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Mats Wilander : « Je ne comprends pas les vingt premières minutes de Federer contre Nadal à Roland‐Garros »

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Il était consi­déré comme le chro­ni­queur le plus assassin de la place quand nous l’avons rencontré en juillet dernier à l’Open Hippopotamus de Maisons‐Laffitte, il est depuis hier l’en­trai­neur offi­ciel de notre Paul‐Henri Mathieu et déclare déjà vouloir l’emmener au bout de Roland. Mais Mats Wilander, c’est surtout le mec le plus intel­li­gent et cool qu’on ait rencontré sur et en dehors d’un terrain de tennis. Retour sur une inter­view esti­vale où toute la rédac­tion s’était déplacée pour envoyer du fil de pêche avec le Suédois. 

Quelle est la meilleure posi­tion pour parler de tennis ? Un pied dehors ou un pied dedans ? 

Je pense que le mieux c’est de côtoyer ce petit monde unique­ment quelques semaines par an. Si vous commencez à les voir toutes les semaines, vous allez réaliser à quel point ils sont bons. « Ouahhh, ce gars‐là joue incroyable !», « Mais lui aussi joue incroyable !», vous allez vite à voir trop de respect pour eux. Et un gars comme moi qui ne suit que les Grands Chelems et la Coupe Davis en jouant avec eux, en jouant avec mes gars (les Suédois) je vais effec­ti­ve­ment voir le physique, la puis­sance mais égale­ment me dire « En fait il n’est pas si bon, il a un problème de prépa­ra­tion, etc…. ». Vous commencez à voir ce qui ne va pas. Donc je pense que c’est très impor­tant de ne pas être là tout le temps. 

On te connaît en France avec une chro­nique assez directe dans le journal l’Equipe. Comment considéres‐tu ton statut d’observateur ? 

D’abord je me consi­dère comme très chan­ceux de pouvoir dire ce que j’ai à dire. Bien sûr c’est plus amusant de penser que ça va être lu car autre­ment je ne pren­drai pas autant de plaisir à le dire, mais je ne racon­terai jamais un truc qui va « servir » le journal si vous voyez ce que je veux dire. Je ne suis pas Mansour (Bahrami), je ne suis pas Henri (Leconte), je suis moi et je pense que mon avis peut inté­resser beau­coup de gens parce que je suis passé à travers « ça », à travers toutes les étapes qu’ils vivent. 

Est‐ce que tu as l’im­pres­sion qu’ils lisent tes chroniques ? 

Je pense que beau­coup de joueurs les lisent parce que ça ne parle pas d’un match, ça ne parle pas du score. Je donne une opinion sur le tennis et je suis bien certain que la moitié n’est pas d’ac­cord avec. Mais je trouve toujours inté­res­sant que quel­qu’un ait une opinion. Parfois vous voulez des faits, et parfois vous voulez des opinions. Et j’es­saye de faire en sorte que les faits collent le plus possible avec mon opinion. 

Es‐tu une sorte d’Ingmar Bergman du tennis, à ouvrir la plaie qui fait mal ? 

J’espère être plus positif qu’Ingmar Bergman. 

T’en es sûr ? 

Ah ça, j’en suis sur (Sourires) Je pense que j’es­saye de tirer quelque chose de positif pour donner aux gens la possi­bi­lité d’ap­prendre quelque chose s’ils le souhaitent vrai­ment, et je ne suis pas sûr que personne n’ai jamais appris quoi que ce soit d’un film d’Ingmar Bergman, à part qu’il y a bien deux façons parti­cu­lières d’ap­pré­hender la vie : être intro­verti ou extraverti. 

Il y a peut‐être une chose en commun, c’est que tu fais une pein­ture des femmes et du tennis féminin à peu près aussi inci­sive. Tu as sorti les missiles après les demi‐finales de Roland Garros. 

En 3 ans à Paris il y a eu 6 matches, les 6 demi‐finales parmi les pires que j’ai jamais vus dans ma vie. La première année avec Mary Pierce, Justine Henin. Des matches horribles. Je n’ap­pelle même pas ça de la compétition. 

Pourquoi ?

Pourquoi ? Parce que si vous regardez bien le tennis mondial, vous n’avez que deux joueuses de tennis, Justine Henin et Amélie Mauresmo, numéro 1 et numéro 4, qui peuvent jouer et gagner sur n’im­porte quelle surface. Pourquoi une joueuse de tennis devrait forcé­ment faire 1,85 m, avoir des grosses frappes du fond de court, et ne pas savoir bouger ? La ques­tion du tennis c’est le mouve­ment. Et les hommes ont toujours mieux bougé sur le terrain. C’est très clair. D’ailleurs s’ils veulent les battre, les hommes verront qu’ils ne frappent pas plus fort qu’elles mais qu’ils bougent mieux. Les filles, on ne leur apprend qu’à frapper, pas à bouger, ni à courir. On ne leur apprend pas à volleyer, on ne leur apprend pas à jouer une balle courte au milieu. On ne leur apprend à dérouler qu’un style de jeu, le plan A, le même pour tous. Et même si ça ne leur convient pas, on leur dit « Non, non, tu ne peux pas jouer comme Amélie, tu dois jouer comme ça ». Elles frappent toutes les balles de la même façon, font le même coup, elles ont les mêmes problèmes sur la 2ème balle. Alors Amélie a égale­ment des problèmes sur sa 2ème balle, des petits moments de vapeur, mais elle sait ce qu’elle doit faire. Justine sait ce qu’elle doit faire. C’est pour ça qu’elles sont meilleures. Mais les respon­sables de tout ça, ce sont les entraineurs. 

C’est quoi le problème des entraineurs ? 

C’est qu’ils n’ap­prennent rien aux filles, elles ne savent rien à part le plan A. Si le plan A tombe à l’eau, c’est fini. Federer a dans son sac le plan A jusqu’au plan Q. Il peut faire service volée sur un point, puis rester au fond sur le suivant. Plan A puis C puis D puis retour au A. Chez les filles, c’est A, A et A. Et quand A ne va pas, c’est mort. Ce n’est du tout plai­sant à regarder. Et ce n’est pas la respon­sa­bi­lité de Sharapova, c’est la respon­sa­bi­lité de tous les coaches qui vont demander à leur joueuse de répéter Sharapova : grosses frappes, gros coups. 

Qu’est‐ce qui a déclenché ça ? 

Je pense que la première joueuse qui a intro­duit ça, c’est Lindsay Davenport. 

Vraiment ?

Oui, c’est Davenport. Sur un prin­cipe simple, c’est plutôt que rester des heures sur un court de tennis à travailler la variété de mon jeu, je vais taper que des coups gagnants, que des coups gagnants, et à un moment ça va rentrer. Davenport avait juste un jeu de volée un peu supé­rieur à la moyenne. Mais aujourd’hui c’est quoi l’en­traî­ne­ment ? c’est mettre des cibles et les filles torpillent dessus de toutes leurs forces. Quand ça marche c’est superbe, mais quand ça ne marche pas c’est tout de suite très embar­ras­sant, pour elles, pour nous, pour moi et pour un jour­na­liste. Qu’est‐ce que vous voulez raconter d’un match qui est terminé en 50 minutes ? 

Mais on a l’im­pres­sion que cette tendance rattrape égale­ment les hommes. Qui joue au tennis chez les hommes aujourd’hui ? 

Qui joue au tennis ? De tous les joueurs, Rafael Nadal est celui qui joue à ce qui se rapproche le plus du jeu de tennis, un peu plus que Federer peut‐être, 

Mais tu disais que Federer avait la batterie de plans de A à Q dans sa sacoche, est‐ce que tu as la même impres­sion à la fin de la finale de Roland‐Garros cette année ? 

Non, je ne crois pas. Mais bon quand je dis que le plan de A à Q, j’exa­gère, il faut avoir 5 plans basiques. Il ne s’agit pas de faire service‐volée sur tous les points mais d’al­terner. Ce qui me gêne dans la tactique de Federer, c’est qu’il n’es­saye pas les cinq plans dans les vingt premières minutes. Il démarre pas le plan A qui n’a aucune chance de battre Nadal sur terre battue. Aucune ! 

Mais au bout de cinq minutes de la finale, qu’est‐ce que tu t’es dit de diffé­rent cette année comparé à l’année dernière ? 

Moi je crois que Federer a besoin de beau­coup bouger pour trouver son rythme. Et en soi, je comprends qu’il ait besoin d’une demi‐heure pour ça et qu’il décide alors de commencer à mettre en place un plan plus agressif. Mais en face vous avez Nadal qui peut enchaîner passing‐shot, lobs, passing‐shots, passing‐shots. Ca fait très mal, je crois que Federer garde cette peur de perdre vite son service, que ça fasse tout de suite 4–0 puis 6–1, et à la fin ça donne 6–1 6–1 6–1. Federer a peur de ça. S’il venait pour gagner, s’il venait pour « ne pas être embar­rassé », je pense qu’il pour­rait mettre Nadal plus en difficultés. 

Est‐ce que tu penses qu’il était « embar­rassé » à la fin du match ? 

Oui, et il l’était déjà l’an dernier. La diffé­rence reste impor­tante. Nadal est bien le meilleur joueur de terre battue. Le seul truc que je ne comprends pas, ce sont ces vingt premières minutes. Pourquoi attend‐il aussi long­temps pour tout essayer ? On ne peut pas se faire taper dessus pendant une heure et demi par Tyson et dire « Bon, main­te­nant le match commence ». Le match commence mais vous ne pouvez plus frapper, vous êtes mort ! Par contre ce que j’ai bien aimé chez Federer, c’est qu’il fait cet effort pour gagner le 2ème set, il se fait breaker d’en­trée de 3ème set et ça fait 3–0 mais après il joue un tennis qui est inté­res­sant parce qu’il gagne les points rapi­de­ment. Il n’est pas loin de Nadal. C’est ce qu’il doit faire dès les premières vingt minutes et s’il prend 6–1 6–1 6–1, c’est pas grave, il doit se dire « Je m’en fous ». Il faut qu’il essaye. En tout cas je dois préciser que cette année, côté Federer c’était bien mieux que l’an dernier. 

Tu as juste­ment été très critique après la finale de 2006, as‐tu été embar­rassé par la tour­nure de la polé­mique avec Roger (Wilander avait dit que Federer n’avait pas de couilles face à Nadal) ? 

J’ai été très embar­rassé par les mots, par mes mots qui tradui­saient de façon outran­cière un fond qui lui était vrai. Mais je parlais sous le coup de la décep­tion, j’étais déçu. Je ne compre­nais pas le plan de Federer, je trou­vais ça compliqué, je ne compre­nais pas son atti­tude alors que Nadal lui avait sorti 90% de 1er et 2ème services sur le revers. Dans le premier set, Federer avait décalé en coup droit, lui avait mis 6–1 mais après terminé. Je ne compre­nais pas. J’avais donc juste soulevé une faiblesse de Roger qui me semblait une porte ouverte pour son rival. Mais je ne suis pas pour Nadal ou pour Federer. J’adorerais que Federer gagne Roland‐Garros, mais j’ai­me­rais surtout qu’il le fasse après avoir le plus beau match de tennis possible. 

Mais t’es sûr que tu ne te sens pas plus proche de Nadal dans son appré­hen­sion du jeu ? 

Non. Absolument pas. Soutenir Federer contre Nadal c’est comme soutenir Bob Dylan face à Wolfgang Amadeus Mozart, ça n’a pas de sens. Ils sont telle­ment diffé­rents l’un de l’autre. Plus il y a de génies, mieux c’est. J’adorerais voir un génie comme Federer remporter Roland face à Nadal, mais s’il ne joue pas intel­li­gem­ment, je n’ai même pas envie de regarder le match. 

Dernière ques­tion, il y a 6 ans au moment où tu coachais Marat Safin, tu disais qu’il gagne­rait moins de grands chelems que Sampras mais que son influence serait plus impor­tante sur l’évo­lu­tion du tennis. Penses‐tu toujours la même chose aujourd’hui ? 

Oui c’est ce que j’ai dit. En fait je pense que Sampras a eu une grande influence sur le jeu, et il faut le remer­cier de faire en sorte qu’il y ait encore des volleyeurs à Wimbledon, parce que sinon on s’en­nuie­rait beau­coup à ne regarder que des mecs qui jouent comme moi. (Rires). Le problème de Safin est qu’il a un côté positif formi­dable mais un côté négatif qui le plombe. J’avais dit ça parce que je pensais sincè­re­ment qu’il gagne­rait plus de titres. Il a d’ailleurs gagné l’Australie après notre colla­bo­ra­tion. Mais je ne pensais pas qu’au­jourd’hui il serait 25ème mondial et qu’il joue­rait 25ème mondial. Je pensais qu’il serait 5ème mondial minimum. Je pensais – et je pense toujours d’ailleurs‐ qu’il peut avoir une carrière à la Agassi, avec des résur­rec­tions succes­sives. Mais bon, pas de problème, ça m’ar­rive aussi de me rater ! (Rires).