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Jean Lovera : « Le son du court 1, j’en fus moi même le premier surpris »

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Comme le Court 1 est tota­le­ment détruit, cela mérite que l’on vous propose à nouveau cet entre­tien paru dans notre numéro de mai 2019 de We Love Tennis Magazine.

Pour bien comprendre la magie du court numéro 1 qui va être détruit dès la finale terminée, il fallait bien sûr aller à la rencontre de son créa­teur. Architecte, ex‐joueur première série, président de la Ligue du Dauphiné‐Savoie de 1997 à 2009, Jean Lovera est un amou­reux du beau geste et son coup de crayon aura marqué l’histoire de Roland‐Garros.

Replaçons‐nous dans le contexte. Comment l’idée de construire le court numéro 1 a‑t‐elle émergé ?

Le projet s’engage natu­rel­le­ment en 1978 quand la Fédération fran­çaise de tennis récu­père le terrain de l’Institut Marey situé à côté du court central. C’était un espace d’une super­ficie impor­tante. Souvent, lors des grands duels, certaines personnes montaient sur le toit de l’Institut pour regarder les matchs. Philippe Chatrier, en vision­naire, a alors l’idée de construire un autre grand court. À l’époque, on ne parlait pas de court numéro 1, mais de Central bis. J’étais tout juste diplômé de mon école d’architecture et mon projet de fin d’études portait juste­ment sur le stade Roland‐Garros du futur. Je suis donc choisi, avec Claude Girardet qui était le réfé­rent du stade depuis des années, pour les aména­ge­ments. Comme j’avais aussi joué à un certain niveau, je connais­sais les grands stades du circuit et on m’a fait confiance.

Quel était le cahier des charges ?

Il était en fait assez simple : construire un court de 3.500 spec­ta­teurs qui s’intègre dans le nouvel espace et qui permette aussi une gestion des flux des spec­ta­teurs autour du Central.

Et vous pensez tout de suite à un court circulaire ?

Je suis parti­cu­liè­re­ment sensible à l’identité d’un lieu. Et quand je me suis penché sur l’histoire de l’Institut Marey, j’ai décou­vert beau­coup de choses. Son fonda­teur, Étienne‐Jules Marey, était un cher­cheur magni­fique. Il a notam­ment inventé la chronophotographie.

C’est-à-dire ?

Avec un procédé de plusieurs prises de vues, il est parvenu à découper le mouve­ment en de multiples séquences. C’était révo­lu­tion­naire. Pour que son procédé soit opti­misé, il a donc créé une station physio­lo­gique où il a fait ses expé­ri­men­ta­tions. Il y avait notam­ment une piste circu­laire où il faisait courir des hommes et des chevaux par exemple.

C’est donc ce qui vous a inspiré l’idée du cercle ?

Oui, c’est parti de là. Je trou­vais cela effi­cace car j’y asso­ciais aussi le concept de l’arène. Le cercle a un grand avan­tage, c’est que les spec­ta­teurs ont une vue globale et centrée, quelle que soit leur posi­tion. En revanche, le désa­van­tage est que plus le cercle est grand plus vous vous éloi­gnez rapi­de­ment de l’aire de jeu. Avec le recul, je pense quand même que l’on aurait dû faire un stade plus grand.

Cela l’aurait sauvé ?

Ce n’est pas pour cette raison que je dis cela. Le court numéro 1 s’intègre mal dans le nouveau projet pour des raisons d’aménagement et de proxi­mité avec le futur Central. Il a fait son temps, il a bien servi le tennis. Il repré­sen­tait aussi l’esprit du stade d’origine. N’ayons pas de regrets, je ne suis pas nostalgique !

Tout le monde est pour­tant très triste…

C’est autre chose. D’ailleurs, j’ai reçu des messages, des cour­riers : « Il faut sauver le court numéro 1. » C’est gratifiant.

Ce qui revient toujours quand on inter­roge les joueurs, c’est le son que produi­sait ce court.

C’est vrai, alors même qu’à l’époque on ne menait pas d’études acous­tiques. D’ailleurs, j’en fus moi‐même le premier surpris. Je me souviens qu’un matin tôt, alors que le stade était vide, je suis passé près du 1. Le son était assour­dis­sant, il y avait un écho incroyable. Du coup, je suis rentré sur le court. C’était Jim Courier qui s’échauffait. Par la suite, il m’a confié que ce bruit était unique au monde et qu’il aimait ce court numéro 1 plus que tout.

Comme vous êtes un expert, que pensez‐vous du nouveau Roland‐Garros qui va voir le jour ?

On ne se rend pas bien compte que l’on entre vrai­ment dans une nouvelle ère. Le court Philippe‐Chatrier sera plus une « Arena » comme on l’entend aujourd’hui avec un parti pris d’architecture moderne et inter­na­tio­nale. Cela éloigne un peu le lieu de son iden­tité originelle.

Que voulez‐vous dire ?

Roland‐Garros, c’est un état d’esprit, une atmo­sphère. C’est le prin­temps, le soleil. C’est aussi le béton brut, la croix Saint‐André. Il n’y aura plus ces marqueurs.

Là, pour le coup, vous êtes nostalgique…

Il est impor­tant d’évoluer, je le conçois, mais il ne faut pas oublier son histoire, son iden­tité. Il s’agit de trouver par d’autres initia­tives les moyens de rappeler cela aux visi­teurs, aux fans et aux passionnés. C’est d’ailleurs l’une des missions que m’a confiées la Fédération.

Vous ne pouvez nier que le court Simonne‐Matthieu est réussi.

C’est effec­ti­ve­ment un projet abouti qui s’intègre bien dans son envi­ron­ne­ment, notam­ment avec les meulières et les serres. Ce court est d’une grande élégance. C’est un beau projet, dans l’esprit du nouveau Roland‐Garros, qui a même une dimen­sion poétique.

On sent que quelque chose d’autre vous chagrine…

Sincèrement, j’ai du mal à accepter l’idée que l’on va couvrir le court central. Dans le monde, les surfaces de jeu se sont unifor­mi­sées. Je redoute que l’on se trouve dans des situa­tions qui desservent le jeu. Le tennis sur terre battue produit une théâ­tra­li­sa­tion unique où le vent et les condi­tions clima­tiques jouent un rôle fonda­mental. Mettre le Central de Roland‐Garros sous cloche, ce n’est pas logique, même si j’entends l’argument des droits TV. Je n’aimerais pas être celui qui va appuyer sur le bouton pour fermer ou non le toit car, quoi qu’on en dise, cela chan­gera la donne, voire l’équité sportive.

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