Une matinée ensoleillée, une terrasse de restaurant et une plage guadeloupéenne à quelques pas. Benoît Paire termine son petit‐déjeuner et vient s’assoir à notre table : le voilà prêt à parler. La vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Alors qu’on lui donne une image de joueur mal élevé, colérique et ingérable, c’est un jeune homme souriant, courtois et droit qui se présente à nous. L’espoir terrible du tennis français est un garçon formidablement sympathique. Et franc. Très franc. Tous les sujets y passent : ses débuts difficiles ; ses problèmes de comportement ; son style de jeu ; ses ambitions… Jusqu’à son clash avec Michael Llodra, à Miami. Sans oublier son admiration pour Roger Federer et son amitié avec Stanislas Wawrinka. Portrait d’un très beau caractère.
Un entretien à retrouver dans GrandChelem 33, le dernier numéro spécial chaussures.
Benoît, j’ai pu lire que tu avais hésité entre deux sports quand étais plus jeune : le tennis, évidemment, mais aussi le foot – comme beaucoup…
C’est vrai ! Plus jeune, je jouais au foot et au tennis. Le tennis, parce que mon père était Président d’un petit club. Du coup, forcément, j’ai commencé assez tôt, à l’âge de cinq ans, comme mon frère. Et le foot, c’est l’un des sports que j’adorais. Mais, au bout d’un moment, c’est devenu compliqué de pratiquer les deux.
Qu’est ce qui a fait pencher la balance en faveur de la petite balle jaune ?
C’est simple : si j’avais choisi le foot, j’aurais dû partir dans un centre de formation dès l’âge de 13 ou 14 ans, assez loin de ma famille. Or, moi, j’étais très, très proche de ma famille. Le choix s’est fait là‐dessus. Le tennis, je pouvais y jouer chez moi, tranquillement, avec mes parents et mon frère. Franchement, je ne me sentais pas prêt à partir. C’est ça qui a conditionné mon choix.
C’est fort, cette proximité familiale… On sent que c’est quelque chose qui régit ta vie.
Oui, absolument, c’est vraiment très important pour moi. J’ai mes parents au moins trois fois par jour au téléphone (rires) ! Mais j’en ai besoin, c’est mon cadre de vie. Il faut que je leur parle souvent. Leur soutien est primordial. C’est vraiment ce qui m’a manqué, quand j’étais au CNE. Mais je pense que l’on y reviendra, non ? (Sourire)
En effet, c’est au programme ! (Rires)
Voilà, moi, ça a été un petit peu dur cette période. Quand je suis rentré dans le sud et que j’ai trouvé mon entraîneur à Aix‐en‐Provence, j’ai à nouveau été très proche d’eux, il y a une complicité qui s’est recréée. Pour moi, c’était top.
Après avoir débuté dans le club de ton père, tu es allé à l’Académie Sophia Antipolis. Ça s’est fait comment ?
En fait, jusqu’à l’âge de 13 ou 14 ans, je faisais partie des meilleurs joueurs français. Du coup, je m’entraînais avec des bourses de la Fédération. A partir de 15 ans, j’ai un peu lâché… Je ne m’entraînais plus beaucoup, je n’étais vraiment pas sérieux, je m’énervais énormément sur le terrain. J’ai commencé à régresser petit à petit. Jusqu’à ne plus être que le 20ème joueur de ma catégorie d’âge. Là, tu imagines bien que j’ai commencé à douter. Est‐ce que j’arrêtais le tennis ? Est‐ce que je reprenais le foot ? J’étais perdu. Et je ne te parle pas des études… Ce n’était vraiment pas ça ! Je détestais. C’est à ce moment qu’une personne proche de mon père est venue le voir et lui a dit : « Ecoute, je crois en Benoît, moi. Je pense qu’il peut faire quelque chose là‐dedans. Je suis prêt à lui payer une année où il le souhaite. » Au début, mes parents ont un peu hésité. Mais ils se sont dit que je n’étais pas bien du tout et qu’il fallait faire quelque chose. Ils ont accepté… et j’ai choisi d’aller à Sophia Antipolis, chez ISP, puisque c’était dans le sud. Ca a été un petit déclic : je me suis rendu compte à quel point l’entraînement était important. En plus, c’était quelqu’un d’autre que mes parents qui payait… Je me devais de ne pas faire n’importe quoi. Je n’avais pas le droit de gâcher ce que le mec faisait pour moi. Je suis devenu plus sérieux. Et ça a payé, puisque, cette année‐là, j’ai gagné mes deux premiers tournois juniors au Cap d’Ail et à Istres. J’ai même gagné un tournoi Future un peu plus tard.
Le Cap d’Ail, c’est une histoire un peu dingue… Tu décroches une wildcard, tu débarques de nulle part… et tu gagnes !
Oui, comme tu dis, c’est dingue (rires). En plus, je n’ai pas reçu la wildcard parce que je jouais particulièrement bien au tennis. En fait, comme je m’entraînais à Sophia Antipolis, j’étais très proche de Léo Dominguez, le fils de Patrice (NDLR : à l’époque DTN). Léo a parlé à son père en lui disant : « Voilà, il y a un gars qui joue vraiment très bien à l’académie… »
Ah ! C’est une histoire de pistons en fait ! (Rires)
Oui, c’est ça, un piston (rires) ! Enfin bon, Patrice ne m’a pas filé une wildcard simplement parce que son fils lui a parlé. Il a d’abord appelé Charles Auffray (NDLR : Directeur de l’ISP Tennis Academy) pour lui demander si j’étais un bon joueur et si on pouvait me la donner. Charles lui a dit « c’est bon ». Premier set là‐bas, je prends 6–0. Là, je pense : « Merde, qu’est‐ce qui se passe ? » Puis, finalement, je me reprends et je gagne le match, ensuite le tournoi, avant d’enchaîner avec Istres où je gagne également. C’est une histoire assez sympa pour moi ! (Rires)
Tu vis rapidement une autre belle expérience : les Championnats de France Juniors. Tu y atteins la finale, où tu perds contre Guillaume Rufin…
C’était particulier, puisque je venais de gagner mon premier tournoi Future à Bourg‐en‐Bresse. Du coup, les gens se demandaient ce que je venais faire dans un tournoi junior. Est‐ce que j’aurais dû faire l’impasse ? Pour moi, ça restait quelque chose d’important. Guillaume a fait une super finale. Ce jour‐là, il a vraiment très bien joué. J’ai été un peu tendu, d’ailleurs, quand j’ai compris que j’allais perdre. J’ai pris trois points de pénalité ! Ca a fait toute une histoire, parce que mon comportement n’était pas bon. A partir de là, mes parents en ont souffert ; on commençait à dire : « Benoît Paire, il n’y arrivera jamais. Dans sa tête, il est trop faible. » Bon, aujourd’hui, je regarde le classement, je suis 33ème mondial.
« Quand j’étais jeune, mon comportement n’était pas bon. Mes parents en ont souffert ; on commençait à dire : « Benoît Paire, il n’y arrivera jamais. Dans sa tête, il est trop faible. » Bon, aujourd’hui, je regarde le classement, je suis 33ème mondial. »
Quand tu as intégré le CNE (Centre National d’Entraînement, à Roland Garros), tu as découvert une toute autre dimension ? Avec l’éloignement de ta famille…
Sophia, c’était déjà un peu loin (sourire). Mais je pouvais rentrer tous les week‐ends. J’étais avec de très bons amis, j’avais des copains qui étaient à l’académie depuis deux ans, ça se passait vraiment très, très bien. Et puis, là, le CNE… Je me suis retrouvé à Paris, tout seul. J’ai eu du mal à le supporter. D’autant que les parents sont vraiment mis à l’écart, c’est l’entraîneur, et seulement l’entraîneur, qui encadre les jeunes. Moi, je ne fonctionnais pas comme ça. Alors si tu ajoutes mon départ précipité du CNE, au moment du changement de DTN, parce que je n’entrais plus dans les plans de la Fédération… Bref, je ne garde franchement pas des souvenirs impérissables de cette période.
Oui, mais, au final, ce fut un mal pour un bien ?
Un peu, oui, mais ça a été un vrai choc. J’ai arrêté le tennis les deux mois qui ont suivi. Je n’étais pas très bien classé, top 500 ou top 600. Je me suis carrément demandé si j’allais continuer. Il fallait absolument retrouver une structure pour s’entraîner, trouver un coach, ce qui n’est jamais facile. Je suis allé voir Rodolphe Cadart, à Aix‐en‐Provence. Il avait une petite structure d’entraînement de quatre ou cinq joueurs. Il m’a proposé de faire un essai. Essai concluant, puisque j’y ai rencontré Lionel Zimbler, mon entraîneur actuel, qui venait de se faire virer de Lagardère et qui était dans la même situation que moi. Rodolphe nous a permis de faire connaissance pour voir s’il y avait un truc à faire. On s’est découvert…
Et vous avez eu le feeling !
Oui, le feeling, tout de suite ! Moi, j’étais très tendu pendant cet entraînement. Je m’énervais dès que je loupais un coup. On a fait une réunion où l’on a discuté. Très rapidement, il m’a dit : « Ok, je suis prêt à accepter le challenge et à bosser avec toi. » Résultat, aujourd’hui, ça a plutôt bien marché. Je suis 33ème alors que j’étais 500ème quand on a commencé.
Aujourd’hui, tu es 33ème, en effet. J’ai pu lire que, plus jeune, ton but était de « tout faire pour percer »…
Quand ça ? A quel âge ?
Lors de ton passage au CNE.
Peut‐être. Ce n’était pas à l’ISP, ça, c’est sûr (sourire).
C’est une belle réussite…
C’est clair. Mais ça a été très dur, surtout quand j’étais jeune. Tout le monde disait que je n’avais pas d’avenir avec mon comportement, que je ne m’en sortirais jamais et que ça ne servait à rien d’espérer… Mes parents ont dû entendre des choses qui… C’est vrai que c’était mérité, je ne peux pas le nier ! Mais il faut bien comprendre que j’avais aussi une énorme envie de gagner. J’étais vraiment très triste à chaque fois que je perdais un match. Ok, je m’énervais. Mais on peut se canaliser et progresser dans ce domaine, à force d’efforts. Comme quand on a un mauvais revers ou un mauvais coup droit. On peut bosser. Et ça peut même devenir un point fort au final. Aujourd’hui, je déteste toujours autant la défaite. Mais je m’énerve franchement moins. Et c’est une belle revanche par rapport à toutes ces personnes qui affirmaient que je n’y arriverais jamais…
A quoi tu l’attribues cette réussite ?
Beaucoup à ma famille. A mes premiers entraîneurs, également, certains plus que d’autres. Mais, surtout, à mon coach actuel, Lionel Zimbler, avec qui j’ai quasiment tout appris du circuit…
Tu peux nous décrire cette relation particulière que tu entretiens avec Lionel ?
Il m’écoute, c’est ultra important. Il est là pour moi et il essaie de me comprendre. Il n’est pas là pour m’asséner des vérités toutes faites : « Tu fais comme ça et tu vas y arriver. » Il me prend comme je suis et tente de me faire progresser dans les domaines où il voit que j’ai des problèmes. Toujours en dialoguant, toujours en discutant. Il cherche à savoir pourquoi je m’énerve, par exemple. Il va toujours à la source des problèmes. Et puis, il n’y a pas un seul truc de ma vie qu’il ne sait pas. Ca aussi, c’est important. C’est grâce à ça que j’ai progressé.
En fait, tu as besoin de t’exprimer…
Exactement ! Je me souviens, l’année dernière, ici (NDLR : au Gosier, en Guadeloupe), on a discuté pendant trois heures sur la digue. On s’est posé les bonnes questions : pourquoi et comment je pouvais m’énerver autant sur le court. A l’époque, j’étais en sous‐confiance et j’avais l’impression de ne plus pouvoir faire un revers. Or, le revers, à mon sens, c’est mon point fort. J’étais dans un état de détresse terrible, je me disais : « Putain, je ne saurai plus jamais faire un revers de toute ma vie… Qu’est‐ce qui m’arrive ? » Toujours dans la demi‐mesure, quoi ! (Rires) Et, grâce au dialogue, c’est formidable, on a réglé tout ça… La semaine d’après, j’ai bien joué, le problème avait été solutionné. Je pense que c’est important d’avoir un entraîneur qui tente de comprendre son joueur.
Tu évoques ton revers… Ca tombe bien, je voulais te parler de ton style de jeu. On peut te définir comme un joueur d’attaque…
Oui, je parlerais d’attaque également. Mais, évidemment, ce n’est pas aussi simple. Je peux aussi très bien défendre. Mais je me considère quand même plus comme un attaquant.
Tu es une espèce en voie de disparition quand on regarde le haut du classement ATP. Les meilleurs, Djokovic, Murray ou Nadal, se basent sur de très grosses capacités défensives. Comment tu fais pour garder ce style de jeu alors que la donne est à l’uniformisation vers la défense ?
Parce que j’ai une frappe de balle qui est quand même assez lourde et différente des autres. J’ai une arme, aussi : le service – et c’est une arme très importante. Si on sert bien, on a forcément des balles plus faciles et plus courtes à jouer, ce qui nous pousse à rentrer dans le court et aller vers l’avant. Bien sûr, Djokovic, Murray, c’est avant tout défensif ou de l’attaque du fond du court. Mais si on regarde d’autres joueurs, il y a quand même pas mal d’attaquants, je trouve. Ce qui fait la différence avec moi – et j’aimerais que ça la fasse encore plus, la différence –, c’est cette lourde frappe de balle, d’une part, et ma volonté de créer du jeu, d’autre part. Faire des amorties et jouer, avant tout, des balles toujours différentes. Toujours. Je ne veux pas que le mec soit réglé sur un style de frappes et qu’il soit constamment sur la défensive, comme le fait Djokovic, scotché sur sa ligne. J’essaie de varier le jeu et de ne jamais jouer deux balles similaires à la suite. C’est ce qui m’a permis d’être 33ème mondial. Et ce qui me permet d’espérer plus. Bon, c’est vrai que je fais quand même beaucoup plus de fautes que ces mecs‐là (rires). Si j’arrive à en faire moins… Peut‐être que je me rapprocherai d’eux… Mais… Moi, je suis un attaquant, j’aime les amorties, j’aime les coups droits gagnants, j’aime la variation. C’est mon style de jeu.
« Moi, je suis un attaquant, j’aime les amorties, j’aime les coups droits gagnants, j’aime la variation. C’est mon style de jeu. »
Pourtant, ta surface préférée, c’est la terre battue ? Ce n’est pas un peu paradoxal ?
Non, parce que j’aime avoir le temps de jouer. J’aime pouvoir créer du jeu. Quand je suis sur dur intérieur, par exemple, je sers et le retour arrive très vite. Est‐ce que j’ai le temps de faire ce que je veux ? Non. Alors que, sur terre battue, je peux servir et, derrière, m’organiser pour frapper la balle correctement. Et, ça, j’aime !
La terre battue… Le sujet est lancé ! Comment tu comptes te préparer cette année ?
Ca va être une préparation assez courte. Je n’ai pas besoin de trop m’entraîner pour arriver à être à mon meilleur niveau sur terre. Je m’habitue et m’adapte très rapidement au changement, en deux ou trois sessions. Pour le reste, je pense que ce sont les matches qui font la différence.
Tu ne rencontres aucune complication particulière ?
Non. J’ai les réflexes. La terre, c’est ma surface. C’est plus difficile pour moi de passer sur dur, par exemple, j’ai plus de mal à prendre la balle. Alors que, sur terre, non ! Direct, je vais glisser et je vais me sentir bien. C’est plus en termes de physique que c’est moins évident. Les rallies durent un peu plus longtemps. Mais rien ne vaut les matches pour s’y préparer. Je vais jouer pratiquement toutes les semaines jusqu’à Roland pour essayer d’être bien physiquement. Je n’ai pas besoin d’une grosse adaptation. D’autant que je ne suis pas, non plus, un immense fan de l’entraînement (rires). Ce n’est pas parce que je vais entrer sur un court en ayant peu d’entraînements derrière moi que je vais partir battu ou voir mes ambitions à la baisse. Non. J’arrive en me disant que je peux gagner et que ce sera toujours un match de plus sur terre. Il y a d’autres joueurs, comme Stan’ (Wawrinka) par exemple, qui ont besoin de trois à quatre semaines d’entraînement pour commencer à jouer. Ce n’est pas mon cas !
J’ai évoqué le sujet avec Edouard (Roger‐Vasselin), un de tes amis. Lui considères que tous les tournois précédant Roland Garros ne sont rien d’autre qu’une préparation pour notre Grand Chelem national…
Edouard, il n’a pas pu dire ça ! Ce n’est pas possible !
Je te le jure, il a même été catégorique…
Il a dit que c’était de la préparation pour Roland ? (Rires)
Tout ce qui est joué avant ne vise qu’un objectif : Roland Garros.
Oui, euh… Moi, je ne suis pas trop d’accord. A mon sens, tous les tournois sont importants. Pour moi, en tout cas. Parce que, pour l’instant, je ne suis pas tête de série dans les Grands Chelems. J’en ai déjà fait l’expérience à Melbourne. J’arrive là‐bas, je me sens super bien, je sors d’une demi‐finale à Chennai. Je m’étais préparé pour ça, quoi ! Et je tire Federer au premier tour. Je prends 6–2 6–4 6–1, je passe complètement à côté. Je ne pouvais pourtant pas mieux préparer l’Australie que je ne l’avais fait. Pourtant, je prends une tôle face à Federer au premier tour, alors que Melbourne, c’est quand même plus important que Chennai. Alors tu imagines, je ne suis pas tête de série et je prends Nadal à Roland, au premier tour… Toute ta préparation ne t’a servi à rien ? C’est pour ça que je préfère vraiment me dire que chaque tournoi est important. On peut se retrouver à l’emporter, gagner 250 points et passer 25ème mondial. C’est quand même quelque chose de beau. Même Casablanca est très important pour moi. Parce qu’à Roland, je ne peux pas arriver et me dire que je vais tout gagner. Alors qu’à Casa, c’est possible.
Tu préfères faire finale à Casa que troisième tour à Roland, par exemple ?
Honnêtement, oui. Je préfère jouer des finales et des demies. Je veux gagner le plus de points possibles avant d’envisager un meilleur résultat à Roland !
D’ailleurs, puisqu’on l’évoque, c’est quoi ton ambition Porte d’Auteuil, cette année ?
Une deuxième semaine là‐bas.
Pas facile !
Ça fait beaucoup, oui, mais je me rends compte qu’à Wimbledon, l’année passée, j’ai quand même atteint le troisième tour. J’étais à seulement un match de la deuxième semaine. Pour moi, ce serait tellement beau d’y arriver à Roland Garros, là où je me suis fait virer (rires), là où on m’a dit de partir sans explications ! En tout cas, cet objectif de la deuxième semaine en Grand Chelem, c’est un objectif en 2013. Je suis quand même 33ème mondial. A mon classement, il faut réussir aussi de très bons résultats en Grand Chelem. Sinon, c’est dur d’avancer.
Pour revenir à la terre battue : c’est quoi, pour toi, une bonne terre ?
Pour moi, déjà, il faut qu’elle soit belle. Qu’elle ait une belle couleur (sourire). Ensuite, il ne faut surtout pas qu’il y ait des faux rebonds. Même s’il y en a toujours quelques uns. Enfin, il ne faut pas non plus qu’elle soit trop rapide, comme à Roland. Attention, la terre battue, là‐bas, elle est bonne, hein, je ne la critique pas ! Mais elle est très rapide, les rebonds sont très hauts, ça se rapproche du dur. Moi, je préfère les terres bien lourdes.
Si ce n’est pas Roland, ta préférée, c’est laquelle ?
Barcelone, par exemple. En plus, j’aime bien l’ambiance qu’il y a là‐bas, autour du club… C’est vraiment un endroit que j’aime bien.
A l’inverse, tu as déjà joué sur des courts impraticables ?
Bof… En Allemagne, par exemple, c’est différent. La terre battue est faite avec des petits graviers. C’est assez rapide, ça glisse beaucoup… Je n’aime pas trop.
« Je vise une deuxième semaine à Roland Garros. »
Et il y a un adversaire qui t’en a fait baver sur cette surface ?
Oh oui… J’ai rencontré Ferrer, l’année dernière, à Roland. J’étais arrivé un petit peu fatigué, parce que j’avais vécu un match assez dur au tour précédent. Et là… Ferrer, c’est quand même une machine. Le déborder, sur terre, ce n’est pas simple. Heureusement, depuis, j’ai progressé un peu et j’aimerais bien me jauger par rapport à ces joueurs‐là. Si je pouvais avoir quelques tests de ce genre avant Roland, ce serait bien.
Tu parles de te rapprocher des meilleurs. Qu’est‐ce qu’il te manque encore ?
Ce qu’il me manque ? (Rires) C’est clair, je pense ! Du physique et du mental. Physiquement, je dois m’améliorer, du haut du corps comme du bas. J’en ai besoin pour être capable d’enchaîner des gros matches. L’année dernière, à Roland, je fais un bon gros match au premier tour contre Ramos, un excellent terrien. Et, au deuxième, j’ai des courbatures de partout et je n’arrive plus à suivre. Le haut du corps, c’est aussi important pour être en mesure de servir à fond à la fin d’un match en cinq sets. Mais, mentalement, il y a également un gros boulot. Il faut que je progresse encore, c’est l’objectif numéro un, parce que j’ai toujours des rechutes. Même si ça va vraiment mieux, sincèrement. Pour le reste, ça s’améliore un peu partout petit à petit. J’essaie de faire mon maximum, crois‐moi ! (Sourire) Je dois travailler la volée, le coup droit, mon point faible, et un petit peu mon revers.
Et pour ce qui est du classement en fin de saison, tu as une idée ?
Je n’ai pas d’objectifs ! (Rires)
Aucun ?
Non, je n’ai jamais eu d’objectifs de classement. Je cherche juste à progresser. Bien sûr, mon classement, je le regarde à fond, je cherche sans cesse à l’améliorer. Mais je me dis, avant tout, que si je progresse, je finirai par monter. Pour l’instant, ça a toujours marché. Je n’aimerais pas me fixer un objectif, le top 30 ou le top 20 par exemple, pour être vraiment déçu, derrière, en cas d’échec. Je préfère ne pas me mouiller. Ne rien dire. Bien sûr, dans un petit coin de ma tête, j’ai une idée…
Si tu as une idée, tu peux bien me la confier, Benoît (sourire)…
(Rires) Oui, bon, c’est vrai. Si je pouvais être tête de série à Roland et passer la barre du top 30 cette année, j’aimerais bien ! Mais si je n’y arrive pas, ce ne sera pas une immense déception.
Cette montée en puissance, ça te rapproche de quelque chose d’un peu plus national et international…
La Coupe Davis (sourire).
Tu lis dans mes pensées (rires) ! Ça doit représenter quelque chose pour toi…
Oui, c’est très, très important, comme pour tout joueur français. La Coupe Davis, c’est… C’est le Graal.
Le Graal ?
Oui, le Graal. Je ne sais pas comment dire… Mais la malchance, entre guillemets, d’être joueur français à l’heure actuelle, c’est qu’on a des mecs, devant, qui sont huitième, 10ème et 12ème mondiaux. Dans n’importe quel pays, je serais déjà sélectionné en Coupe Davis. Evidemment, c’est un rêve ! J’ai trop envie d’y être ! Mais, pour l’instant, c’est inaccessible. De jouer, j’entends ! C’est toujours possible d’être cinquième joueur et j’en serais super heureux. Mais pour jouer un match de Coupe Davis, par contre, il faut limite être top 10 pour l’instant. Ce n’est pas pour tout de suite ! (Rires) Là, je la regarde encore à la télé en me disant que ce sera peut‐être mon tour bientôt… mais ce n’est pas encore le cas.
Tu penses que ton altercation avec Michael Llodra, ça peut jouer dans la tête d’Arnaud Clément au moment de faire ses sélections ?
Non. Si je ne suis pas sélectionné, c’est juste que les mecs devant moi sont bien meilleurs. J’en ai parlé avec Arnaud, déjà ! On ne s’est pas caché les choses. L’altercation, okay, c’est un truc, mais… (Rires)
« Mika… C’est quelqu’un qui a été faux avec moi. Il était là, super, super, mais, à la première occasion, il m’a insulté sur le terrain. Je n’ai plus envie de parler à un gars qui m’a traité comme ça. C’est un mec qui n’en a rien à foutre des autres. »
On en a déjà parlé dans les médias, mais tu peux nous rappeler ce qui s’est passé à Miami, avec Mika ?
Ce qui s’est passé, c’est simple. Je débute bien la rencontre, je le breake, je fais trois bons jeux. Il ne se passe rien du tout pendant ces trois jeux. Tout le monde était présent, tout le monde peut témoigner, même l’arbitre. On est à 3–0 en ma faveur, on tourne, on est assis. Et, là, il me regarde et me dit : « Te comporte pas comme un petit merdeux, je ne suis pas Gilles Simon. » Moi, je suis sur le cul, je lui fais : « Qu’est‐ce que tu dis ? Qu’est ce qui se passe ? » Là, il me dit : « Ecoute, tu me dois le respect, j’ai huit ans de plus que toi, donc ferme ta gueule. » Moi, forcément, je lui réponds : « Ecoute, Mika, tu ne me parles pas comme ça, j’suis pas ton chien. » Mais il continue en disant des trucs du genre : « Ah ouais, c’est bien, continue, t’iras loin dans ta carrière ! » Des trucs ridicules, quoi ! Alors ok, peut‐être qu’il peut craquer sur un match. Mais, ensuite, qu’il n’aille pas dire dans la presse que c’est moi qui l’ai insulté. L’arbitre a la version, l’ATP a la version. Tout le monde sait ce qui s’est passé ; je n’ai pas dit une insulte. Alors quand j’ai lu dans les médias que je l’aurais traité de « mange‐merde »… Franchement, ça me déçoit encore plus. Il aurait au moins pu avouer la vérité, au lieu de me faire passer pour le mec qui l’insulte – alors que ce n’est pas vrai.
Evidemment, l’arbitre et l’ATP ne peuvent pas parler en ta faveur.
Ils ont la version, mais ils n’ont pas le droit de parler, oui.
On n’est pas prêts de connaître la version officielle des faits !
C’est une impasse. Mais je vais te dire, sur le circuit, tout le monde sait ce qui s’est passé. Et tout le monde l’a, la vraie version. Tout le monde sait comment Mika se comporte. Tu peux aller voir n’importe quel joueur, n’importe quel arbitre et tu auras la vérité. Ce qui m’embête, avec ses mensonges, c’est que tout le monde va encore dire que c’est Benoît qui a mis le feu aux poudres, alors que ce n’est franchement pas vrai. J’étais devant au score, je faisais un bon début de match, j’étais content. Et là…
Tu parles de cet événement, mais tu gardes le sourire quand même ?
Non, c’est encore trop tôt pour le digérer. C’est quelque chose qui m’a vraiment fait souffrir, parce que je ne m’y attendais pas du tout.
Pourquoi ? Parce que, Mika, c’est un gars que tu respectes énormément ?
Oui, Mika, c’est quelqu’un que j’apprécie beaucoup. Avec lui, jusqu’ici, ça s’est toujours très bien passé à l’extérieur. Il aime bien déconner et, moi, je suis aussi un mec comme ça, qui rigole, qui aime bien s’amuser. Mais, d’un coup, me prendre un coup de poignard… Je n’ai pas compris… La veille, on mangeait ensemble, avec les joueurs français, on s’entendait super bien… Et, le lendemain, sur le court, au bout de trois jeux, il m’insulte !
Tu as dit que tu ne voulais plus parler à Mika. C’était une réaction à chaud ou…
Non. Encore une fois, je l’appréciais énormément, c’était un ami. Sur le circuit, je m’entends bien avec tout le monde, je n’ai pas de soucis avec des joueurs. Je suis quand même plutôt ouvert, alors que ce n’est pas le cas de tout le monde. En‐dehors, on peut déconner, on peut s’amuser. Et, là, Mika… C’est quelqu’un qui a été faux avec moi. Il était là, super, super, mais, à la première occasion, il m’a insulté sur le terrain. Ca ne peut pas passer quand ça vient de quelqu’un que tu apprécies. On ne fait pas ce genre de choses, non ? On ne dit pas : « Ferme ta gueule » ! Moi, je n’ai plus envie de parler à un gars qui m’a traité comme ça. Pour moi, Mika, c’est un mec qui n’en a rien à foutre des autres, en fait, et qui veut simplement gagner son match par n’importe quel moyen.
Tu attends un premier pas de sa part ?
Non, même s’il y a un premier pas, je ne sais pas si je serais capable… Ça a été très dur, parce que je marche beaucoup à l’affectif, parce que je suis quelqu’un de très sensible. Sur le terrain, ça m’a vraiment touché. Je savais qu’il le faisait pour gagner le match et pour m’embêter. Même s’il fait un premier pas… Avec mon entraîneur, on en a pris plein la gueule, ça a pris des proportions énormes. Et, à la fin, c’est moi qui me fait limite engueuler… C’est dur.
Ça tient aussi à ta réputation !
Oui, c’est vrai, mais j’ai toujours été impulsif envers moi‐même. Je n’ai jamais insulté le mec en face, je ne me suis jamais battu. Ok, je casse mes raquettes, ok. Mais mon énervement, il est toujours en rapport avec moi. Je n’ai jamais dit à quelqu’un « toi, t’es un enculé » ou un truc comme ça. C’est contre moi.
Mais tu es d’accord avec ton image de joueur colérique ?
Ah mais oui, je suis complètement d’accord, je sais comment je suis ! Je sais que je peux être un petit con sur le terrain. Mais c’est toujours par rapport à moi, par rapport à mon jeu. Parfois, c’est vrai aussi, je joue un peu en marchant. Franchement, j’accepte tout ce qu’on dit sur moi tant que c’est vrai ! Sincèrement. C’est vrai que je m’énerve, que je suis colérique. Mais ça va de mieux en mieux. Si certains m’avaient vu il y a dix ans… Ils se diraient, aujourd’hui, « c’est un ange » ! (Rires) Je suis colérique, mais je fais des efforts, crois‐moi.
On parle de ton côté impulsif. Il y a un autre joueur qui était un peu comme ça dans sa jeunesse. Et pas des moindres… C’est Roger Federer. Toi qui l’as déjà côtoyé, tu lui en as parlé ?
Pour moi, Roger, c’est quelqu’un de parfait. Alors, bien sûr, si jamais il veut jouer l’après‐midi et que son adversaire préfère le soir… le match se jouera l’après‐midi (sourire). Mais c’est un homme qui est très, très sympathique, très agréable, toujours souriant, qui dit toujours bonjour. Franchement, je le respecte énormément. En plus, maintenant, c’est quelqu’un que je connais un peu plus humainement. Et non plus comme le gamin fan de son idole. Je joue avec lui, on s’entraîne parfois ensemble. En‐dehors du terrain, il est top.
« Roger, c’est quelqu’un de parfait. C’est un homme qui est très, très sympathique, très agréable, toujours souriant, qui dit toujours bonjour. Franchement, je le respecte énormément. »
Il y a d’autres similitudes : lui aussi a hésité entre le foot et le tennis…
Oui et il cassait également toutes ses raquettes. On a quelques points communs, mais bon… Je l’écoute. On discute, notamment, du comportement. L’année dernière, à Roland, on a eu une belle discussion à ce sujet‐là. Il m’a raconté qu’il était, lui aussi, très nerveux, plus jeune. Et qu’il avait eu un déclic qui l’avait transformé. A partir de ce moment‐là, il a franchi toutes les étapes et il est devenu numéro un ! Bien sûr, je ne suis pas Federer, je ne me fais pas de films là‐dessus, je sais très bien que je ne serai jamais numéro un mondial. Mais, voilà, pour moi, c’est un exemple à suivre, c’est un mec que j’écoute, que je respecte. L’entendre raconter son histoire, parler de son comportement, de ses pétages de plombs… Quand je le vois aujourd’hui, honnêtement, je me dis que ce n’est pas possible, quoi ! (Rires) C’est qu’il a énormément travaillé là‐dessus et que ça a payé. Pourquoi ça ne le ferait pas avec moi ?
J’ai constaté, Benoît, que tu es un joueur qui a beaucoup de meilleurs souvenirs. Le Cap d’Ail, les qualifs à Roland… Quand on te pose la question, tu as toujours du mal à répondre clairement ! (Rires) Alors, fais un effort : si tu dois en retenir un seul et unique ?
(Rires) Bah… des souvenirs de tennis, comme tu dis, j’en ai plein de bons ! Des frissons, j’en ai eu beaucoup. Mais, allez, je fais un effort… Il y en a un qui restera vraiment gravé à jamais, c’est ma victoire en double avec Stan (NDLR : Wawrinka, à Chennai, en 2013). Stan, c’est quelqu’un que j’apprécie vraiment énormément, énormément. Alors gagner un titre avec lui, en double… J’étais limite plus heureux que si j’avais gagné un titre en simple ! Pour moi, ça représentait vraiment quelque chose. Faire ça avec lui, gagner avec lui. Je me suis dit « putain »… C’est une amitié en‐dehors du court et, finalement, même sur le terrain on arrive à profiter et à s’amuser. Toute la semaine, on a été ensemble, on a rigolé et on s’est motivés, on s’est encouragés. Ca restera quelque chose de très, très fort. Une victoire en double avec Stan, mon meilleur ami… Trop bon !
Tu anticipes mes questions… Comment vous vous êtes trouvés avec Stan’ Wawrinka ?
C’est simple. En fait, mon entraîneur le connaissait un petit peu. Il m’a présenté Stan il y a trois ans, sur un tournoi, à Stockholm. Moi, j’étais seulement en qualifications et, à mes yeux, c’était un joueur très fort. Petit à petit, on a commencé à se connaître. Il y a un an, on a passé toute la semaine ensemble, à Chennai, on a bien rigolé, on s’est bien entendus. Il n’y a aucune rivalité entre nous ! Lui, il est Suisse. Moi, je suis Français. Je suis jeune, lui l’est un peu moins. Notre relation est saine. Quand il gagne un match, je suis super content.
Il te donne des conseils ?
Oui, il me conseille et, moi, je l’écoute quand il me parle de tennis. Il a quand même été top 10, donc il sait de quoi il parle. On reste ensemble, quand on est en tournoi. On peut se dire la vérité, il sait tout sur moi, je sais tout sur lui. On a une relation de confiance, on sait qu’il n’y aura pas de coups de pute. On s’est déjà joués trois fois, il n’y a jamais eu de problèmes. C’est quelqu’un de très franc et, ça, c’est important, parce que je suis aussi comme ça. Il est très sensible également. On a quelques points communs, même s’il est plus fan de hockey que de foot ! (Rires) C’est vraiment un mec sympa.
Entretien réalisé par Simon Alves, au Gosier (Guadeloupe), le 28 mars 2013.
Publié le mardi 9 avril 2013 à 13:23