Vainqueur de Wimbledon au terme d’une finale jouée un lundi dans des conditions dantesques, aujourd’hui membre du team de Novak Djokovic, le joueur croate est un témoin privilégié pour parler des joueurs caractériels, et notamment d’un certain Nick Kyrgios.
Goran, notre dossier porte sur les « bad boys ». Est‐il important d’en avoir sur le circuit pour qu’il soit plus animé ?
Je n’aime pas cette expression. Pourquoi « bad boys » ? Je préfère parler de joueurs à forte personnalité. De toute façon, on a besoin de personnes différentes. Le tennis est un sport individuel et cela peut vite devenir ennuyeux, d’autant que tout s’est un peu uniformisé : les surfaces, les types de jeu, etc. Aujourd’hui, très peu de joueurs vont au filet. Donc oui, les joueurs qui sortent de l’ordinaire font du bien à notre sport.
Un joueur défraie la chronique actuellement, c’est Nick Kyrgios. Quelle est ton analyse le concernant ?
Nick est une personne spéciale, mais il est bon pour le tennis. Ce qui me gêne dans tout cela, c’est qu’il possède le talent pour être numéro 1 mondial. Quand vous le regardez jouer, vous ne savez pas toujours ce qu’il va faire. Il est totalement imprévisible. Il est capable de faire trois matchs de folie puis d’en balancer un derrière. Je n’ose imaginer quelle pourrait être sa carrière s’il était un peu plus sérieux.
Est‐ce que vous pourriez être son coach ?
Beaucoup de personnes me posent cette question en ce moment, mais je ne sais pas trop quoi répondre, car en fait je ne sais même pas ce que je pourrais lui dire en tant que coach [rires]. Plus sérieusement, je pense qu’il faut le laisser libre. Lui imposer des barrières ne fonctionnerait pas. L’autorité semble quelque chose de compliqué à gérer pour Nick. En fait, la seule solution qui me semble envisageable, c’est que Nick soit coaché par Nick. Bien sûr, j’aimerais vraiment le voir concentré et préparer sérieusement un tournoi du Grand Chelem pour voir ce qu’il est vraiment capable de faire du premier au dernier point.
Il est aussi capable de servir à la cuillère…
Oui, et je trouve ça cool. Pourquoi se gêner ? À mon époque, on ne pouvait pas vraiment tenter ce coup, car en retour les joueurs étaient plus dans le terrain qu’aujourd’hui où certains sont postés à moins d’un mètre de la bâche de fond de court. Quelquefois, quand je regarde des matchs à la télévision, je ne les vois même plus sur l’écran [rires]… Certains nous expliquent que servir à la cuillère est un manque de respect. Je ne le pense pas du tout. À partir du moment où ce coup est autorisé, vous avez le droit de l’utiliser quand bon vous semble.
C’est un peu le même débat que les amorties…
C’est un peu vrai. Ça me fait rire quand un joueur s’énerve parce que son adversaire réalise des amorties. Le tennis reste un duel, un « combat ». Il faut parvenir à l’emporter et donc savoir se servir de toutes ses armes, sans penser à ce que l’on va vous dire ou vous reprocher.
Nick a également dit certaines choses sur Rafa, Roger et Novak, qu’en pensez‐vous ?
Pour moi, c’est vraiment « too much ». Ils sont ensemble toute l’année sur les courts, sur le circuit, et à ce titre, j’estime qu’il ne faut pas critiquer ainsi ses collègues. Je ne trouve pas cela fair‐play. Vous pouvez avoir vos préférences, mais vous n’avez pas besoin de l’évoquer publiquement. De même pour les histoires de célébration des victoires. Sur ce sujet, je ne peux soutenir Nick. D’ailleurs, je considère que c’est une véritable erreur de communication, cela n’apporte rien. De toute façon, la vérité s’écrit toujours sur le court. Donc si tu bats un adversaire que tu n’aimes pas, fais‐lui juste un sourire lors de la poignée de main, ce sera suffisant, mais ne raconte pas ce genre de choses aux médias. Ce sont des attaques totalement gratuites. Dans ma carrière, même si on peut considérer que j’étais un sanguin, je me suis obligé à ne jamais critiquer mes adversaires. C’est un principe, une règle sur le Tour.
Dans votre carrière, quels sont les joueurs les plus fous que vous avez côtoyés ?
Je dirais Marc Rosset, Jeff Tarango et moi bien sûr [rires], même si je n’ai jamais été disqualifié de toute ma carrière. Alors oui, j’ai cassé des raquettes, mais c’est tout. D’ailleurs, je n’ai jamais compris ce procès qui est fait autour des joueurs qui brisent des cadres. Après tout, ce sont les nôtres. On a tout à fait le droit de les détruire et d’en prendre un autre qui est neuf dans son sac. Cela n’a rien d’un comportement hors‐norme.
Et balancer une chaise sur le court, c’est aussi logique ?
Ça, c’est plus rare [rires] et plus surprenant, mais on ne peut pas dire que ce soit un geste dangereux. Lors de cette fameuse journée au tournoi de Rome, j’ai vite senti que Nick n’était pas vraiment dans le coup, il s’est très vite mis le public à dos. Au sujet de cet incident, tout le monde en a fait des tonnes.
Publié le mardi 23 juillet 2019 à 18:09