A l’occasion de la sortie de GrandChelem 23, Welovetennis vous propose de découvrir, cette semaine, des entretiens qui vous permettront de préparer, au mieux, le rendez‐vous de la Porte d’Auteuil.
A suivre : GC23 ; Martina Hingis ; Francesca Schiavone ; Sam Sumyk ; Alexandra Fusai ; Novak Djokovic ; Tomas Berdych ; Nicolas Mahut ; Jo‐Wilfried Tsonga ; Patrice Hagelauer/Arnaud di Pasquale ; Roland Garros : leur première fois.
Ah Martina ! Pour de nombreux passionnés, Martina Hingis incarne une certaine vision du tennis, une jeunesse éternelle, un rêve de gamins et gamines. Adolescente arrogante, surdouée, souriante ; femme accomplie, sereine et réfléchie. L’ex-numéro une mondiale a tout connu et nous a tout montré, de son jeu, de ses visages. GrandChelem/Welovetennis est allé à la rencontre d’une Suissesse très parisienne, au bord des courts du Racing Club de France.
Alors, Martina, tu es Suissesse ou Parisienne ?
Je reste résolument Suissesse, même si mon mari est parisien. Mais j’ai toujours adoré Paris et la vie française, donc, là, c’est un formidable compromis ! (Rires)
A Paris, tu n’as pas que de bons souvenirs, avec cette finale en 99…
Aujourd’hui, avec le hawk‐eye, ça aurait peut‐être été différent ! (Rires) Mais j’étais jeune, à l’époque, j’avais 18 ans, j’étais numéro une mondiale, en finale de Roland Garros… Ce n’est pas n’importe quoi ! A ce moment‐là, dans ma tête, gagner était la chose la plus importante au monde.
Et l’idée de passer le filet ?
Je voulais voir la marque, c’est simple. Tout le public était derrière Steffi ! Avec le recul, je comprends d’ailleurs la réaction des gens.
C’est un vrai regret ?
Non, je n’ai que de bons souvenirs à Roland Garros. Je n’ai jamais été déçue, j’étais quand même à deux points du titre. J’avais la victoire au bout des doigts… Et si on me parle autant de cette rencontre, c’est bien parce que, finalement, je ne l’ai pas remportée.
Que penses‐tu du tennis féminin actuel ?
A mon époque, il y avait beaucoup plus de personnages. Les Williams, Monica Seles, Jennifer Capriati, Anna Kournikova… Aujourd’hui, on voit surtout le même style de joueuses. Elles font 1m80, elles servent bien, il n’y a pas trop de différence… Mis à part Caroline Wozniacki qui a un jeu plus stable. Mais il faut qu’elle gagne un tournoi du Grand Chelem pour avoir le respect de tout le monde, c’est obligatoire.
GrandChelem est né à Lyon, pas très loin de la Suisse. Pourtant, on n’arrive pas à savoir si tu restes aussi célèbre là‐bas ?
Il faut passer la frontière ! (Rires) Plus sérieusement, la Suisse n’avait jamais eu de sportifs de haut niveau connus mondialement, à part quelques skieurs, mais ça restait un peu local. Mon parcours et celui de Roger Federer ont marqué les esprits.
Mais tu peux vivre tranquille ?
Quand je passe la frontière, c’est différent. En Suisse, je suis vraiment connue. Donc, ici, c’est quand même plus cool et plus zen, même si on m’accoste dans la rue, ou qu’on me fait des signes aux feux rouges.
Ca te fait plaisir ?
Oui, mais ce n’est pas très important, même si ça reste très agréable.
Puisque tu en parles, tu as des contacts avec Roger ?
C’est difficile, car Roger a un emploi du temps hyper chargé – et je sais de quoi je parle ! (Rires) En revanche, on arrive à se parler un peu quand on se croise sur les tournois du Grand Chelem.
En France, au début de ta carrière, tu avais l’image d’une fille hautaine, un peu précieuse. Mais c’est tout le contraire, non ? Aujourd’hui, tu es très accessible…
Oui et, en plus, je suis arrivée à l’heure ! (Rires)
Logique pour une Suissesse… (Rires)
(Rires) Non, mais, à l’époque, c’est juste que j’étais protégée, car je ne pouvais pas faire plaisir à tout le monde. Sinon, j’aurais pu faire des interviews tous les jours. Surtout qu’en tant que numéro une mondiale, on a des choses très contractuelles à faire, notamment avec les sponsors.
D’ailleurs, à ce sujet, j’ai entendu dire que tu étais très célèbre au Japon…
Oui, c’est vrai. Il y avait beaucoup de produits à mon effigie : des barres chocolatées, des boissons énergisantes…
Il y a des pubs que tu as tournées et dont tu n’es pas très fière ?
Non, j’ai toujours pris du plaisir à les faire. Je m’en rappelle d’une… On m’avait fait chanter en Japonais ! (Rires) Un moment très drôle.
Sur Internet, on voit beaucoup de photos de toi, en mannequin, en danseuse…
Tant que ça ? (Rires) La vérité, c’est que j’ai pris beaucoup de plaisir à faire tout ça.
Tous les champions ne font pas ça après leur carrière…
Je n’en suis pas si sûre, c’est aussi ça, le show‐business. Moi, j’aime bien le maquillage, les belles robes… En plus, j’ai toujours voulu danser ! C’est quelque chose qui m’a toujours plu. Malheureusement, on n’avait pas fait un très bon parcours avec mon partenaire.
Cette émission, il n’y a pas une autre joueuse qui y avait participé ?
Oui, c’est vrai, Monica Seles ! Je l’avais d’ailleurs appelé pour prendre des conseils et elle m’a incité à y aller.
Côté sport, quelle est ta vie aujourd’hui ?
C’est un peu d’équitation et un peu de tennis. En fait, j’essaie de pratiquer les deux. Comme je vais disputer le Trophée des Légendes, avec Lindsay Davenport, je me dois d’être en forme ! C’est un très bon mélange. J’avais déjà pris beaucoup de plaisir à taper la balle à Roland Garros, avec Alizé Lim, une espoir française.
Alors, tu tapes dans la balle régulièrement… Pourquoi ?
(Rires) Je ne comprends pas la question ! Ca me parait évident (rires) : j’adore jouer au tennis. J’adore ce jeu.
A quel niveau tu te situes, aujourd’hui ?
Je n’en ai aucune idée ! Pour tenir un set, je pense que je suis assez bien. Mais sur la durée d’un match entier, physiquement, je ne tiendrai pas la distance. Je ne m’entraîne plus quatre heures par jour, je ne cours plus quotidiennement… C’est logique. Par contre, la technique, je l’ai toujours, on n’oublie pas.
Si tu devais jouer un double mixte, ce serait avec qui ?
Quand j’ai joué le World Team Tennis, j’ai eu l’occasion de faire un double avec John McEnroe. C’est vraiment sympa, car il met la pression. Il est à la fois sérieux et fun. Tu as intérêt à bien jouer, sinon il se fâche ! (Rires) Mais, au final, c’est un super moment.
Et sur le circuit actuel ?
Je l’ai déjà fait, j’avais même gagné la Hopman Cup avec Roger (en 2001). D’ailleurs, lui et moi, on avait enchaîné avec le tournoi de Sydney. C’est un super souvenir ! Il avait 20 ans, moi, un de plus, il n’en était qu’au début, il commençait à gagner des titres…
Chez les Français ?
C’est difficile, il y a beaucoup de choix. Mais sûrement Michael Llodra – il est très bon – ou Yannick Noah.
Yannick Noah ? Mais c’est un chanteur ! (Rires)
Oui, oui, c’est dingue cette deuxième carrière ! Mais, en fait, j’ai déjà joué avec lui ou, plutôt, contre lui. Il était avec Mary Pierce et, moi, avec Mansour Bahrami.
Tu as gardé des contacts avec d’anciennes adversaires ?
Oui, surtout, avec Anna Kournikova.
A GrandChelem, on aime parler du matériel, car c’est une part essentielle du tennis et de son histoire. Tu as fait toute ta carrière avec la marque Yonex. Pourquoi ?
Parce qu’elle convenait à mon jeu. Par le passé, Martina Navratilova a aussi joué en Yonex. D’ailleurs, à mon époque, on était plutôt nombreuse dans ce cas : Monica (Seles), Anna (Kournikova), Iva (Majoli), Anke (Huber)… Cinq filles sur 10 étaient en Yonex.
Ca veut dire que ce cadre un peu spécial était adapté aux femmes ?
La forme de cette raquette augmente la zone de centrage, ce qu’on appelle le « sweet spot ». Ca permettait d’avoir plus de marge et de décentrer un peu la frappe. De la « rater », d’une certaine manière ! (Rires)
Je ne pense pas que tu la rates souvent…
Pour mon jeu, ce type de cadre a toujours été efficace, précis – oui, précis ! – et assez puissant. C’est pour ça que je suis resté fidèle à cette marque.
Tu as testé la révolution avec les nouveaux cordages, comme le Luxilon ?
J’ai essayé. Mais je fais du mixte, car j’ai testé avec du 100% et ça ne m’a pas vraiment convenu. Ca posait des problèmes en termes de santé pour mon bras.
Parlons un peu de ta carrière. On a dû te poser dix fois la question, mais… pourquoi as‐tu tenté de revenir après avoir arrêté le tennis ?
J’avais 25 ans et je ne voulais pas avoir de regrets, me dire que je n’avais pas essayé. J’avais encore quelque chose à donner. Et ça s’est même très bien passé ! Au début, j’avais un peu peur, j’étais stressée… Mon premier match sur le circuit, à mon retour, s’était soldé par une défaite face à Justine Henin. Ce n’était pas un début idéal… (Sourire)
Tu as constaté de vraies différences entre les deux périodes ?
Quand tu débarques sur le circuit aussi jeune que je l’étais, tu n’as rien à perdre. A 17 ans, tu réfléchis forcément moins qu’à 25. Tu ne te dis pas : « Je vais peut‐être rater ma chance » ou « c’est peut‐être ma dernière finale », « ma dernière occasion de remporter ce titre »…
Tu es aussi fière de ta deuxième que de ta première carrière ?
Oui, même s’il y a eu moins de titres. Je n’ai pas été numéro une mondiale, mais 6ème, après un an, ce n’est pas si mal ! (Rires)
Aujourd’hui, beaucoup de filles sont entraînée par leur père ou leur mère. Pourquoi ?
Parce qu’il le faut…
Pourquoi « il le faut » ?
Tu ne te sens pas toute seule, c’est important. Il faut avoir quelqu’un avec toi, surtout quand tu es jeune. Avec la famille, c’est plus simple. Après, il y a les copains qui te permettent d’avoir un peu de vie privée à côté de ta carrière. Mais ce n’est pas toujours facile, surtout quand tu es une fille. Ton copain va rarement accepter de voyager avec toi toute l’année.
Avec ta maman, tu n’as jamais eu de périodes difficiles ?
Bien sûr que si ! Quand tu vis 24 heures sur 24 avec quelqu’un, il y a toujours des moments tendus. Mais, je te rassure, aujourd’hui, on s’entend très bien, on est copines. (Rires) Mais je me rappelle d’une période, vers 20 ans… J’avais décidé de jouer sans elle, je voulais me prouver des choses. J’ai vite compris que j’avais besoin d’elle.
Elle est toujours dans le tennis ?
Elle a une académie. Il y a notamment une fille de 14 ans qui est très prometteuse ! (Rires)
Et, toi, tu penses à devenir coach ou aider à l’éclosion de talents ? Tu restes la reine de la tactique…
Tu sais, dans le tennis moderne, on n’a pas vraiment le temps de mettre en place une quelconque tactique. Ca attaque dès le retour et on voit ce qu’il se passe après…
Ca veut dire qu’une Martina Hingis en pleine possession de ses moyens ne pourrait plus réussir ?
Je ne sais pas, c’est difficile à dire. Je me retrouve un peu dans Caroline Wozniacki. Elle a une vraie constance et un entourage performant avec son papa. Je trouve qu’elle a mis en place des règles saines et qui fonctionnent.
Alors, coach ou pas coach ?
Pourquoi pas, mais il me faudrait trouver une joueuse qui écoute. Et, ça, c’est plutôt rare par les temps qui courent ! (Rires) Je crois que c’est un problème de génération. Aujourd’hui, on ne respecte pas assez le tennis.
Que veux‐tu dire par là ?
Ca frappe, ça frappe, ça frappe… On dirait que chaque joueuse a sa ligne directrice et s’y cantonne. Elles ne pensent pas à l’autre et mettent au placard tout l’aspect stratégique de ce sport. J’ai remarqué ça quand je suis retourné sur le circuit. L’ambiance avait changé…
Ah bon ?
Oui, j’ai une anecdote qui illustre tout ça. Chaque année, en Australie, il y a un meeting avec les joueuses. Quand je suis arrivée sur le circuit, c’était un temps fort, un temps d’échanges, mais aussi d’écoute. Là, c’était le contraire : tout le monde jouait sur son téléphone et parlait en même temps. Je n’ai rien compris. Ce comportement a des répercussions directes sur le tennis proposé, c’est inévitable.
C’est le fameux « respect » dont tu parles ?
Oui. Au tennis, tu peux couvrir, au maximum, 80% du court ; pourtant, aujourd’hui, les filles jouent trois fois sur quatre des balles à risque de n’importe où et n’importe comment. Souvent, il y a des séquences où elles ratent beaucoup sans se remettre en cause, sans essayer, derrière, de placer la balle dans le court. Ce sont des choses qui m’énervent ! (Rires)
Vraiment ?
Oui. C’est frustrant, car il peut y avoir des balles complètement incroyables, des points gagnants que je n’aurais jamais imaginé tenter et, quelques instants plus tard, trois fautes grossières. Ce n’est pas vraiment ma conception du tennis, je n’ai pas eu cette éducation tennistique.
Quel est le meilleur public que tu as pu rencontrer ?
Ils ont tous leurs spécificités. Les Français, quand ils sont derrière toi, c’est magnifique. Mais, dans le cas contraire… Waouh, ce n’est pas simple ! (Rires)
Quelle a été ta réaction quand tu as appris que Roland restait à Paris ?
Je pense que c’est mieux. Roland Garros, c’est Paris, ce n’est ni Marne‐la‐Vallée, ni Versailles. Je trouve que c’est une très bonne décision. Moi, j’adore la place des Mousquetaires, je trouve que c’est un très bel endroit.
Et ton court préféré ?
Le Suzanne Lenglen, car je n’ai jamais perdu sur ce terrain. Roland Garros occupe une place privilégiée dans mon cœur. J’y ai quand même gagné deux fois… en Junior ! (Rires) La première, d’ailleurs, c’était épique. On était sur le court numéro deux ou trois, je ne sais plus. En même temps, Mary Pierce jouait sur le Central face à Arantxa Sanchez. Dans nos tribunes, il y avait dix spectateurs, à tout casser. C’était étrange ! (Rires)
Ton endroit ?
Je me suis toujours sentie bien à l’Open d’Australie. Mais, aujourd’hui, en spectatrice, je prends beaucoup de plaisir à Wimbledon. Je suis membre du club et c’est un vrai privilège.
Si tu ne devais garder qu’un titre de ta carrière ?
Waouh, c’est difficile ! Mais je dirais mon premier, à Filderstadt. J’en garde un souvenir très particulier. J’avais gagné une Porsche Boxter, je suis partie avec. Quel pied !
Un dernier mot sur Nadal, même s’il a détrôné Roger…
Je suis allée le voir jouer à Roland Garros, l’an dernier. C’était juste dingue ! Ce qui me plait par‐dessus tout, c’est le respect qui existe entre lui et Roger. Pour moi, c’est primordial ; c’est le respect du tennis et de son histoire.
Publié le mardi 17 mai 2011 à 10:00