Suite de notre entretien avec Arnaud Di Pasquale, à propos des Jeux Olympiques. Le chef de la délégation tricolore à Londres revient sur sa propre expérience : cette fameuse médaille de bronze, à Sydney, en 2000.
Arnaud Clément, ton compagnon de chambre, il joue quel rôle à ce moment‐là ?
Arnaud, c’est mon pote, on se marre sans arrêt. Avec Nicolas Escudé et Fabrice Santoro, on était tous les quatre aux Jeux. Même si eux n’ont pas forcément brillé durant le tournoi, ils ont vécu l’événement de manière intense. Et puis, ils m’encourageaient. En plus des tennismen, je sentais les athlètes qui étaient derrière moi. Il y a une vraie évolution entre le début de la compétition et ce moment qui me voit débarquer au milieu des possibles médaillés. Ce qui est un peu fou, c’est que le tennis est un sport un peu à part, aux Jeux. Tu sens qu’on te regarde avec des yeux bizarres quand tu arrive au Village. Un jour, j’amène mon linge à laver, on me pose une question presque débile : « Vous lavez vous‐même votre linge ? » Comme si on utilisait une chemise neuve par match… On peut gagner un peu plus de blé que certains, mais ce n’est pas pour autant qu’on est complètement cons. On est des gens normaux. Je trouve qu’on avait été un peu marginalisés. Nous, notre travail, c’était de casser cette case dans laquelle on nous avait mis et nous décloisonner au maximum. Et ce qui est étonnant, c’est que ça a pris. A un moment, je suis allé voir le kiné dans la salle où l’on se fait masser, où il y a tous les Français réunis. Quand j’ai vu qu’ils m’avaient tous suivi et qu’ils me félicitaient, ça m’a gonflé à bloc. Ca te donne encore plus envie et tu te dis que tu as moins le droit à l’erreur. Finalement, je me retrouve en demi‐finale contre Kafelnikov et, là, tout s’effondre. La raison de cette défaite est simple : en plus d’être intrinsèquement plus fort que moi, il est, lui‐même, dans un état d’esprit similaire au mien. Je perds donc 6–4 6–4, logiquement.
Le lendemain, tu as cette petite finale. Ce n’est pas trop dur de perdre, puis de se dire, ensuite, que l’on va rejouer ?
Si, si, ça a été très dur. L’enjeu est terrible, je ne pense qu’à ça, je dors très mal… Mais je relève vite la tête, parce que je sais que je n’ai pas le choix, il me faut cette médaille de bronze. Je joue contre Roger Federer. Ce n’est pas le Roger d’aujourd’hui, bien sûr, mais on connaît son talent. On sait aussi qu’il est friable mentalement, donc je me dis que ça va passer si j’arrive à tenir jusqu’au bout. Il est plus fort que moi, mais ça peut passer. C’est un match hyper tendu et mauvais en termes de niveau de jeu. L’enjeu est trop fort, je crois, on est dépassés tous les deux par le truc et on a autant envie d’aller chercher la médaille. On s’accroche, même si ce n’est pas génial. Je suis extrêmement nerveux, je gueule dans tous les sens, j’ai peur de passer à côté, peur de rater… Je gagne le premier set 7–6, alors qu’il se procure deux balles de manche. Puis, j’ai deux balles de match au deuxième, dans le tie‐break, à 6–4. Là, je frappe un coup droit bas‐duf’, le bras tremble tellement… J’avais l’impression d’avoir un plâtre à la place. Roger égalise à un set partout. Ensuite, je me fais breaker à 2–2, au troisième. Je ressens une telle nervosité à ce moment‐là que je commence à cramper. Je fais venir les kinés, je me fais étirer. Ca provoque une réaction : j’aligne quatre jeux. Je me sens plus qu’en grand danger, mais j’arrive à inverser la tendance. Je me dis encore plus que je ne peux pas rentrer sans rien et que c’est maintenant que ça se joue.
Cette victoire prend du relief quand tu te dis, qu’en face, il y avait Roger Federer ?
Bien sûr. Même si, en fait, les gens que j’ai battus ne comptent pas. Ca aurait été n’importe qui, je l’aurais battu de la même manière. C’est clairement l’aventure de ma vie tennistique. Ce n’est pas Palerme, ce n’est pas mon huitième à Roland, ce n’est pas mon titre de Champion du Monde Junior.
Et après ça ?
Et bien, je reviens dans ma vie de joueur de tennis, qui est très belle, qui est très sympa, mais qui ne me transcende pas de la même manière.
Il y a eu une réunion avec la délégation et le Président de la République, à votre retour ?
Oui, tous les médaillés se sont fait décorer Chevaliers de l’Ordre du Mérite. C’était Jacques Chirac à l’Elysée, à l’époque. On a eu droit à une réception très agréable.
Finalement, pour toi, le tennis a largement sa place aux Jeux Olympiques…
Pour moi, oui. Je défendrai toujours ce genre de compétitions nationales où l’on représente son pays. Ca prend une dimension tellement supérieure, les choses à côté paraissent futiles. Evidemment, on n’a pas tous ce sentiment. Mais certains l’ont beaucoup plus qu’on ne le pense, comme Richard Gasquet. Quoi qu’il en soit, ça demeure quelque chose de propre à chacun.
Cette médaille aux JO, qu’est ce qu’elle représente ? C’est mieux qu’un Grand Chelem ou qu’une Coupe Davis ?
Je crois que c’est quelque chose qui reste à part, de par la rareté de l’événement. Prenons l’exemple de Nicolas Massu (médaillé d’or en 2004). Je pense qu’il s’est transcendé. C’est hallucinant ce qui s’est passé. Moi, je n’ai pas pu aller au bout, mais je comprends tellement… C’est quelque chose d’unique. Quand on a cette fibre pour le cocorico, il n’y a rien de plus beau !
Publié le samedi 21 juillet 2012 à 17:00