné­ra­tions. Si le tennis ne progresse pas dans les années qui viennent, nous atten­drons seule­ment la prochaine géné­ra­tion (sourire).

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