Nouvelle escale dans notre dossier sur la notion d’influence, les institutions. C’est donc tout naturellement que nous sommes allés à la rencontre de Bernard Giudicelli, secrétaire général de la Fédération Française de Tennis. Il s’est alors confié sur le pouvoir de la FFT, de la fédération internationale mais aussi de l’actuel statut de Roland Garros. Entretien.
On a l’impression qu’il est difficile de parler de lobby dans le tennis…
« En France, le lobbying est un sujet un peu tabou, alors qu’il est culturel chez les Anglo‐Saxons. C’est comme cela qu’on perd les JO, en 2012. Nous, les de Coubertin, et eux, les lobbyistes (rires). Il n’y a pas de mal à tenter de convaincre, à influer pour faire triompher ses idées et ses valeurs. Dans le tennis, je dirais qu’il y a des lobbyistes, mais que ce ne sont pas forcément des professionnels qui ont un intérêt majeur. Un lobbyiste, c’est aussi une source précieuse d’informations pour qui sait bien écouter, enregistrer et mettre en perspective. »
Quel est le pouvoir d’influence de la FFT au niveau national et international ?
« Au niveau national, nous influons à partir de nos valeurs et des engagements pris auprès de nos délégués. Nous avons un programme pour le mandat en cours, FFT 2016, et on s’attache à le réaliser, toujours dans la concertation et le dialogue. Ensuite, au niveau international, notre pouvoir d’influence repose à la fois sur notre statut de Grand Chelem, via Roland Garros, mais aussi sur notre volonté de voir notre sport se développer dans le monde. Il y a 205 pays adhérents à l’ITF, mais seulement 77 organisent au moins un Future. Il y a encore de la marge. »
On dit que l’ITF n’a pas de pouvoir face aux joueurs et des instances comme l’ATP. C’est une réalité ?
« L’ITF a perdu du terrain ces dernières années, mais elle reste propriétaire des règles du jeu et organisatrice du tournoi olympique et de la Coupe Davis. Néanmoins, je pense qu’elle a besoin de se moderniser et de s’ouvrir au monde d’aujourd’hui, sans confondre finalité et objectifs. L’ITF doit être le bouclier des fédérations mondiales sans lesquelles il n’y aurait pas de joueurs. Comme je le rappelle souvent : « No grassroots, no leaves », « pas de racines, pas de feuilles ». Ce sont les 140 000 dirigeants bénévoles dans le monde qui organisent le tennis et produisent les champions. »
Certains pensent que Roland Garros est menacé dans son statut de Grand Chelem. Si c’est vraiment le cas, comment travaille‐t‐on pour éviter cela ? Que fait‐on concrètement ?
« Un statut, ce n’est pas une statue. On ne se fait pas déboulonner. Un statut de Grand Chelem, c’est, d’abord, un stade mythique, unique. C’est pour cela qu’Anne Hidalgo, la Maire de Paris, est notre partenaire numéro un, comme l’état de Victoria l’est pour l’Open d’Australie. Ensuite, c’est une audience planétaire et, surtout, un public. Là‐dessus, on est les meilleurs, comme l’a montré une étude de Sports Marketing Survey mettant en exergue la proportion majoritaire de joueurs de tennis qui assistent au tournoi. Les premiers tours, à Paris, sont souvent des finales de tournois ATP ailleurs. Pour préserver notre statut, on s’efforce d’être excellents dans tous les domaines, on anticipe, on développe et on a le souci d’offrir les meilleures conditions aux joueurs, aux médias, au public chez lui ou dans le stade. Un tournoi du Grand Chelem, c’est travailler toute l’année pour livrer un événement impeccable avec un goût du prestige et une vision stratégique constamment challengée. »
Quand on parle d’influence, on évoque forcément les médias. Avec le déferlement des supports et l’avènement d’Internet, est‐ce que ce pouvoir s’est dilué ou est‐ce qu’il est encore plus fort ?
« Je dirais qu’il s’est déplacé. Pensez donc… un tweet de Nadal est vu par huit millions d’abonnés ; de Djokovic, par quatre millions, et de Federer par trois. Ce que nous appelons des réseaux sociaux, les Anglo‐Saxons les appellent médias sociaux. De plus en plus d’utilisateurs cherchent l’avis des usagers plutôt que celui des experts, d’où le succès planétaire de sites comme Trip Advisor. Mais je crois que nous nous dirigeons vers des consommations de plus en plus précises. Demain, un Golubev‐Chung sur le court n°10 n’intéressera pas forcément le téléspectateur français, mais mobilisera des millions de Kazakhs ou de Coréens. Aujourd’hui, certains suivent le match en livescoring, sans voir une image. Nous devons réfléchir aux solutions pour leur permettre d’avoir des images et de rêver à leurs exploits, à leur légende. Et cela fera la nôtre. »
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Publié le mercredi 20 mai 2015 à 17:28