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Frédéric Viard : « Cette décennie est celle de Roger Federer »

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Petit débrie­fing du Masters avec Frédéric Viard, sur Canal+, dans sa Web Actu… avec un petit coup de projec­teur sympa de sa part sur « Grand Chelem, mon amour », en fin d’émis­sion. Merci à lui ! C’est l’oc­ca­sion, pour nous, de vous proposer l’en­tre­tien qu’il a accordé à GrandChelem pour notre numéro 25. Ses plus grands souve­nirs à Wimbledon, sa passion pour Roger Federer, ses 40 matches de légende à lui… Tout y passe !

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2001–2011 : Frédéric, comment qualifiez‐vous cette décennie ?

Si je dois retenir une chose, ou plutôt quelqu’un, c’est Federer. Pour moi, c’est la décennie de Roger Federer, sans aucune hési­ta­tion. Ce qu’il a réalisé entre 2001, oui, mais surtout depuis 2003, jusqu’à cette année, en 2011, avec la finale à Roland Garros… C’est énorme et ça consacre sa décennie. J’ai eu une chance extra­or­di­naire d’avoir vu ce gars jouer, grandir et devenir ce qu’il est devenu. Il fait des coups qui n‘existent pas dans le manuel. Evidemment, je comprends que les gens aiment aussi Nadal ou Djokovic. Eux aussi font des choses extra­or­di­naires. Rafa joue beau­coup sur son physique, sa hargne, sa haine de la défaite. Djoko, lui, est devenu un métro­nome, au‐dessus de tout le monde. Tous deux frappent des coups qui n’existent pas ailleurs, c’est sûr ! Quand on les voit réac­cé­lérer en revers deux mains et trouver une longueur de balle hallu­ci­nante, alors que n’importe quel autre joueur ferait un slice… Mais, Federer, pour moi, il a ce petit truc en plus. Quand tu ne t’y attends plus, quand tu le vois pris à contre‐pied au filet, par exemple… Il réalise une volée courte croisée qui arrive de nulle part. Voilà, c’est ça, Federer, l’inattendu et l’impossible. Je ne veux pas rentrer dans une guéguerre Federer‐Nadal‐Djokovic. Je me souviens m’être fait insulter par les fans de Federer, eux‐mêmes, dès 2005. Pourquoi ? Parce qu’à l’époque, je disais que Roger était le plus grand joueur de tous les temps… mais que Nadal était plus fort que lui. A chaque fois qu’il jouait contre l’Espagnol, c’était ce dernier qui l’emportait. Sans être un meilleur joueur, il a une emprise sur lui, c’est évident. Du coup, il y a des forums, en Suisse, où les gens me haïssent, car, selon eux, je déteste Federer. Ils ne peuvent pas être plus loin de la vérité ! Demandez à Guy Forget. Quand je commente un match et que Federer perd, je suis telle­ment énervé que je me gâche la rencontre. D’autres m’insultent aussi en disant que je n’aime pas Nadal… Pourtant, fran­che­ment, on est au delà de ça. On a juste conscience d’avoir trois joueurs extra­or­di­naires évoluer en même temps, même si, pour ma part, je reste un fan incon­di­tionnel de Federer. 

Le jardin de Federer, c’est Wimbledon. J’imagine que tu as des anec­dotes à son sujet dans ce tournoi qu’on dit le plus beau du monde…

Oh oui ! (Rires) La finale perdue contre Nadal, en 2008. Le match se finit très, très tard. On boucle les inter­views, on rend l’antenne et, le temps de tout ranger, il est presque dix heures du soir. Autour du stade, tout est fermé. On arrive tout de même devant une pizzeria. Le vendeur nous explique qu’ils viennent de terminer le service. Et puis, je vois une grosse Mercedes arriver. J’aperçois l’agent de Federer dedans : il a commandé une dizaine de pizzas et je pense qu’ils vont les manger dans la baraque de Roger. C’est vrai­ment la défaite du tenant du titre, qui se retrouve à commander des pizzas comme tout le monde, parce qu’il n’y a plus rien d’autre ouvert à cette heure‐là. Je me rappelle aussi, lorsqu’il remporte son quin­zième titre en Grand Chelem, en battant le record de Sampras. Il fait le tour des studios, car il y a avait énor­mé­ment de chaînes qui avaient couvert l’événement. Il finit par passer dans le nôtre. On est habillés par la marque Serge Blanco ; je porte donc un polo blanc, avec un XV doré brodé dessus. Federer, lui, arrive avec un polo blanc et sa marque brodée en doré aussi. Bref, il voit le mien ; inter­loqué, car il croit que c’est un polo pour sa quin­zième victoire, il sourit et me demande comment j’ai préparé ça. C’était un hasard, Roger ! (Rires)

Et à l’US Open, où il a régné en maître, aussi ?

Oui, lors de sa finale gagnée contre Murray ou Djokovic, je ne sais plus. Après la grande confé­rence de presse, il accorde deux inter­views en tête à tête à nos confrères suisses et nous. On se retrouve dans un tout petit studio. Il est assis sur sa chaise, avec le trophée. Moi, je rentre avec mon camé­raman. Il me dit : « Ce n’est plus pareil, main­te­nant qu’il y a le trophée ! » Voyant qu’il est décon­tracté, je lui demande si je peux le tenir. Il me répond « oui »… Et voilà. Je me retrouve, dans une toute petite salle, à tenir le trophée de l’US Open, à côté de Roger Federer. Je suis comme un gamin, Roger, paisible et décon­tracté. Un super moment.

« Dans l’histoire de Wimbledon, les Français ont touché les Anglais »

Wimbledon reste le tournoi le plus parti­cu­lier pour toi ? Une atmo­sphère, une ambiance, un environnement…

Oui, on peut parler d’une atmo­sphère parti­cu­lière, avec tous les décors qui s’y attachent : la tradi­tion, les couleurs… Le vert du gazon et le blanc des joueurs. Pour tous les parti­ci­pants, c’est le plus grand tournoi du monde. Ca joue sur la pres­sion ressentie par tout le monde ! Mais, atten­tion : ça ne veut pas dire que seul Wimbledon accouche des plus beaux matches. J’ai des souve­nirs plein la tête de très grandes rencontres, sur d’autres tour­nois du Grand Chelem. Chacun de ces tour­nois majeurs a sa propre iden­tité, avec ses tradi­tions. La décon­trac­tion du début de saison, à l’Open d’Australie, le bruit, la chaleur et les avions, à l’US Open, la couleur ocre, à Roland Garros. Et le côté paisible, à Wimbledon.

Quel match tu retiens, à Wimbledon ?

Mon plus grand souvenir en tant que commen­ta­teur, c’est la finale, en 2008, entre Nadal et Federer. Du moins, l’histoire du tennis retiendra celui‐ci, car, pour beau­coup, c’était la plus belle finale depuis bien long­temps. Certes, aujourd’hui, elle a été dépassée par Nadal‐Djokovic, à l’US Open 2011, notam­ment sur le plan physique. Mais, en 2008, il y a tous les ingré­dients et le contexte d’une finale incroyable. Federer a l’occasion d’égaler Björn Borg, avec six titres. Nadal peut réaliser le doublé Roland Garros/Wimbledon, une première depuis le même Suédois. C’était aussi les deux meilleurs joueurs du monde qui étaient face à face. Deux joueurs aux terri­toires bien définis : Roland, pour Nadal, Wimbledon, pour Federer. Un grand match, par ses rebon­dis­se­ments – comme les multiples inter­rup­tions dues à la pluie. Mais aussi avec ce cinquième set qui n’en finit plus ! Federer est le premier à avoir des balles de break dans la dernière manche, mais, fina­le­ment, c’est lui qui perd 9–7. A 8–8, on aurait joué la suite le lende­main, car il n y avait plus assez de lumière. Mais, cette année, le Court Central est cassé, car ils construisent le toit. Du coup, le stade est plus ouvert, il y a plus de lumière et ça nous donne un match qui finit très tard. Il y a telle­ment d’éléments, qui ont fait, de cette rencontre, une finale parti­cu­lière. Enfin, ce match, c’est un déchi­re­ment personnel, car Roger Federer perd. L’année d’avant, il bat Nadal, déjà en cinq manches, alors qu’il doit perdre, à mon sens. Le scénario s’inverse en 2008 et le Majorquin s’impose. Et puis, pour ma part, j’apprends que ma fille s’est cassé le coude dix minutes avant le début du match. Donc, je suis ça de près, au télé­phone. En même temps que le match se déroule, j’ai des nouvelles de ma fille qui se fait emmener par les pompiers à l’hôpital. Puis il y a l’opération… Ce jour‐là, tout se mélange. C’était vrai­ment intense.

Il y a d’autres moments marquants avec Federer ?

Oh oui, bien sûr ! Les larmes de sa victoire, en 2003… A ce moment précis, on ne s’imagine pas qu’il va avoir une telle carrière. Mais, aussi, lorsqu’il bat le record de Sampras. Ou dans le petit vestiaire, en 2001, alors qu’il discute avec Rod Laver, John McEnroe, Björn Borg et Pete Sampras. Ce sont de très belles images. Mais il y a d’autres souve­nirs avec beau­coup de joueurs ! Andre Agassi, pour son dernier match à Wimbledon. Contre Nadal, d’ailleurs. Un moment très émou­vant, avec Agassi au milieu du Central ; il ne bouge plus très bien, il a mal au dos, on le sent pris par l’émotion… Une atti­tude touchante, de la part d’un bonhomme un peu sale gosse à ses débuts.

Et la finale de 2009 ?

Andy Roddick est maudit ! Cette année‐là, il est meilleur que Roger Federer sur l’ensemble de la rencontre. En 2004, aussi, Federer s’est trouvé malmené par Roddick, avant d’être sauvé par la pluie et de retrouver son tennis au retour des vestiaires. Le rythme est cassé et il l’emporte.

Federer, c’est la figure marquante de la décennie et c’est normal que l’on en parle beau­coup. Mais les Français ont aussi brillé durant toutes ces années… Comment on commente un match impli­quant l’un de nos Tricolores ? Et une finale ?

C’est, d’abord, du bonheur, car, dans le cas de la finale, on se rend compte que l’on vit un moment parti­cu­lier dans l’histoire du sport fran­çais. Mais, c’est aussi plus de pres­sion : on se dit qu’on est plus regardé, qu’on n’a pas le droit à l’erreur… . Oui, on est plus tran­quille quand il n y a pas de Français ! (Rires) Pour le reste, la manière dont on va commenter dépend aussi de l’émotion que l’on peut ressentir durant le match. Moi, j’aime travailler sur des matches qui m’émeuvent, je suis resté un petit garçon de ce côté‐là. (Rires) Voir un joueur gagner et être ému, ça me touche aussi et il arrive que j’aie la voix qui tremble – c’était le cas pour le titre d’Amélie Mauresmo, par exemple. Après, quand un Français prend une décu­lottée en Grand Chelem, c’est plus compliqué. La vérité nous pousse à dire qu’il s’est fait rata­tiner… Or, comme, souvent, on connaît le joueur ou la joueuse, on essaie de le faire avec diplo­matie. Ce n’est jamais agréable de casser du sucre sur le dos de quelqu’un et c’est pire quand on apprécie la personne. Le but du jeu, c’est de ne pas être plombé non plus. Le match peut quand même avoir été très beau avec une superbe perfor­mance de l’autre côté. Il faut rester pro, objectif et mettre de côté notre chauvinisme.

Le commen­ta­teur doit donc être passionné par ce qu’il commente ?

Toujours ! Pour moi, c’est la base du truc. A la limite, commenter une finale de Grand Chelem, c’est facile, on connaît les joueurs par cœur, leur jeu égale­ment… Ca faci­lite la tâche. En plus, on est au bout de l’aventure nous aussi, c’est la fin de notre quin­zaine sur le site. C’est un peu un jour de fête ! Par contre, c’est plus compliqué de commenter un premier tour avec des gars qu’on ne connaît pas bien et un niveau de jeu pas terrible. Sur ce genre de rencontre, la passion ne suit pas forcé­ment et notre métier devient plus compliqué. Mais il faut quand même commenter, dire des choses, donner envie à la personne qui regarde de conti­nuer. Un match de tennis, c’est long. Alors, quand ça n’est pas très inté­res­sant, c’est compliqué ! (Rires)

Comment les Français sont‐ils perçus à Wimbledon ?

Ils ont une très belle image. Dans l’histoire de Wimbledon, les Français ont touché les Anglais. Il n’y a pas vrai­ment l’antagonisme qu’on peut retrouver dans le rugby, par exemple. Riton (Henri Leconte) était très apprécié, là‐bas, Pioline les a marqués, aussi, avec sa finale. Puis, il y eu Tauziat. Bartoli, avec sa finale. Marion joue des matches incroyables, cette année‐là (en 2007). Les Anglais aiment bien la suivre, géné­ra­le­ment. Je pense à Gasquet, égale­ment. Il y a un public plutôt fervent derrière les Français.

« Federer est moins tueur qu’avant »

Parmi les 40 matches qu’on a sélec­tionnés pour notre ouvrage, il y en a plusieurs qui impliquent des Français, à Wimbledon. Quels souve­nirs tu gardes de ces rencontres ?

Gasquet‐Roddick, en 2007, je le commente avec Lionel Roux et on est au fond de la marmite pendant les deux premières manches. Il n’y avait vrai­ment pas photo, Richard se faisait marcher dessus et on ne voyait pas comment ça pouvait changer. Et puis, il y a un moment où tout a basculé… C’est éton­nant, d’ailleurs, mais, ce moment, dans ce type de match, on le saisit très bien. Là, Roddick a commencé à se poser des ques­tions. Dans le troi­sième, où il se fait relancer à chaque fois et trans­percer à la volée, il montre, peu à peu, un visage d’incompréhension et se retourne de plus en plus vers son clan, en disant : « Je n’y arrive pas. » On connaît la fin de l’histoire : Richard s’en sort et c’est mira­cu­leux. Tsonga‐Federer, cette année, c’est diffé­rent. Jo commence le match au diesel, il se fait prendre son service d’entrée, mais n’a plus la moindre balle de break à défendre ensuite. Il perd le premier set. Le deuxième se joue au tie‐break, mais il n’est jamais largué. Après, évidem­ment, on connaît tous la statis­tique de Federer, lors des matches où il mène deux sets à zéro… C’est pour ça que l’exploit de Tsonga pouvait être diffi­cile à envi­sager. Mais, sincè­re­ment, lorsqu’il remporte la troi­sième manche, on se dit qu’il peut le faire. 

C’est vrai, Tsonga le dit lui‐même, il se sentait bien dans les deux premiers sets…

Oui, et puis, depuis un an et demi, Federer, on sait aussi qu’il peut être battu. En 2005, 2006 ou 2007, lorsqu’il avait deux sets d’avance, on savait que c’était terminé. A cette époque, même si le match deve­nait compliqué, il parve­nait à s’en sortir. Lorsqu’il devait faire la déci­sion, il la faisait. Mais, depuis un an et demi, ce n’est plus le même à la conclu­sion. Contre Djokovic, à l’US Open, cette année, il est clai­re­ment moins tueur qu’avant. Et on l’a ressenti face à Tsonga, aussi. Aujourd’hui, on n’aborde plus les matches de Federer, comme on les abor­dait à l’époque.

Mahut‐Isner, tu l’avais commenté ? Comment ça s’était passé ? Tu n’avais pas fait les trois jours, j’espère ! (Rires)

A Wimbledon, je ne suis pas seul à commenter. Mahut‐Isner, on a été plusieurs à le couvrir. Ce n’est pas moi qui l’aie conclu. Mais j’ai fait toute la fin du deuxième jour. Je me suis arrêté à 60–58, un truc comme ça… A un moment donné, on ne sait plus quoi dire ! Ce sont toujours les mêmes jeux, du service‐volée, des retours gagnants ou dehors, jamais plus de trois coups de raquette… Pendant des heures et des heures ! Quand c’est dans un match clas­sique, ça ne pose pas de problèmes. Mais, là, ça faisait 47–46, 47–47, 48−47… Franchement, je ne savais plus quoi dire. Alors on essayait d’improviser : 59, c’est l’année de nais­sance de McEnroe ; 60, celle de Noah… Je ne sais plus si je commen­tais avec Guy (Forget) ou Lionel (Roux). On s’était dit : « Vivement 69–69 ! » je crois. (Il réflé­chit) Ah non, je l’avais lancé diffé­rem­ment : « Quand on arri­vera à 69–69, ce sera diffé­rent : c’est mon année de nais­sance ! » C’est drôle, on s’est arrêté juste avant.

Dans un match comme celui‐ci, on prend toujours du plaisir ou on a juste envie que ça se termine ?

Non, on n’a pas envie que ça s’arrête, parce qu’on n’y croit pas. C’est un truc hors normes. Et puis, on espère que ça va bien se terminer pour Nicolas Mahut… On se dit que pour celui qui va perdre le match, ça va être terrible. C’est un moment vrai­ment très bizarre.

Avec le recul, qu’est-ce tu dirais de cette rencontre ?

C’est inima­gi­nable ! C’en est presque absurde. Un match de 11 heures, qui se finit à 70–68… Quelque part, ça n’a pas de sens. Qu’est ce que ça change de gagner 8–6 ou 70–68 au cinquième ? La perfor­mance des joueurs est incroyable, mais on ne comprend pas ce qui se passe. En revanche, ce match fait partie de l’histoire. S’il y en a un autre qui se finit à 34–32 ou quelque chose comme ça, ce sera trop long. Il ne faut pas que ça se repro­duise chaque année. Je préfère que ça reste unique.

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