Pédopsychiatre de renom, Marcel Rufo est aussi un grand amateur de tennis. Sa récente collaboration avec la fondation de Richard Gasquet a pour but d’utiliser le tennis comme aide thérapeutique. Rencontre avec ce spécialiste de l’enfance et de l’adolescence qui décrypte pour nous, quelques aspects psychologiques du circuit.
Quelle est l’image que renvoie un champion de tennis à un enfant ? Celui d’un super‐héros ? D’un super‐papa ?
Je crois d’abord que chez l’enfant le joueur de tennis donne l’image de celui qui n’a pas peur lors de la balle de match. C’est l’image de quelqu’un qui doit passer une épreuve où tout se joue sur un coup et qui est capable de réussir. C’est l’image de l’adresse dont on voudrait tous être dépositaires.
Parmi les joueurs actuels, y’a‐t‐il de grosses différences entre leur comportement et comment peuvent‐ils être perçus par les enfants ?
La dualité Nadal/Federer va se retrouver dans leur comportement sur le terrain. Roger Federer, c’est le professeur, le modèle. La perfection du geste et du style. Il atteint ce que tout enfant rêve d’obtenir dans tous les coups. Le modèle identificatoire absolu. Et en même temps il est capable de s’effondrer en pleurs quand il a gagné. L’image de la glace qui peut fondre. Nadal c’est la force et la résistance. Celui qui ne lâche rien qui n’est jamais battu. Le côté « Je suis costaud, fier et puissant ». C’est un taureau qui cherche à battre le toréador et qui y arrive de plus en plus souvent.
Est‐ ce que par rapport à ces caractéristiques un enfant peut s’identifier soit à Federer soit à Nadal ?
On est de son psychisme comme on est de son champion préféré. L’enfant va donc effectuer un choix entre la sobriété de Federer ou le côté combatif de Nadal.
En voyant plus loin que le duel Nadal/ Federer. Il y a un ou des joueurs qui peuvent « draguer » les enfants ?
Je trouve Djokovic très intéressant. Il est capable de mots d’esprit, de sourires. C’est vraiment l’enfant espiègle. On a l’impression qu’il est encore dans « Un jour, je deviendrai grand » alors qu’il l’est déjà. Si on continue, Andy Roddick a beaucoup de charisme pour les enfants. Roddick c’est l’Américain qui peut gagner à tout moment. Le symbôle de la puissance américaine. Un joueur comme Marcos Baghdatis plait aussi aux jeunes. Marcos c’est Ulysse. Celui qui vient d’une île lointaine et qui débarque. Le marin d’Ulysse qui fait du tennis.
Chez les joueurs français il y a trois figures emblêmatiques avec Monfils, Gasquet et Tsonga. Un enfant nous a dit « Moi, je suis derrière Tsonga parce que je suis métis ». Jusqu’où va l’identification d’un enfant avec son champion ?
Monfils et Tsonga ont cette qualité de représenter la France plurielle. Comme la France de l’équipe de foot ou comme l’équipe de rugby. Sans oublier que les enfants sont moins bêtes que les adultes concernant la couleur de peau. Pour un enfant, Monfils fait vraiment figure d’athlète, un exemple de musculature, le Noah des années 2000. Jo‐Wilfried Tsonga, c’est un ouragan, en quelque sorte le Nadal français. Quant à Gasquet, c’est le talent, c’est Mozart. Avec le risque de naître avec du talent et de ne pas l’utiliser. Il a un talent qui lui permet presque de ne pas travailler. C’est l’archétype du super bon élève. Chaque enfant va ensuite s’identifier selon son vécu, sa couleur, ses capacités.
En parlant de Richard Gasquet, il y a eu plusieurs allusions sur le fait qu’il portait une casquette. Beaucoup des grands champions portent une casquette. Peut‐on y voir une raison psychologique ?
La casquette c’est un gri‐gri. Il n’y a qu’à voir la façon qu’à Nadal d’ouvrir et de refermer ses bouteilles. Le rituel interpelle les enfants, parce que l’on passe toujours par un rituel pour réussir. Le joueur de tennis est humain, par ces rituels il a besoin de chemins magiques pour pouvoir fonctionner. En cela, ils se rapprochent du comportement de l’enfant qui met constamment en place des conduites magiques pour se cadrer.
Le tennis en tant que sport collectif a‑t‐il une influence particulière sur l’enfant ?
Le tennis reste un sport individuel et structure l’enfant par rapport à lui‐même. En voyant plus loin la coupe Davis a un effet de sport collectif où les joueurs portent les couleurs d’une nation. Le champion de tennis reste un individualiste mais renvoie aux jeunes une image de citoyen du monde du fait que les grand chelem se jouent à travers le monde et que les joueurs sont de nationalités différentes. Cela permet à un enfant de s’ouvrir sur l’extérieur.
La pratique du tennis est une activité qui participe à la construction d’un enfant ?
Amélie mauresmo me disait quelque chose de très joli l’autre jour. Elle m’expliquait que son plus mauvais souvenir du tennis remontait à ses 9 ans lorsqu’elle n arrivait pas à prendre un set à son professeur. Le tennis comme style de vie pour un enfant est très exigeant. Réussir un joli coup, un beau lob,un service puissant demandent beaucoup de sacrifices. Le tennis participe à l’apprentissage de la vie.
L’idée de s’amuser reste présente pour l’enfant ?
La diversité des coups en soi est déjà quelque chose de divertissant. C’est un jeu de régles qui laisse la place au hasard. Quand la balle touche le filet ou le cadre de la raquette on sort du cadre classique du jeu et on ne sait pas qui va gagner le point. C’est ce qui amène le côté amusant du jeu. Ensuite les « tricks », comme de réussir un coup entre les jambes c’est jouissif.
Le tennis structure‐t‐il mentalement un enfant ?
C’est un jeu excellent pour la maîtrise de soi. C’est un sport nécéssaire aux troubles psychologiques. Dans mon hôpital, la fondation de Richard Gasquet va financer l’implantation de courts dans l’enceinte de l’hôpital. Le plaisir du tennis relance la vie d’un malade. Par exemple, les personnes qui ont des troubles de l’alimentation, par le tennis s’améliorent.
L’initiative vient‐elle de vous. Parce que vous êtes fan de ce sport ?
Elle vient surtout de ma rencontre avec Richard Gasquet qui souhaitait s’investir dans une structure comme la nôtre.
Publié le lundi 15 septembre 2008 à 22:30