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« Il y a deux sortes de coachs : ceux qui ont des résul­tats et ceux qui n’en ont pas »

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Patrick revient pour nous sur les qualités qu’il estime qu’il faut posséder pour pouvoir devenir un cham­pion. Pour lui, plus l’en­fant est jeune, plus le processus a des chances de réussir même si bien sûr la réus­site n’est pas program­mable. Entretien vérité avec un des « gourous » du circuit.

Pour être cham­pion de tennis aujourd’hui, Patrick, faut‐il être programmé dès 4 ans ?

C’est un grand sujet. Dans le milieu ultra concur­ren­tiel qu’est le tennis de haut niveau aujourd’hui, il faut être génial pour arriver en haut. On est en train de nous dire qu’il ne faut pas travailler, qu’il faut commencer tard. C’est déli­rant. Si on veut être génial dans un domaine, on est obligé d’y passer des heures, de commencer tôt et de se donner à 100%. Mais il y a toujours des excep­tions, un égaré dont on se demande comment il est arrivé là. Maintenant, dans le top 10 et le top 20, il n’y a que des « travailleurs ». Et ceux qui nous racontent l’in­verse mentent. Que les jeunes enfants jouent beau­coup au tennis, je ne trouve pas ça choquant. Au contraire, c’est une très bonne chose. On ne peut pas criti­quer les parents qui décident de mettre leurs enfants au tennis tôt, parce que dans ce cas là, il y a contra­dic­tion. On ne peut pas écouter du Mozart tous les jours, et dire c’est beau la musique clas­sique – j’adore Mozart – et criti­quer les parents qui mettent leurs enfants dans des projets profes­sion­nels très tôt. Puisque le père de Mozart, lui, il l’a fait.

Où situes‐tu le talent dans tout ça ?

Puisque le tennis, c’est de la répé­ti­tion, du travail. Pour Nadal, on parle de mental, McEnroe c’était plutôt waouh quel talent ! Pas quel travail, mais quel talent !
Pour Federer on dit aussi : quel talent ! Et c’est là où le tennis est un sport excep­tionnel parce que c’est un des sport les plus vastes qui soit. Il réclame un nombre d’ap­ti­tudes excep­tion­nelles. Et je peux pas croire qu’on ne soit pas doué dans au moins l’une de ces apti­tudes. Quelque part, chacun a sa chance, même un gamin comme Nadal, qui n’a pas, selon l’avis général, un talent déme­suré. Et pire, Venus Williams qui a une tech­nique abso­lu­ment dégueu­lasse. C’est scan­da­leux d’avoir une tech­nique de ce niveau, et pour­tant elle est devenu numéro 1 mondial. Cela veut dire que l’es­sen­tiel n’est pas où on le dit, l’es­sen­tiel se passe dans la tête. Quand les gens sont programmés tôt et qu’ils vont dans la bonne direc­tion dès le départ, ils ont forcé­ment un talent quelque part, et c’est ce talent qu’il faut fructifier.

Appuyer sur les points forts si on a des qualités mentales…

Tout se travaille.

Ouais, mais on dit souvent que beau­coup de joueurs fran­çais avaient beau­coup de talent, mais très peu de mental.

On ne dit pas ça des soeurs Williams. Le père les a program­mées l’une comme l’autre, et le plus grand coach de l’his­toire c’est Richard Williams, puis­qu’il a pris deux gamines dès la nais­sance pour en faire deux numéros 1 mondial.

Il a des secrets que les autres n’ont pas ? Tu l’as déjà rencontré ?

C’est prévu. Le journal l’Equipe m’a demandé de l’interviewer.

Mais est‐ce que tu penses qu’il y a des tech­niques spéciales, comme le père d’Agassi…

Bien sûr.

Et les profs. Est ce que tu en admires, est‐ce que certains peuvent créer de nouveaux champions ?

Le tennis est un sport de haut niveau. Il y en a qui disent et d’autres qui font. Pour moi, ce sont les résul­tats qui comptent. Et il y a deux sortes de coach, ceux qui ont des résul­tats et ceux qui n’en ont pas. Il y en a aussi qui ont des résul­tats moyens. Les gens que je respecte, ce sont les gens qui réus­sissent, ceux qui font réussir les autres. C’est pareil qu’au foot. Il y a des coachs qui prennent des équipes et ça marche. D’autres, on leur file des super équipes et ça ne marche pas.

Quel est le rôle des parents dans tout cela ? 

J’ai une théorie que je vais déve­lopper dans mon livre et qui sous tend tout ce que je fait. Et ça explique beau­coup de choses dans le sport de haut niveau. Certains pense­ront que mon analyse est choquante mais c’est comme ça que je vois les choses. Pou moi, il y a trois personnes : 1) le joueur, 2) le pres­crip­teur, géné­ra­le­ment un parent, celui qui pousse le joueur, qui veut qu’il devienne un cham­pion. C’est vital, sans cette personne il n’y a pas de perfor­mance. Dans le sens où le tennis est un sport où on se remet en ques­tion tous les jours car on joue des match quoti­dien­ne­ment. Et tout dépend de ça, car quand on perd, on perd la confiance, on perd l’es­time des autres. On a tout à perdre dans chaque match. Les joueurs dans les vestiaires des tour­nois du Grand Chelem, ils chient dans leurs frocs avant de rentrer sur le court, tous autant qu’ils sont. Ils vont 25 fois aux toilettes, ils ont le bras qui tremble, ils disent « Putain j’ai pas de coup droit » avant de rentrer sur le court. Ils sont tous dans cet état‐là. Ils ont réussi à vivre avec parce que quel­qu’un ne leur a jamais laissé se trouver des excuses. Sinon, tout le monde se trouve des excuses, tout le monde fuit. C’est humain.

Donc il y a le joueur, le prescripteur…

Et le spécia­liste. En général, le coach. Le joueur a besoin de conseils tech­niques, d’une vision de quel­qu’un qui est exté­rieur. Et c’est la coha­bi­ta­tion, la qualité, et la compré­hen­sion de ces trois personnes qui vont faire la réus­site du joueur. C’est simple mais pas facile à mettre en oeuvre, et c’est ce que je fais tous les jours. Mais des fois ça peut être d’autres pres­crip­teurs que les parents, des amis ou des conjoints. On a par exemple le cas de Gicquel. Sa femme ne lui a pas laissé le choix, elle lui a dit clai­re­ment « Maintenant, tu fais plus le cake. Tu vas jouer puis tu gagnes », et il a réussi.

Est‐ce que la moti­va­tion du coach, c’est égale­ment une ques­tion de mentalité ? 

C’est ce que je disais sur l’édu­ca­tion des enfants. Il y en a qui veulent tout bouffer et d’autres qui veulent être peinards. Eh bien c’est pareil pour les coachs. Quelqu’un qui a été formé comme les soeurs Williams, Sharapova ou Hingis, il est dans le trip : « Tu dois être le meilleur et tant que tu ne l’es pas, tu ne peux pas me regarder dans les yeux. » C’est dur mais moi j’ai eu la même éduca­tion. Et tant que je n’ai pas réussi mes objec­tifs, j’ai toujours faim, et je pense que je vais avoir faim pendant encore un moment. Mais si on est dans un envi­ron­ne­ment plus relâché, les coachs moyen­ne­ment motivés, dès que le joueur gagne 3, 4 matches, ils sont contents. C’est insuffisant.

Qu’est ce que tu te dis de Gaël Monfils ? Est‐ce qu’il a le potentiel ? 

Le poten­tiel, oui, c’est une évidence.

Est‐ce que c’est déjà un gâchis ?

Non, on ne peut pas l’en­terrer, il a juste 20 ans.

Mais c’est un joueur que tu voudrais avoir ?

On est en discus­sion pour le moment. Donc je ne sais pas ce qu’il adviendra. C’est un joueur qui est inté­res­sant puis­qu’il a un poten­tiel excep­tionnel, et il faut tout mettre en oeuvre pour qu’il arrive à remporter des Grands Chelems. Encore faut‐il qu’il en ait l’envie. L’envie de faire quoti­dien­ne­ment tout ce qu’il faut faire pour y arriver. C’est aujourd’hui la ques­tion que tout le monde se pose : est‐ce que aujourd’hui, il est vrai­ment déter­miné ? Quel est son objectif ? Est‐ce que c’est simple­ment d’être une star, ou de gagner un tournoi du Grand Chelem et être un grand champion ?

Où est ce que tu situe la diffé­rence ? Quand est ce que tu te dis que ce joueur est prêt ? 

Pour moi ce n’est pas inné. On ne naît pas cham­pion. On a une éducation.

Il faut une éduca­tion mentale pour se dire qu’on est capable de…

Sport ou pas sport, c’est pareil. Tu es ce que tu es par ce que tu as eu l’édu­ca­tion que tu as eue. Point. Tu aurais eu une éduca­tion diffé­rente, tu serais diffé­rent aujourd’hui. Si aujourd’hui t’as envie de foutre le bordel dans le tennis, c’est parce que t’as une ambi­tion qui t’a été incul­quée par tes parents. Moi c’est pareil et c’est pareil pour les joueurs, donc les parents sont abso­lu­ment indis­pen­sables car ce sont d’abord les parents qui vont donner aux enfants cet appétit de victoires et de réus­site. Et ensuite ce sont les éduca­teurs, qui trans­mettent les valeurs, qui montrent l’exemple, au quoti­dien. Je critique les coaches qui fument, car je trouve ça hyper choquant de fumer quand on est coach de haut niveau. Moi je fumais avant d’être coach, je fumais deux paquets par jour. Le jour où je suis devenu coach, j’ai posé mes paquets puis c’était fini. Je trouve aussi choquant de sortir en boite et de se taper des filles alors qu’on éduque des gamins qui ont 20 ans. C’est pas comme ça qu’on peut les cadrer.

On est donc dans la conti­nuité de l’édu­ca­tion qu’on veut avoir. Je suis droit dans mes bottes, donc, mon joueur doit être droit dans ses bottes.

Il faut que le coach ai autant envie que le joueur, et même presque plus, et qu’il donne de l’énergie, de la confiance, les valeurs du haut niveau. Et plus c’est fait jeune, mieux c’est. Et c’est ce que j ai dit aux parents de Marcos, lors­qu’il a été cham­pion du monde junior : « Vous savez de quoi je suis le plus fier, ce n’est pas qu’il ai gagné le cham­pionnat du monde mais de la personne qu’il est devenu. ». On y a tous joué un rôle. Il n’est pas encore numéro 1 mondial mais il a des valeurs qui peuvent l’y conduire. Et ce n’est pas le cas de tout le monde.

Pour arriver à avoir un joueur de haut niveau, c’est aussi des inves­tis­se­ments, de l’argent. Est‐ce que dans l’op­tique où tu serais un busi­ness angel, et le joueur, une entre­prise, tu t’es amusé à calculer le coût d’un Marcos. 

Oui, bien sur. Pour revenir au coaching, je pense que 80% des coachs sont mauvais parce qu’ils n’ont pas de résul­tats. Ce n’est pas moi qui le dit, ce sont les résul­tats. T’es payé pour faire des résul­tats. T’en fais ou tu n’en fais pas. C’est comme dans une entre­prise, t’es direc­teur commer­cial, tu fais des bourdes, tu te fais virer, c’est normal. Et après tu ne trouves plus de boulot. Sauf que dans le tennis, il y a des gens à qui ça ne gène pas que les coachs se plantent à chaque fois. C’est incroyable. Moi ça me gêne.

En même temps, tout le monde ne peut pas avoir de résul­tats. Il faut bien qu’il y aie un numéro 1, un numéro 2…

Mais ça fait partie du métier que de choisir des joueurs qui peuvent monter, et d’ar­river à trouver les solu­tions. C’est comme dans tous les métiers : y a des bons et des pas bons. Et les coachs expé­ri­mentés et bons, ils sont hors de prix. Donc je peux pas les prendre pour l’académie.

Roddick avec Connors, tu le vois comment ? 

Ca a l’air de marcher, donc c’est bien.

On est toujours sur l’idée de résultat !

Oui, bien sûr et puis pour le moment c’est plutôt une réus­site, c’est le moins qu’on puisse dire. Mais pour les coachs, je ne peux pas prendre des mecs comme ça pour l’aca­démie. Je dois prendre des mecs de 35 ans, qui font ça depuis 15 ans et qui n’ont pas de résul­tats. Soit je prends des jeunes et je les forme pour qu’ils deviennent bons. parce qu’ils ont un certains nombre de qualités et que moi je leur donne des chances pour réussir. Je trouve comme ça un moyen de former les coachs du futur.

Et tu choisis des Français ou des joueurs du monde entier ?

Je préfère les Français parce que le langage est quand même une barrière, et même si je maîtrise l’an­glais, c’est pas pareil. Mais il y a aussi des étran­gers, par la force des choses. Déjà parce que les gens pensent qu’il faut avoir une grosse expé­rience pour postuler ici, alors que c’est l’in­verse. Mais quand l’ex­pé­rience n’est pas posi­tive, là c’est un drame. C’est le problème des coachs qui pensent qu’ils sont bons parce que ça fait 15 ans qu’ils le font. Le pire, c’est ça, c’est qu’ils pensent qu’ils sont bons. Ils ne se remettent pas en ques­tion. C’est parfait pour se planter. Et si je peux dire ça, c’est parce que ça fait juste­ment 15 ans que je me plante. Sinon je ne saurais rien.

Aujourd’hui comment ton école est perçue par les autres grandes écoles ? Bolletieri par exemple. 

Bolletieri, ce n’est pas un nom, c’est simple­ment la meilleure académie qu’il n’y a jamais eu dans l’his­toire du tennis. Donc il faut lui rendre ce qui lui appartient.

C’est‐à‐dire beau­coup de champions ! 

J’y suis allé, je suis très ouvert comme personne, j’ai discuté avec le père d’Agassi pendant 45 minutes pour savoir ce qu’il avait fait avec son fils. Y a des choses inté­res­santes à prendre de tout le monde. Et si on veut faire des bons choix pour les joueurs, il faut se dire : « Quelque part, je suis pas génial, j’ai toujours des trucs à apprendre ». Donc Bolletieri, bravo ! Chris Evert, elle est toute neuve, donc elle a rien fait, on verra plus tard. Mais i il y a une grande académie c’est bien Bolletieri.

Et le reste ?

Le reste pour le moment, non, ce sont des trucs récents, qui n’ont pas encore fait leurs preuves. Et même Bolletieri, ce n’est plus vrai­ment un club pour former des cham­pions, c’est un énorme business.

Ton but à toi, est‐ce que c’est le bonheur du résultat ? Une finale pour Marcos à l’Open d’Australie, c’est déjà beau­coup, ou ça doit être un Grand Chelem et numéro 1 mondial ?

Voilà (sourire). Grand Chelem ET numéro 1 mondial. Chaque joueur est un objectif en soi. Ma poli­tique depuis le premier jour – et c’est pour ça que personne n’y a cru au départ – c’est que si on choisi peut de joueurs qui ont du poten­tiel, non seule­ment en tennis, mais aussi en mental, qu’on travaille bien ensemble, on devrait avoir un taux de réus­site excep­tionnel. C’est une approche contraire à tout ce que l’on m’a dit dans le milieu du tennis, en l’oc­cu­rence que ce sport est telle­ment aléa­toire qu’il faut faire du volume, les mettre dans un enton­noir pour fina­le­ment avoir 2, 3 cham­pions. C’est le système Bolletieri, fédé­ra­tion, etc. C’est ça le système aujourd’hui.

Donc grosse sélec­tion au départ sur des critères que t’as défini. Apres, on appuie sur les qualités de chacun, et on fait monter une petite sélec­tion de départ vers le haut. 

Tout le monde s’est marré quand j’ai voulu faire ça y a plus de 10 ans. Seulement voilà, ça a marché et main­te­nant, ils sont bien emmerdés. Encore une fois ça n’a pas marché qu’avec Marcos, même si c’est la plus grande réus­site. Chaque joueur est très impor­tant pour moi, et ce pour plusieurs raisons : d’abord pour des raisons humaines, les parents m’ont fait 100% confiance et l’avenir de leurs enfant dépend de moi. C’est une grosse respon­sa­bi­lité et je la prends très au sérieux. Réussir pour eux, et inté­grer le top 30 parce que sinon, ils ne gagnent pas leur vie. Et après c’est fini pour eux, car la carrière s’ar­rête à 30 ans, il faut mettre de l’argent de coté. Pour moi, être dans le top 30, c’est une réus­site pour eux. Mais ça ne veut pas dire que ça me satis­fait. C’est pas ça que je veux, ce n’est pas mon objectif au fond de moi. Donc j’ai­me­rais qu’au moins 50% de mes joueurs fassent partie de ce top 30, ce qui paraît complè­te­ment déli­rant mais je pense que c’est faisable. Et ensuite, gagner des tour­nois du Grand Chelem, et avoir des numéros 1 mondiaux. C’est mon objectif. Tant que je n’aurai pas atteint cet objectif, je ne serais pas content.

Est‐ce que comme une entre­prise, tu fixes des objec­tifs sur chaque joueur ? 

Bien sur. J’ai des objec­tifs dans 2 mois, dans 6 mois, dans deux ans, dans 5 ans ! Et il faut les atteindre !

Et après, quelle est ta pres­sion à toi, qu’est ce qui te fait courir ?
Honnêtement, je n’ai de pres­sion de personne. Je me la mets tout seul. Je ne dors pas la nuit, ma femme me prend pour un dingue, je dors 4 heures par nuit mais c’est ma vie, ce n’est pas un problème.

D’ou vient cette énergie qui fait que le matin, tu te lèves, alors que t’as un père qui te donne les moyens ?

J’ai fait beau­coup de tennis, dès l’age de 6 ans, puisque mes parents m’ame­naient aux clubs le week‐end quand ils allaient jouer. Puis je jouais avec mes copains aussi. Pour moi le tennis, ça fait partie de moi, et ça jusqu’à ma mort. J’ai ça dans la peau. J’ai beau­coup joué par la suite. Je jouais 20 – 25 heures pas semaines. Et rapi­de­ment, quand on fait de la compé­ti­tion, on a de l’ambition.

Personnelle ? En tant que joueur ?

Oui, puis c’est mon éduca­tion. Mon père est un immigré grec, il est arrivé à 13 ans, il ne parlait pas un mot de fran­çais, il a eu son BAC à 16, a fait poly­tech­nique du premier coup. Sa boite est cotée en bourse. Bref c’est l’édu­ca­tion que j’ai eue. Soit t’es numéro 1 dans ce que tu fais, soit t’es une « merde ». Donc j’ai eu de grosses ambi­tions dans le milieu du tennis et je n’ai pas pensé une seule seconde à autre chose. Puis ça s’est arrêté du jour au lendemain.

Pourquoi ?

Parce que mon père voulait que je fasse des études, de grandes études, comme lui. Puis il pensait que je n’étais pas excep­tionnel dans le tennis, et que quand on n’est pas excep­tionnel, on a aucune chance selon lui.

Et toi tu prends ta revanche face à tout ça ?

Je n’ai cessé d’y penser depuis que j’ai arrêté, et même avant je croyais que j’al­lais être numéro 1 mondial. Maintenant on ne le saura jamais. Quand j’ai arrêté, j’ai posé ma raquette pendant 7 ans. Et pendant 7 ans, je n’y ai plus touché. Jouer pour le plaisir, c’était pire que tout. Et lorsque je suis revenu dans le tennis, c’était pour faire des cham­pions, ce que moi je n’avais pas pu faire, donner à d’autres la chance que moi je n’avais pu avoir. Mon père a eu l’in­tel­li­gence de me financer, et je lui en suis très reconnaissant.

Aujourd’hui, est‐ce qu’on peut estimer le prix d’un joueur ? Par exemple, un an de Baghdatis chez toi ? C’est confidentiel ?

Ca n’a rien de confi­den­tiel. Le prix est simple, ça coûte 20 000 euros de struc­ture par an, par joueur, plus le salaire du coach, divisé par le nombre de joueurs s’il en entraîne plusieurs, les frais de dépla­ce­ment du joueur, et les frais de dépla­ce­ment du coach. C’est un budget approxi­matif entre 80 000 et 120 000 euros par an et par joueur. C’est la règle, c’est ce que leur coûte un joueur à la Fédé, et je ne comprends pas pour­quoi ceux qui s’en­traîne ailleurs ont droit à 0 ou à 8 000 euros, comme a eu droit Irina Paglovic qui est chez moi. C’est très gentil. Mais Mathilde Muhendsen est entraînée là‐bas et ça leur coûte 60, 70 000 euros par an. Donc pour­quoi, il y a deux poids, deux mesures ? Je trouve ça déran­geant car leurs beaux discours, annon­çant que de voir des joueurs gagner, avec « Fra » sur la manche ça leur fait plaisir. C’est bien mais ce n’est pas vrai car les actes ne sont pas en accord avec leurs paroles. Nous sommes dans une période où il y a beau­coup de chan­ge­ment dans le tennis fran­çais, alors évoluons. Mais ça peut être un bien pour un mal. Je dis ça dans le sens où il faut une concur­rence saine, où les joueurs choi­sissent les struc­tures pour de bonnes raisons. Là ça va. Par contre si c’est une concur­rence malsaine, à savoir une concur­rence qui est dirigée par l’argent, ce qui est le cas aujourd’hui de Gasquet et Monfils, rachetés par Lagardère, non pas parce que c’était mieux, mais parce qu’on leurs faisaient de gros chèques, là ça ne va pas. A la Fédé c’est pareil. Parce qu’au­jourd’hui, quel­qu’un qui s’en­traîne chez moi, tout lui est financé mais c’est une dette pour nous, c’est à dire qu’il doit rembourser. Alors qu’à la fédé, c’est gratos, c’est quand même pas pareil. Donc aujourd’hui le choix des joueurs se fait prin­ci­pa­le­ment par ça, et c’est aussi une faute de la part des joueurs. Et beau­coup de joueurs font des choix pour des raisons finan­cières et non pas spor­tives. Et je ne suis pas sur que ça soit la vraie concur­rence saine dont on parle, qui est salva­trice pour le tennis français.

On est allé chez Largardère, et toi, tu as une façon de créer un cham­pion sur des recettes simples, humaines. Je ne veux pas dire clas­siques. Mais qui ont des résul­tats. Alors que chez Lagardère, et ça nous a surpris, on a par exemple un biomé­ca­ni­cien, les cours sont filmés par des caméras, où les gestes sont analysés, par des scien­ti­fiques… Que penses‐tu de tout ça ?

Chacun essaie de mettre en avant ses qualités. Quand on n’en a pas, en l’oc­cur­rence, il faut en trouver. Et avec de l’argent c’est facile. En parti­cu­lier tout mettre sur la technologie.

Parce qu’ils disent que c’est un sport géométrique..

Archi faux. Tout d’abord c’est un jeu extra­or­di­nai­re­ment complexe, où la géomé­trie du cours fait partie des ingré­dients et quand on sait à quel point la pres­sion agit sur la qualité de dépla­ce­ment d’un joueur, ça, ça ne se mesure pas. Je ne dis pas que la tech­no­logie n’est pas inté­res­sante. Moi je fais appel à des gens comme Miller depuis dix ans, avec un mec qui bosse dans le bureau voisin de Miller. Sauf que je ne fais pas des confé­rences de presse pour le dire. Donc j’ai un mec qui est cher­cheur en physio­logie, à l’Insep, qui bosse avec 10 fédé­ra­tions. Pourquoi je l’ai ? Parce que je veux que les joueurs soient bien suivis sur le plan alimen­taire, sur le plan du suivi biolo­gique, pour ne pas avoir de carences. C’est impor­tant car ce sont des joueurs de haut niveau. Ca c’est impor­tant. Après, l’uti­liser comme ils le font chez Lagardère, ça ne sert à rien. L’état d’es­prit, dans le tennis, est bien plus impor­tant que la tech­nique. Je reprends encore mes exemples. Sharapova, numéro 1 mondiale, avec une tech­nique très moyenne, et des notions tactiques rela­ti­ve­ment simples. Nadal, numéro 2 mondial, pareil. Avant, on avait Venus Williams. Ce sont des joueurs qui prennent des respon­sa­bi­lités, qui s’en­gagent, qui ont des valeurs, qui sont celles du haut niveau. Ensuite que la tech­no­logie soit un plus, pour­quoi pas. Mais mettre ça au coeur de l’en­sei­gne­ment, c’est faux. En ahlé­tisme, bien sur, car ce n’est que de la perfor­mance physique.

Quand on te dit qu’on a amélioré le service de Mauresmo grâce à des analyses biomé­ca­niques, tu y crois ?

Bien sûr mais c’est pas ça l’es­sen­tiel. Qu’il faille améliorer le service de Mauresmo, d’ac­cord. Moi je pensais qu’elle ne faisait que le physique là‐bas. Mais un coach qui se respecte est capable de modi­fier un geste tech­nique. Pas besoin d’avoir des caméras dans tous les sens.

Mauresmo qui a son kiné, sa petite équipe, ça tu respectes ? 

Bien sûr ! Mais tous les très bons font de même.

Nous on essaye de définir ce qu’est un cham­pion. Et toi ce que tu enseignes, tes valeurs sont par exemple, c’est l’idée de la confiance. La valeur d’un joueur qui dans un match regarde dans les yeux son coach, qui lui redonne confiance, ça vaut mieux que toutes les études biomé­ca­niques de Miller ?
Brad Gilbert, l’un des plus grands coachs actuels et Bob Brett qui était numéro 1, en avait rien à taper ces trucs là. Ce sont des modes, et ça passera.

La sophro­logie ?

Un coach qui a des outils supplé­men­taires, qui sait les préparer, c’est mieux. Mais c’est le coach qui doit faire, ça passera de mode.

Et l’idée d’une académie avec plusieurs langues, plusieurs pays, c’est une richesse ? 

Bien sur, c’est canon pour les gamins, c’est excep­tionnel. L’autre jour, je me mettais à table, il y avait 20 gamins et presque autant de natio­na­lités diffé­rentes. Et ils sont venus du quatre coin du monde pour vivre ensemble, et vivre des moments exceptionnels.

Le gamin de 4 ans. On peut t’ac­cuser ? Où tu es encore précurseur ? 

Je veux bien qu’on m’at­taque, mais que me reproche t‑on ?
On peut te repro­cher de l’ins­tru­men­ta­liser, t’ac­cuser d’être un négrier. D’abord, avant d’at­ta­quer les gens, il faut se rensei­gner. Il va à l’école mater­nelle tous les jours. Comme tous les enfants de son age. Il joue entre une et deux heures par jour. Les parents savent qu’il est excep­tionnel, à un moment, on se demande s’il faut gâcher ce talent. Il n’y a pas de parents dans le monde qui lorsque que leurs enfants sont clai­re­ment doués pour un domaine, refu­se­raient de lui donner les possi­bi­lités de déve­lopper ses talents, et de réussir. Tous les parents veulent que leurs enfants réussissent.