AccueilInterviewsDi Pasquale : "C'est l'aventure de ma vie tennistique" (2/2)

Di Pasquale : « C’est l’aven­ture de ma vie tennis­tique » (2÷2)

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Suite de notre entre­tien avec Arnaud Di Pasquale, à propos des Jeux Olympiques. Le chef de la délé­ga­tion trico­lore à Londres revient sur sa propre expé­rience : cette fameuse médaille de bronze, à Sydney, en 2000. 

Première partie, ici !

Arnaud Clément, ton compa­gnon de chambre, il joue quel rôle à ce moment‐là ?
Arnaud, c’est mon pote, on se marre sans arrêt. Avec Nicolas Escudé et Fabrice Santoro, on était tous les quatre aux Jeux. Même si eux n’ont pas forcé­ment brillé durant le tournoi, ils ont vécu l’événement de manière intense. Et puis, ils m’encourageaient. En plus des tennismen, je sentais les athlètes qui étaient derrière moi. Il y a une vraie évolu­tion entre le début de la compé­ti­tion et ce moment qui me voit débar­quer au milieu des possibles médaillés. Ce qui est un peu fou, c’est que le tennis est un sport un peu à part, aux Jeux. Tu sens qu’on te regarde avec des yeux bizarres quand tu arrive au Village. Un jour, j’amène mon linge à laver, on me pose une ques­tion presque débile : « Vous lavez vous‐même votre linge ? » Comme si on utili­sait une chemise neuve par match… On peut gagner un peu plus de blé que certains, mais ce n’est pas pour autant qu’on est complè­te­ment cons. On est des gens normaux. Je trouve qu’on avait été un peu margi­na­lisés. Nous, notre travail, c’était de casser cette case dans laquelle on nous avait mis et nous décloi­sonner au maximum. Et ce qui est éton­nant, c’est que ça a pris. A un moment, je suis allé voir le kiné dans la salle où l’on se fait masser, où il y a tous les Français réunis. Quand j’ai vu qu’ils m’avaient tous suivi et qu’ils me féli­ci­taient, ça m’a gonflé à bloc. Ca te donne encore plus envie et tu te dis que tu as moins le droit à l’erreur. Finalement, je me retrouve en demi‐finale contre Kafelnikov et, là, tout s’effondre. La raison de cette défaite est simple : en plus d’être intrin­sè­que­ment plus fort que moi, il est, lui‐même, dans un état d’esprit simi­laire au mien. Je perds donc 6–4 6–4, logiquement.

Le lende­main, tu as cette petite finale. Ce n’est pas trop dur de perdre, puis de se dire, ensuite, que l’on va rejouer ?

Si, si, ça a été très dur. L’enjeu est terrible, je ne pense qu’à ça, je dors très mal… Mais je relève vite la tête, parce que je sais que je n’ai pas le choix, il me faut cette médaille de bronze. Je joue contre Roger Federer. Ce n’est pas le Roger d’aujourd’hui, bien sûr, mais on connaît son talent. On sait aussi qu’il est friable menta­le­ment, donc je me dis que ça va passer si j’arrive à tenir jusqu’au bout. Il est plus fort que moi, mais ça peut passer. C’est un match hyper tendu et mauvais en termes de niveau de jeu. L’enjeu est trop fort, je crois, on est dépassés tous les deux par le truc et on a autant envie d’aller cher­cher la médaille. On s’accroche, même si ce n’est pas génial. Je suis extrê­me­ment nerveux, je gueule dans tous les sens, j’ai peur de passer à côté, peur de rater… Je gagne le premier set 7–6, alors qu’il se procure deux balles de manche. Puis, j’ai deux balles de match au deuxième, dans le tie‐break, à 6–4. Là, je frappe un coup droit bas‐duf’, le bras tremble telle­ment… J’avais l’impression d’avoir un plâtre à la place. Roger égalise à un set partout. Ensuite, je me fais breaker à 2–2, au troi­sième. Je ressens une telle nervo­sité à ce moment‐là que je commence à cramper. Je fais venir les kinés, je me fais étirer. Ca provoque une réac­tion : j’aligne quatre jeux. Je me sens plus qu’en grand danger, mais j’arrive à inverser la tendance. Je me dis encore plus que je ne peux pas rentrer sans rien et que c’est main­te­nant que ça se joue.

Cette victoire prend du relief quand tu te dis, qu’en face, il y avait Roger Federer ?
Bien sûr. Même si, en fait, les gens que j’ai battus ne comptent pas. Ca aurait été n’importe qui, je l’aurais battu de la même manière. C’est clai­re­ment l’aventure de ma vie tennis­tique. Ce n’est pas Palerme, ce n’est pas mon huitième à Roland, ce n’est pas mon titre de Champion du Monde Junior.

Et après ça ?
Et bien, je reviens dans ma vie de joueur de tennis, qui est très belle, qui est très sympa, mais qui ne me trans­cende pas de la même manière. 

Il y a eu une réunion avec la délé­ga­tion et le Président de la République, à votre retour ?
Oui, tous les médaillés se sont fait décorer Chevaliers de l’Ordre du Mérite. C’était Jacques Chirac à l’Elysée, à l’époque. On a eu droit à une récep­tion très agréable.

Finalement, pour toi, le tennis a large­ment sa place aux Jeux Olympiques…
Pour moi, oui. Je défen­drai toujours ce genre de compé­ti­tions natio­nales où l’on repré­sente son pays. Ca prend une dimen­sion telle­ment supé­rieure, les choses à côté paraissent futiles. Evidemment, on n’a pas tous ce senti­ment. Mais certains l’ont beau­coup plus qu’on ne le pense, comme Richard Gasquet. Quoi qu’il en soit, ça demeure quelque chose de propre à chacun.


Cette médaille aux JO, qu’est ce qu’elle repré­sente ? C’est mieux qu’un Grand Chelem ou qu’une Coupe Davis ?

Je crois que c’est quelque chose qui reste à part, de par la rareté de l’événement. Prenons l’exemple de Nicolas Massu (médaillé d’or en 2004). Je pense qu’il s’est trans­cendé. C’est hallu­ci­nant ce qui s’est passé. Moi, je n’ai pas pu aller au bout, mais je comprends telle­ment… C’est quelque chose d’unique. Quand on a cette fibre pour le coco­rico, il n’y a rien de plus beau !