AccueilInterviewsDeniau : "Les trois-quarts de l'année, Federer est numéro 1 mondial"

Deniau : « Les trois‐quarts de l’année, Federer est numéro 1 mondial »

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Georges Deniau est toujours un obser­va­teur (très) avisé du circuit. Célèbre entraî­neur des équipes de France et de Suisse de Coupe Davis, il était présent au Future d’Uriage (15 000 ) cette semaine et nous a accordé un entre­tien pour évoquer le récent titre de Roger Federer à Wimbledon ou encore le tennis fran­çais.

Est‐ce que ça vous surprend que Roger Federer, à son âge, arrive à un tel niveau de perfor­mance ? Vous avez regardé ? Vous suivez ?

Je regarde, je ne rate jamais un coup de Federer à la télé­vi­sion. Si je peux, je ne rate rien de Roger. Il y a six ans, j’ai écrit un livre dans lequel je disais : « Je n’ai qu’un reproche à faire à Federer, c’est que, plus je le vois jouer, moins j’aime en voir jouer certains autres ». Ce que je regrette de ne pas voir assez, ce sont des joueurs qui font ce qu’a fait Federer et ce qu’a fait Nadal dans toute leur carrière. Nadal, si on fait une cari­ca­ture de son jeu, il a été cham­pion du monde sur terre battue avec son coup droit lifté qu’il ne ratait jamais, une grosse paire de jambes, et une grosse paire de c…… . À part ça, il servait des deuxièmes balles, il avait un revers à deux mains moyen, un revers coupé qu’il n’utilisait presque pas et une volée qu’il n’utilisait pas beau­coup. Ceci dit, j’ai revu des images de Nadal aux Petits As (quand il avait moins de 14 ans), il tapait des balles, je l’ai vu faire des coups à la volée très bien exécutés. Il avait les coups mais ne les utili­sait pas car il avait trouvé un moyen de gagner. Petit à petit, il a rajouté des choses. Aujourd’hui, il a une super première balle, une excel­lente deuxième avec l’avantage d’être gaucher. Il a un revers extra­or­di­naire, à mon avis c’est l’un des deux ou trois meilleurs revers du circuit. Il faut addi­tionner le revers coupé, il peut faire des amor­ties, des lobs long de ligne. Il fait tout avec son revers, et son revers croisé en débor­de­ment est génial, avec des appuis parfaits. Il joue parfois des échanges où il fait des revers d’école, donc il a appris tous les coups du tennis, tous les secteurs de jeu.

Sampras avait dit quelque chose d’intéressant pendant Wimbledon. Il s’est souvenu du match en 2001 où ils s’étaient joués en huitièmes de finale. À l’époque, Federer montait presque tout le temps et sans réus­site au filet, après il ne montait plus, et aujourd’hui il le trouve plus intel­li­gent car il a réussi à trouver le juste milieu.

Oui, il a tous les coups et tous les secteurs de jeu qu’il connaît parfai­te­ment. Il peut faire le choix qu’il faut quand il faut. Federer, qui ne jouait pas toujours avec tous les secteurs de jeu, a décidé main­te­nant de faire des échanges plus courts. Il a raison. Il a main­te­nant un jeu dans lequel il refuse moins le revers donc il couvre moins de terrain. Ceux qui abusent de faire des coups droits ont tort parce qu’ils ne progressent pas autant en revers qu’ils le pour­raient. Le revers de Federer a toujours été magni­fique, sauf que, comme il en fait plus, il le fait mieux. Pour les choix, lifté ou coupé, il n’y a pas mieux que les choix qu’il fait, car il s’entraîne beau­coup et qu’il a un naturel qui lui permet de faire le coup qu’il faut au bon moment. Il a un ordi­na­teur dans la tête.

Est‐ce‐que vous êtes surpris qu’en face, on n’arrive pas à trouver la solu­tion face à un joueur qui revient après six mois d’absence à presque 36 ans ? Est‐ce‐que cela signifie que les autres ne progressent pas assez vite ou que lui est simple­ment au‐dessus ?

Quand il joue bien, il est au‐dessus de tout le monde. Toutes surfaces confon­dues, excepté sur terre battue. Les trois‐quarts de l’année, Federer est numéro 1 mondial quand il joue bien. Roger, à l’inverse de beau­coup d’autres joueurs, va faire dès les premiers tours, le coup qu’il doit faire pour battre les meilleurs. Car il sait qu’il en aura besoin contre un joueur plus fort. Si vous ne faites pas cela, vous n’avez pas travaillé, vous n’êtes pas préparé pour jouer les meilleurs. Roger règle son service en match aussi, il tente des aces sur deuxième balle sur un premier tour, c’est raté parfois. Mais quand il tente un ace sur deuxième balle contre un gros, il le fait. Roger, c’est un génie pour le tennis, c’est un bonheur de le regarder. Les gens disent, « il anti­cipe, il est tout le temps bien placé ». Au lieu de regarder l’adversaire jouer, regardez Federer après un coup. Regardez la justesse de son repla­ce­ment. Il fait un pas en arrière, comme par hasard, l’adversaire a joué une balle longue. Il est le joueur qui influence le plus le jeu par la qualité de son repla­ce­ment. Federer a une chose qui est extra­or­di­naire, quand vous regardez toutes ses photos. Dans sa façon de marcher, il y a du Carl Lewis. Il est relâché, décon­tracté. Quand il joue, sur les photos à l’impact, il n’y a pas de grimace (il mime une grimace). À l’impact, tu découpes la tête de Federer, il n’y a pas une ride, c’est une photo d’identité.

Au sujet des fran­çais, êtes‐vous aussi un peu pessi­miste, sur cette géné­ra­tion qui, arrivée au‐delà de trente ans a eu une belle carrière, mais peut‐être pas aussi belle que…

(Il coupe) Je pense qu’on a beau­coup de bons joueurs, mais il y a dans le monde beau­coup de joueurs qui auraient pu être plus forts. Ce sont les meilleurs qui se font criti­quer. Or, il y aurait peut‐être un joueur plus fort, si tous ceux qui n’ont pas fait ce qu’il fallait avaient poussé pour aller plus haut. Si on redes­cend jusqu’en bas de la filière, si on ensei­gnait mieux le tennis à la base, il y aurait plus de joueurs moyens. S’il y avait plus de joueurs moyens, il y aurait plus de joueurs meilleurs. S’il y avait plus de joueurs meilleurs, il y aurait plus de joueurs qui attein­draient les dix premiers, ce qui a été le cas de trois ou quatre de nos joueurs. Donc ce n’est pas eux qu’il faut criti­quer, c’est la forma­tion en général. Les rênes sont dans les mains de Jean‐Luc Cotard (Directeur Technique National). J’espère qu’il sera entouré de diri­geants qui le lais­se­ront faire et mener à bien son projet. J’ai confiance en lui mais je souhaite qu’on le laisse mettre en place son projet, qui donnera des résul­tats. Il est DTN, il sait que la forma­tion doit être revue. Il y a des choses qu’on trouve chez les jeunes joueurs que je n’aimerais pas trouver. Les jeunes ne montrent pas, d’entrée, la qualité qu’il faudrait dès l’échauffement. Il faut, dès qu’ils sont jeunes dans les clubs, qu’ils aient une qualité sur les fondamentaux.

Est‐ce que Jean‐Luc Cotard aura le temps en quatre ans ?

Il ne doit pas travailler pour dans quatre ans. La forma­tion est faite par des gens dans des centres avec des jeunes qui vont devenir des profes­seurs. Ces profs de tennis, quand ils arrivent dans les clubs, ils ne doivent pas arriver avec la ciga­rettes au bec. Ils doivent envoyer les balles et faire des gestes justes. Ils doivent être des exemples. »
« Il faudrait qu’on ait l’exigence de demander aux moni­teurs de faire des compétitions »

Sur les réformes déjà passées, comme quand ils sont passés à 152 pour le DE, est‐ce‐que c’était quelque chose que vous approuviez ?

Bien jouer au tennis, savoir faire des démons­tra­tions parfaites, c’est obli­ga­toire. Or, plus tu descends dans le clas­se­ment, plus tu as de chances d’avoir des joueurs qui jouent moins bien au tennis. Par contre, cela ne veut pas dire que si tu es à 0, tu es un meilleur entraî­neur qu’un joueur à 46 ou 26 ou moins. Je pense qu’il faut élever le niveau d’exigence sur les moni­teurs. Ils passent trop de temps en salle où on leur explique des tas de trucs. C’est sur le court qu’on apprend son métier. Ce n’est pas ailleurs, c’est en jouant et en démon­trant. Si on me demande de faire une démons­tra­tion, je vais me défoncer pour essayer de faire bien, de placer mes pieds parfai­te­ment. Il faut que nos moni­teurs soient des exemples dans les clubs, de par leurs démons­tra­tions et de par ce qu’ils savent faire. Il y a des 152 qui font des très belles démons­tra­tions, mais il faudrait aussi qu’on ait l’exigence de demander aux moni­teurs de faire des compé­ti­tions, une fois le premier degré obtenu. C’est facile après de dire à un mec, « qu’est-ce que t’as mouillé sur la balle de 4–2 ». Et toi, t’as joué des balles de 4–2 ? À 23 ans, tu as le diplôme, prends ta raquette, vas te souvenir ce que c’est que d’être à quatre partout, de faire une double faute. Il faut s’en souvenir. Moi, je m’en souviens parce que j’ai joué très long­temps. Cela devrait être institué, une obli­ga­tion de jouer. Jouer en double aussi, certains moni­teurs ne savent pas jouer en double, ne savent pas se placer. Il faut apprendre tout ça, c’est sur le court que ça s’apprend. La forma­tion est à revoir en France et je sais que Jean‐Luc va s’y atteler, mais il faut qu’on le laisse faire. C’est lui qui doit décider de ce qui doit être fait.

Maxime Perriot et Loïc Revol