Camille Pin est une jeune retraitée. Ex‐61ème joueuse mondiale, connue pour sa pugnacité, elle nous livre un regard plutôt positif sur le tennis féminin. Cette crise qui n’en est pas une, le niveau de jeu des femmes… Un entretien assez frais et un bel optimisme !
Un entretien à retrouver en partie dans GrandChelem numéro 21. C’est ici.
A suivre : entretiens avec Patrick Mouratoglou, Régis Brunet, Marc Moroux, Alexandra Fusai, Ons Jabeur, Elina Svitolina et Sam Sumyk.
Que retiens‐tu de ta carrière ?
12 années de grandes émotions ! Certaines énormes, d’autres très difficiles. Si c’était à refaire, je repartirais sans hésiter. Même si ce métier est un métier dur et usant.
Tu n’as pas de regrets ?
Non, pas vraiment. J’ai joué un paquet de matches contre des tops 10 sur des Grands Chelems, j’ai souvent été proche de les gagner… Si j’en avais remporté ne serait‐ce que la moitié, je serais rentrée dans les 30. Le seul regret, ce peut être celui‐là. Si je n’ai pas battu ces filles‐là, il y avait peut‐être une raison. Au moment de conclure, j’étais un peu passive, j’attendais souvent la faute… Faire toujours la même erreur, au final, c’est frustrant. Néanmoins, j’ai la sensation d’avoir tout donné. Ranger sa raquette en étant pleinement satisfaite, c’est très important quand on fait une carrière de haut niveau.
Tu n’as pas l’impression que la WTA joue un peu trop sur le côté glamour des joueuses, délaissant le sportif ? Il n’y a pas un décalage ?
Je ne suis pas pour une glamourisation à outrance, mais il faut reconnaitre que c’est aussi grâce à son côté esthétique que le tennis est devenu le sport féminin numéro un. Tant que ça reste correct, le glamour et l’élégance des joueuses est un vrai plus. Les filles montrent qu’elles sont des athlètes, mais qu’elles restent des femmes avant tout, qui aiment s’habiller et prendre soin d’elles. D’autant que les filles sont certes mignonnes, mais elles sont surtout super athlétiques ! Valoriser le côté esthétique, ce n’est donc pas plus mal.
Toi aussi, tu en as joué de ce glam’ ?
J’ai fait des photos pour Sony Ericsson, dans une campagne de pub, il y a trois ans. J’étais vraiment surprise d’être contactée, vu que je n’étais pas dans le top 10. C’était une super expérience et je ne pense pas que ça ait nuit à mon image d’athlète ou de combattante. Ca prouve aussi que l’on n’est pas seulement des « super‐musclées ». Et puis, c’est important de montrer aux jeunes filles qu’on peut rester des petits bouts de femme, malgré la pratique du sport de haut niveau.
Il y a des choses à améliorer sur le circuit WTA, pour le rendre plus attrayant ?
Aujourd’hui, le niveau de la masse des joueuses est bien plus élevé qu’avant. C’est contradictoire avec cette crise que les médias ressentent. Là où il y a crise, en fait, c’est au niveau des stars. Le circuit féminin en manque, c’est clair. Ca marchait très bien quand il y avait les sœurs Williams. Qu’on les aime ou pas, c’étaient de vraies stars. Aujourd’hui, les filles du top 3 n’en sont pas. Ce sont juste des joueuses très régulières.
Le circuit WTA prime plus la régularité que les performances en Grand Chelem ?
En fait, il y a eu ce souci‐là il y a quelques années. Du coup, ils ont changé le système de points et doublé les points gagnés en Grand Chelem, pour valoriser ces derniers et éviter qu’il y ait des numéros unes sans victoire dans les tournois majeurs.
Pourtant, c’est le cas aujourd’hui !
Il a fallu que Wozniacki soit sacrément régulière, en plus d’un concours de circonstance. Et puis, une Serena Williams qui a peu joué.
Avec les Williams, on a vécu une forme d’apogée dans le tennis. Aujourd’hui, ne sont‐elles pas un peu responsables de la crise actuelle ?
Elles jouent quelques tournois, qu’elles gagnent d’ailleurs, mais ça ne suffit pas. Elles jouent trop peu. La plupart des filles disputent 20–25 tournois. Elles, non, et leur programmation permet à une joueuse régulière d’être numéro une. Mais je ne pense que la place de Wozniacki soit volée. Justement, les points gagnés pour une victoire en Grand Chelem ont été doublés, donc il faut en faire énormément pour réussir à être numéro une sans victoire en Grand Chelem. Il faut vraiment remporter un maximum de matches dans les autres tournois.
Tu parles d’un niveau global beaucoup plus élevé qu’avant. Ca veut dire qu’il y a beaucoup plus de joueuses qui jouent très bien au tennis ?
Maintenant, 200 filles jouent au niveau du top 100 d’il y a cinq ans. Alors, forcément, pour entrer dans le top 100, les matches sont beaucoup plus durs et accrochés. Les places sont chères.
C’est ce qui explique ce va‐et‐vient en tête du classement ?
C’est aussi dû au système de points. Les très gros tournois sont favorisés. Du coup, on ne sait plus trop où donner de la tête. Il y a une numéro une mondiale une année, c’en est une autre l’année d’après et encore une la suivante. Voilà pourquoi on peut parler de « crise » du tennis féminin. Tout ça est paradoxal. Si le classement n’est pas stable, le niveau de jeu, lui, est très bon !
Le monde du tennis est un monde de macho ?
J’ai passé 12 ans sur le circuit. J’ai pu constater, quand même, que le machisme a diminué année après année. Le respect de la femme s’est accentué. Par contre, les hommes sont toujours scandalisés qu’on gagne autant qu’eux en Grand Chelem. A part ça, les garçons respectent les filles de plus en plus. Ils ont reconnu, petit à petit, qu’on était de vraies athlètes. Ils sont même venus nous voir jouer !
Tu as vraiment senti une évolution de ce point de vue‐là, entre le début et la fin de ta carrière ?
Oui, très nette.
Comment tu juges ce qu’il se passe au niveau de la formation ? On a l’impression qu’il y a un vrai trou…
Je ne me l’explique pas. Il y a des années plus au moins bonnes. En France, on a toujours eu un vivier de joueuses très important dans chaque tranche d’âge. Là où il y a eu changement, c’est dans le repérage et l’accompagnement des filles. Ils ont mis en place une politique plus élitiste et réduit la masse de joueuses formées. Ca limite inévitablement les chances de sortir des championnes. Ce n’est pas un hasard si c’est le désert depuis quelques années. Ce ne sont pas les entraîneurs qui sont moins bons. Ils ont juste entraîné moins de joueuses, misant sur quelques unes seulement. Or, entre avoir du potentiel et faire une carrière de haut niveau, il y a un gouffre. Plein de facteurs entrent en compte : les blessures, la force mentale, l’envie… Avant, c’était différent. Comme il y avait plus de joueuses en réserve, certaines, plus discrètes, avec moins de potentiel, sortaient du lot. Cette politique élitiste n’a pas aidé le tennis féminin.
Tu as évolué dans une structure privée. Pourquoi ? C’était une volonté personnelle ?
C’était une volonté, même si je n’en avais pas forcément les moyens. Quand on commence, c’est difficile : on ne fait que dépenser, sans rien gagner. Mais j’ai eu envie de créer ma structure pour pouvoir choisir mon entraîneur. Je voulais être avec quelqu’un qui croyait en moi. Or, c’était loin d’être toujours le cas, à cause de mon petit gabarit. D’ailleurs, ça a été une source de motivation ! Et puis, je me sentais bien dans ma structure privée, plus petite, plus familiale… L’idée du travail en équipe m’a toujours plu. Du coup, on s’est créé un groupe, à Aix‐en‐Provence, avec Eric Brémont. Je suis resté huit ans avec lui. Je le partageais avec Karine Bornu et Séverine Beltrame, pour réduire les frais. J’avais toujours eu un feeling avec Eric. Donc, je me le suis « payé » (rires), en investissant dans une structure privée. On se donne le luxe de choisir. Ça te met une certaine pression, quand tu investis des milliers d’euros et que tu ne sais pas si tu vas les récupérer. Mais, aujourd’hui, je suis contente de ce choix. Ca m’a permis d’arriver relativement haut par rapport à ce qu’on m’avait prédit.
Ce qu’on t’avait prédit ?
J’étais petite. On me disait qu’il y avait peu de chances que je réussisse. Peut‐être à juste titre, d’ailleurs. Mais, c’est quand même difficile quand on est jeune d’entendre dire : « Celle‐là, elle va être forte. Celle‐ci, non. » Personne n’avait imaginé que je puisse atteindre la 60ème place mondiale.
Emilie Loit nous disait que l’esprit de compétition n’était pas une chose innée chez la femme. Tu partages cette idée‐là ?
Non, pas du tout. Personnellement, j’aime la compet’ depuis que je suis née. Sans aller jusqu’à jouer au foot avec les garçons, j’ai toujours aimé ça. Ce n’est pas une question de genre, de féminin ou de masculin. C’est une question de ressenti.
Il ne faut pas inciter les jeunes à devenir compétitrices ?
Je n’explique pas la crise de cette manière. Quand j’étais petite, dans mon groupe, on voulait toutes jouer en compétition. On était ravies d’aller faire les Championnats de France par équipe. A 12 ans, on était super motivées ! Je ne crois pas que les femmes aient moins l’esprit de compétition que les hommes. Que ce soit dans le sport ou dans le business, qu’on soit ado ou adulte, c’est vraiment une question de personnalité.
Si peu de femmes coachent des filles, c’est parce que vous n’aimez pas voyager ?
C’est exactement ça. Mais pour des raisons différentes. Demain, si Alizé Cornet ou Julie Coin me demande de l’accompagner, ça me plairait vraiment. Mais, le problème, ce sont les voyages incessants. Si j’ai arrêté, c’est aussi pour ne plus avoir cette vie de saltimbanque.
Et le désir d’être maman, c’est quelque chose qui t’empêche de coacher ?
On a toutes envie de se poser un peu, vers l’âge de 30 ans, en fin de carrière. Pour une femme, voyager 40 semaines dans l’année, c’est beaucoup plus difficile que pour un homme. Notamment pour nos relations de couple.
Un homme peut emmener sa femme sur le circuit, mais une femme ne peut pas emmener son mari, son copain ou autre ?
Oui, ce n’est pas trop dans la culture. Une jeune fille qui accompagne son copain toute l’année, parce qu’elle n’a pas d’emploi ou de contraintes, ça se fait bien. Mais c’est quasiment injouable d’être avec quelqu’un qui travaille et qui ne peut pas voyager du tout. Le mec ne va pas arrêter son métier pour suivre sa copine, qui, elle, change de pays toutes les semaines. S’il le fait, c’est pour devenir son coach. Les relations de couple sont plus difficiles pour les joueuses que pour les joueurs. C’est pour ça qu’à 30 ans, on a envie de se poser, avec son mari, avec son copain… Et, éventuellement, d’avoir des enfants !
Aujourd’hui, où tu en es ?
Je fais un Master en Marketing International du Sport. C’est en partenariat avec Lacoste, que j’intègre en mars et avec qui je collabore déjà.
Quelle est la joueuse qui t’as le plus impressionnée dans ta carrière ?
Au niveau athlétiques et en termes de jeu, c’est Amélie Mauresmo. En termes de force et de puissance, c’est Serena Williams.
Tu penses qu’on a bien exploité l’image et les performances d’Amélie Mauresmo pour susciter des vocations ?
Non ! C’est une joueuse qui a été numéro une mondiale et qui a gagné deux tournois du Grand Chelem. C’est quand même monstrueux ! Et, le tout, en restant extrêmement humaine. Comparé aux Williams ou à Sharapova, qui sont des filles très froides, qui partagent peu… Amélie, elle, elle a su être à leur niveau en gardant une vraie émotivité, une gentillesse et une simplicité. C’est ce que je trouve très impressionnant chez elle.
Je me rappelle d’une conférence de presse où tu étais un peu pompette… Tu en as des souvenirs ?
Euh… Un peu. C’est vrai que je ne bois jamais. La Fédé m’avait offert une coupe de champagne, avant que j’aille en conférence de presse. Et l’alcool me monte très vite à la tête… C’était assez cocasse d’arriver un peu gaie pour une conférence de presse aussi importante ! C’est pour ça que j’en ai parlé tout de suite, que je n’ai pas fait semblant. J’ai toujours aimé partager des choses avec les journalistes, car je trouve qu’on travaille en équipe, d’une certaine manière. En tout cas, ça a fait rire les gens… J’aurais été authentique jusqu’au bout !
Tu joues encore au tennis, aujourd’hui ?
Pus vraiment. J’ai besoin de faire du sport, donc je cours beaucoup. Sinon, je ne me sens pas bien. Après, quand on donne 20 ans de sa vie pour un sport, il y a un moment où l’on a besoin de décompresser. Je sais que je rejouerai, mais, pour l’instant, j’ai du mal. Il n’y a plus d’objectifs, donc plus vraiment d’envie. Je suis encore trop imprégnée d’une approche professionnelle et j’ai besoin de décrocher par rapport à ça. Découvrir d’autres sports, faire du ski, une autre activité physique…
Publié le mercredi 9 février 2011 à 09:00