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Makis Chamalidis : « C’est le côté obses­sionnel du cham­pion qui m’intéresse »

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Psychologue à Fédération fran­çaise de tennis, Makis Chamalidis est souvent solli­cité au télé­phone par les médias pour venir révéler le sens caché de la crise d’un joueur ou de l’émancipation d’une cham­pionnne. GrandChelem a préféré le rencon­trer en vrai pour parler du cœur de son métier : l’accompagnement des athlètes et des coachs. 

Makis, est‐ce qu’on est tous coach ?

Ca dépend de ce qu’on entend par le terme « coach ». En tennis, c’est un entraî­neur. En entre­prise, c’est un tuteur. Moi je remarque que le tennis a une certaine tendance à produire du coach. C’est un mot que j’entends plus dans ce sport que dans la boxe par exemple où on parlera d’éducateur. Maintenant tout le monde a‑t‐il les qualités pour être capable d’aller au bout du monde avec un jeune mineur et rester à sa place, donner des conseils utiles et savoir se posi­tionner ? Vous savez perti­nem­ment qu’il y a des mots qui donnent envie et d’autres qui peuvent couper les ailes. Et ce ne sont pas que les mots, ce sont aussi les atti­tudes. Il y a des coachs ou des parents qui peuvent trans­mettre leur nervo­sité et leur angoisse. 

Partons en fait du terme fran­çais : entraîner. Pourquoi a‑t‐il dérivé vers le terme de coach ?

Peut‐être que c’est une évolu­tion logique dans le sens où trans­mettre un savoir tech­nique et tactique ne suffit plus pour un sport comme le tennis. On en est du point de vue mental au même moment qu’il y a 25 ans, quand personne n’avait de prépa­ra­teur physique alors qu’aujourd’hui personne ne peut s’en passer. Je consi­dère que l’entraîneur a toujours inclus une fonc­tion de prépa­ra­teur mental. Maintenant est‐il formé ? 

Bonne ques­tion

Le cursus prévoit quelques modules, mais il se rend compte très rapi­de­ment que ça ne suffit pas. La ques­tion est alors : qui parmi les entraî­neurs conti­nuent de se former ? en PNL (program­ma­tion neuro‐linguistique), en sophro­logie ? qui parmi les entraî­neurs se fait super­viser ? Moi ça fait 12 ans que je travaille à la fédé­ra­tion. Une fois par mois, je rencontre des collègues à qui je fais part diffi­cultés que je peux rencon­trer. C’est ça le cadre de travail dont j’ai envie de parler. Quelles sont mes limites d’intervention ? Si un entraî­neur me demande de dîner avec lui, est‐ce que je vais y aller ? Une joueuse de tennis m’invite à une soirée, est‐ce que je dois y aller ? Toutes ces questions‐là, que je sois médecin ou psycho­logie, je dois me les poser. Si je suis jour­na­liste également. 

Les parents dans tout ça ?

Même ques­tion. Combien d’enfants passent leur match à inter­préter le compor­te­ment de leur parent ? « Ah, il est au télé­phone, ça veut dire qu’il ne s’intéresse pas à moi ». Selon moi, le cadre de travail n’est pas clair. On peut parfai­te­ment se mettre d’accord avant le match entre l’enfant et les parents. « Je lis le journal mais ça ne veut pas dire que je ne perds pas une miette de ton match. Si l’autre triche, voilà ce qu’on a prévu de faire ». Anticiper des choses qui sont déjà program­mées, c’est déjà faire du coaching. Et en résumé, ce sera ma première défi­ni­tion d’un bon coach : un bon coach a bien réfléchi sur son cadre de travail, il sait quel est son style, ses points forts. 

Ca fait 12 ans que vous inter­venez auprès du CNE, comment s’opère le retour sur votre travail ?

Je fais partie d’un package de gens qui inter­viennent autant sur le haut niveau que pour former des BE (brevets d’entraineur), mais je vais vous raconter une anec­dote. A la fin des années 90, quand je suis arrivé, il y avait plein d’entraîneurs qui étaient très inté­ressés par ce qu’on pouvait apporter, mais il y avait un entraî­neur, pendant deux ans il ne m’a jamais dit bonjour. Mettez‐vous à ma place. Je ne suis pas ici chez moi, qu’est-ce qu’il faut faire ? Faut‐il le prendre au 1er degré ou faut‐il ne rien dire ? Moi comme je n’avais pas toutes les options, j’ai préféré ne rien dire. Tout ça pour vous dire qu’aujourd’hui cet entraî­neur est devenu un de mes meilleurs inter­lo­cu­teurs car il a mis du temps pour comprendre pour­quoi j’étais là, comprendre surtout que je n’étais pas là pour lui piquer de la noto­riété sur le dos des athlètes. 

Quel est préci­sé­ment le cadre de votre inter­ven­tion ?

Moi je travaille avec diffé­rentes popu­la­tions : les joueurs, les joueuses, les entraîneurs. 

Mais l’entraîneur reste pres­crip­teur, non ?

Oui, mais main­te­nant c’est plus inté­res­sant quand on sent qu’une joueuse vient non pas pour faire plaisir à son entraî­neur mais parce qu’elle a une matu­rité intel­lec­tuelle qui lui permet de se poser les bonnes ques­tions. Ses inter­ro­ga­tions sont alors assez courantes. C’est « Je suis cham­pionne du monde à l’entraînement mais pas en match. Que faire ? », c’est la gestion de la bles­sure ou de la fin de carrière, etc…. Mais je consi­dère comme je vous l’ai dit, que l’entraîneur a un volet de prépa­ra­teur mental et désor­mais j’interviens de plus en plus sur les entraî­neurs, leur cadre de travail, leur rela­tion, leur atti­tude avant et pendant le match. 

Mais vous jouez au tennis ?

Ah non pas du tout. Je ne joue pas au tennis. 

Mais vous aimez bien le tennis ?

Ah oui j’aime beau­coup mais je ne joue pas.

Non, parce qu’il y a une dimen­sion au tennis qu’il n’y a pas dans les autres sports
Oui, tout à fait. Moi je viens d’un sport collectif qui est le volley‐ball et d’un back­ground multi­cul­turel puisque je suis grec, j’ai passé beau­coup de temps en Allemagne et je travaille avec plein de natio­na­lités diffé­rentes. Maintenant est‐ce qu’il faut avoir joué au tennis pour être prépa­ra­teur mental dans le tennis ? Peut‐être mais à ce moment‐là est‐ce qu’il faut avoir été alcoo­lique pour s’occuper des gens qui ont un problème d’alcool ? Evidemment j’ai quand même appris pas mal de chose sur ce…

Ce drôle de sport

(Sourire) Oui, ce drôle de sport mais le fait d’être exté­rieur fait que pour moi, il n’y a aucune ambi­guïté dans le domaine tech­nique ou tactique. J’ai joué au volley, je pour­rais avoir un avis sur ça si on jouait au volley. Là je suis psycho­logue en tennis, ça ne me traverse pas l’esprit.

Mais le tennis est quand même ce sport spécial où on se bat contre l’autre et on se bat contre soi‐même.

Oui, le tennis et le golf sont les deux plus ouverts sur le mental. 

Oui, mais au golf on se bat contre soi‐même et le parcours.

Exactement, et c’est peut‐être encore plus impor­tant en tennis de savoir qui vous êtes. Quand on pose cette ques­tion au joueur : « Qu’est-ce que tu défends ? » en sous‐entendant que ça n’inclut pas la ques­tion de la victoire ou des titres. « Qu’est-ce que tu défends ? » Certains athlètes n’ont pas réfléchi là‐dessus. Les gens qui défendent une convic­tion, une race, une reli­gion, pensez à Mohamed Ali, ces gens‐là sont prêts à aller au bout, à prendre des risques, ce sont des Cantona, des Perec, des Noah. 

Quelles sont les passe­relles entre le monde du tennis et celui de l’entreprise ?

Eh bien moi je vais souvent en entre­prise avec des spor­tifs pour faire des inter­ven­tions. Eux racontent leur histoire et moi je traduis. Par exemple on va dans une entre­prise qui vous dit « Moi j’étais leader, main­te­nant on est deuxième et on regarde le premier ». C’est une situa­tion qu’on connaît bien dans le sport. 

Oui, avec Federer (Rires)

(Rires) Non, mais je n’y suis pas allé avec Federer. (Sourire) Mais là, ce qui est inté­res­sant c’est qu’on est dans l’être humain, dans le psycho­lo­gique, ce qui fait qu’on est deuxième et qu’on est spec­ta­teur. Parfois on a oublié ce qu’on sait bien faire, parfois on a un complexe d’infériorité. Mais je vais vous raconter ceci. Vous arrivez dans une entre­prise à l’accueil et vous voyez une charte avec 15 valeurs – que personne ne respecte évidem­ment. Là‐dessus arrive le grand cham­pion, Edgar Grospiron, Fabien Galthié ou Stéphane Diagana qui va faire une inter­ven­tion devant les 300 commer­ciaux, tous avec les yeux gros comme ça. Le soir, ils vont rentrer chez eux, super contents d’avoir serré la main du grand cham­pion. Trois jours plus tard vous leur demandez ce qu’il a dit, ils ont déjà oublié. Ils n’ont pas pris une note, pas fait ce trans­fert intel­lec­tuel. Pour eux, ce qu’a fait la star, c’est inac­ces­sible, ils se disent qu’ils n’arriveront jamais à le faire. Alors moi mon boulot, c’est de faire cette traduc­tion entre le sportif et l’entreprise. « Toi aussi, tu peux apprendre à te lever cinq minutes plus tôt, tu peux apprendre à te concen­trer, à ne pas te sentir toujours jugé ». 

Qu’est-ce que vous trouvez d’exceptionnel menta­le­ment chez les cham­pions de tennis ?

On dit souvent que ce sont des extra‐terrestres parce qu’on ne regarde que le pic de l’iceberg. Quand on voit ce qu’ils font au quoti­dien ça devient inté­res­sant. Leurs choix, les déci­sions excep­tion­nelles qu’ils prennent ou qu’ils assument. Vous regardez la biogra­phie des grands : homme poli­tique, sportif, artiste. Vous verrez toujours qu’il ont mis en place une contrainte excep­tion­nelle à partir d’un ques­tion­ne­ment sur soi‐même. C’est ce côté cher­cheur un peu obses­sionnel qui m’intéresse : qu’est-ce qu’il faut faire pour passer un cap ? Jean‐Claude Killy avait l’habitude d’arroser sa piste tous les matins pour qu’elle soit plus dure. Résultat : l’entraînement était diffi­cile donc les compé­ti­tions deve­naient plus faciles. Nedved, qu’est-ce qu’il fait avant l’entraînement ? Il court une heure en bas de chez lui avant l’entrainement, il a un lac et tout ça. Il y en a plein comme ça des travailleurs de l’ombre qui savent telle­ment d’où ils viennent que par ailleurs quand ils touchent autant d’argent, eh bien moi je trouve ça mérité. C’est telle­ment facile pour nous de criti­quer Federer qui a du mal contre Nadal. On oublie vite le travail dans l’ombre.

Pour finir, quand on parle de psycho­logue, tout le monde entend « gourou ». Quelle est la diffé­rence entre les deux ?

Pour moi, gourou, ça rime avec dépen­dance. Mais atten­tion, ça peut rimer avec des résul­tats aussi, mais jamais très long­temps s’il y a dépen­dance. Mais je ne crois pas non plus à l’inverse, c’est‐à‐dire que tout le monde dit qu’il faut que le joueur soit auto­nome, or nous sommes dans un système où on fait tout pour les assister et le seul moment où ils sont seuls, c’est pendant le match. 

Mais vous êtes le premier à parler de cette illu­sion de l’autonomie. Tous les coachs disent qu’ils veulent trans­mettre le sens de l’autonomie.

Ah non, ça pour moi, c’est un mythe. Comment voulez‐vous apprendre à quelqu’un à être auto­nome alors que lui, il vient cher­cher autre chose, il s’accroche à vous car il a toujours appris à être dans le fusionnel. Tout le monde ne peut pas être dans l’autonomie. La deuxième diffé­rence, c’est que le gourou a plus besoin de l’athlète que l’athlète du gourou. Bien sûr, ça peut ramener des résul­tats mais à long terme, c’est une catastrophe.