Il était considéré comme le chroniqueur le plus assassin de la place quand nous l’avons rencontré en juillet dernier à l’Open Hippopotamus de Maisons‐Laffitte, il est depuis hier l’entraineur officiel de notre Paul‐Henri Mathieu et déclare déjà vouloir l’emmener au bout de Roland. Mais Mats Wilander, c’est surtout le mec le plus intelligent et cool qu’on ait rencontré sur et en dehors d’un terrain de tennis. Retour sur une interview estivale où toute la rédaction s’était déplacée pour envoyer du fil de pêche avec le Suédois.
Quelle est la meilleure position pour parler de tennis ? Un pied dehors ou un pied dedans ?
Je pense que le mieux c’est de côtoyer ce petit monde uniquement quelques semaines par an. Si vous commencez à les voir toutes les semaines, vous allez réaliser à quel point ils sont bons. « Ouahhh, ce gars‐là joue incroyable !», « Mais lui aussi joue incroyable !», vous allez vite à voir trop de respect pour eux. Et un gars comme moi qui ne suit que les Grands Chelems et la Coupe Davis en jouant avec eux, en jouant avec mes gars (les Suédois) je vais effectivement voir le physique, la puissance mais également me dire « En fait il n’est pas si bon, il a un problème de préparation, etc…. ». Vous commencez à voir ce qui ne va pas. Donc je pense que c’est très important de ne pas être là tout le temps.
On te connaît en France avec une chronique assez directe dans le journal l’Equipe. Comment considéres‐tu ton statut d’observateur ?
D’abord je me considère comme très chanceux de pouvoir dire ce que j’ai à dire. Bien sûr c’est plus amusant de penser que ça va être lu car autrement je ne prendrai pas autant de plaisir à le dire, mais je ne raconterai jamais un truc qui va « servir » le journal si vous voyez ce que je veux dire. Je ne suis pas Mansour (Bahrami), je ne suis pas Henri (Leconte), je suis moi et je pense que mon avis peut intéresser beaucoup de gens parce que je suis passé à travers « ça », à travers toutes les étapes qu’ils vivent.
Est‐ce que tu as l’impression qu’ils lisent tes chroniques ?
Je pense que beaucoup de joueurs les lisent parce que ça ne parle pas d’un match, ça ne parle pas du score. Je donne une opinion sur le tennis et je suis bien certain que la moitié n’est pas d’accord avec. Mais je trouve toujours intéressant que quelqu’un ait une opinion. Parfois vous voulez des faits, et parfois vous voulez des opinions. Et j’essaye de faire en sorte que les faits collent le plus possible avec mon opinion.
Es‐tu une sorte d’Ingmar Bergman du tennis, à ouvrir la plaie qui fait mal ?
J’espère être plus positif qu’Ingmar Bergman.
T’en es sûr ?
Ah ça, j’en suis sur (Sourires) Je pense que j’essaye de tirer quelque chose de positif pour donner aux gens la possibilité d’apprendre quelque chose s’ils le souhaitent vraiment, et je ne suis pas sûr que personne n’ai jamais appris quoi que ce soit d’un film d’Ingmar Bergman, à part qu’il y a bien deux façons particulières d’appréhender la vie : être introverti ou extraverti.
Il y a peut‐être une chose en commun, c’est que tu fais une peinture des femmes et du tennis féminin à peu près aussi incisive. Tu as sorti les missiles après les demi‐finales de Roland Garros.
En 3 ans à Paris il y a eu 6 matches, les 6 demi‐finales parmi les pires que j’ai jamais vus dans ma vie. La première année avec Mary Pierce, Justine Henin. Des matches horribles. Je n’appelle même pas ça de la compétition.
Pourquoi ?
Pourquoi ? Parce que si vous regardez bien le tennis mondial, vous n’avez que deux joueuses de tennis, Justine Henin et Amélie Mauresmo, numéro 1 et numéro 4, qui peuvent jouer et gagner sur n’importe quelle surface. Pourquoi une joueuse de tennis devrait forcément faire 1,85 m, avoir des grosses frappes du fond de court, et ne pas savoir bouger ? La question du tennis c’est le mouvement. Et les hommes ont toujours mieux bougé sur le terrain. C’est très clair. D’ailleurs s’ils veulent les battre, les hommes verront qu’ils ne frappent pas plus fort qu’elles mais qu’ils bougent mieux. Les filles, on ne leur apprend qu’à frapper, pas à bouger, ni à courir. On ne leur apprend pas à volleyer, on ne leur apprend pas à jouer une balle courte au milieu. On ne leur apprend à dérouler qu’un style de jeu, le plan A, le même pour tous. Et même si ça ne leur convient pas, on leur dit « Non, non, tu ne peux pas jouer comme Amélie, tu dois jouer comme ça ». Elles frappent toutes les balles de la même façon, font le même coup, elles ont les mêmes problèmes sur la 2ème balle. Alors Amélie a également des problèmes sur sa 2ème balle, des petits moments de vapeur, mais elle sait ce qu’elle doit faire. Justine sait ce qu’elle doit faire. C’est pour ça qu’elles sont meilleures. Mais les responsables de tout ça, ce sont les entraineurs.
C’est quoi le problème des entraineurs ?
C’est qu’ils n’apprennent rien aux filles, elles ne savent rien à part le plan A. Si le plan A tombe à l’eau, c’est fini. Federer a dans son sac le plan A jusqu’au plan Q. Il peut faire service volée sur un point, puis rester au fond sur le suivant. Plan A puis C puis D puis retour au A. Chez les filles, c’est A, A et A. Et quand A ne va pas, c’est mort. Ce n’est du tout plaisant à regarder. Et ce n’est pas la responsabilité de Sharapova, c’est la responsabilité de tous les coaches qui vont demander à leur joueuse de répéter Sharapova : grosses frappes, gros coups.
Qu’est‐ce qui a déclenché ça ?
Je pense que la première joueuse qui a introduit ça, c’est Lindsay Davenport.
Vraiment ?
Oui, c’est Davenport. Sur un principe simple, c’est plutôt que rester des heures sur un court de tennis à travailler la variété de mon jeu, je vais taper que des coups gagnants, que des coups gagnants, et à un moment ça va rentrer. Davenport avait juste un jeu de volée un peu supérieur à la moyenne. Mais aujourd’hui c’est quoi l’entraînement ? c’est mettre des cibles et les filles torpillent dessus de toutes leurs forces. Quand ça marche c’est superbe, mais quand ça ne marche pas c’est tout de suite très embarrassant, pour elles, pour nous, pour moi et pour un journaliste. Qu’est‐ce que vous voulez raconter d’un match qui est terminé en 50 minutes ?
Mais on a l’impression que cette tendance rattrape également les hommes. Qui joue au tennis chez les hommes aujourd’hui ?
Qui joue au tennis ? De tous les joueurs, Rafael Nadal est celui qui joue à ce qui se rapproche le plus du jeu de tennis, un peu plus que Federer peut‐être,
Mais tu disais que Federer avait la batterie de plans de A à Q dans sa sacoche, est‐ce que tu as la même impression à la fin de la finale de Roland‐Garros cette année ?
Non, je ne crois pas. Mais bon quand je dis que le plan de A à Q, j’exagère, il faut avoir 5 plans basiques. Il ne s’agit pas de faire service‐volée sur tous les points mais d’alterner. Ce qui me gêne dans la tactique de Federer, c’est qu’il n’essaye pas les cinq plans dans les vingt premières minutes. Il démarre pas le plan A qui n’a aucune chance de battre Nadal sur terre battue. Aucune !
Mais au bout de cinq minutes de la finale, qu’est‐ce que tu t’es dit de différent cette année comparé à l’année dernière ?
Moi je crois que Federer a besoin de beaucoup bouger pour trouver son rythme. Et en soi, je comprends qu’il ait besoin d’une demi‐heure pour ça et qu’il décide alors de commencer à mettre en place un plan plus agressif. Mais en face vous avez Nadal qui peut enchaîner passing‐shot, lobs, passing‐shots, passing‐shots. Ca fait très mal, je crois que Federer garde cette peur de perdre vite son service, que ça fasse tout de suite 4–0 puis 6–1, et à la fin ça donne 6–1 6–1 6–1. Federer a peur de ça. S’il venait pour gagner, s’il venait pour « ne pas être embarrassé », je pense qu’il pourrait mettre Nadal plus en difficultés.
Est‐ce que tu penses qu’il était « embarrassé » à la fin du match ?
Oui, et il l’était déjà l’an dernier. La différence reste importante. Nadal est bien le meilleur joueur de terre battue. Le seul truc que je ne comprends pas, ce sont ces vingt premières minutes. Pourquoi attend‐il aussi longtemps pour tout essayer ? On ne peut pas se faire taper dessus pendant une heure et demi par Tyson et dire « Bon, maintenant le match commence ». Le match commence mais vous ne pouvez plus frapper, vous êtes mort ! Par contre ce que j’ai bien aimé chez Federer, c’est qu’il fait cet effort pour gagner le 2ème set, il se fait breaker d’entrée de 3ème set et ça fait 3–0 mais après il joue un tennis qui est intéressant parce qu’il gagne les points rapidement. Il n’est pas loin de Nadal. C’est ce qu’il doit faire dès les premières vingt minutes et s’il prend 6–1 6–1 6–1, c’est pas grave, il doit se dire « Je m’en fous ». Il faut qu’il essaye. En tout cas je dois préciser que cette année, côté Federer c’était bien mieux que l’an dernier.
Tu as justement été très critique après la finale de 2006, as‐tu été embarrassé par la tournure de la polémique avec Roger (Wilander avait dit que Federer n’avait pas de couilles face à Nadal) ?
J’ai été très embarrassé par les mots, par mes mots qui traduisaient de façon outrancière un fond qui lui était vrai. Mais je parlais sous le coup de la déception, j’étais déçu. Je ne comprenais pas le plan de Federer, je trouvais ça compliqué, je ne comprenais pas son attitude alors que Nadal lui avait sorti 90% de 1er et 2ème services sur le revers. Dans le premier set, Federer avait décalé en coup droit, lui avait mis 6–1 mais après terminé. Je ne comprenais pas. J’avais donc juste soulevé une faiblesse de Roger qui me semblait une porte ouverte pour son rival. Mais je ne suis pas pour Nadal ou pour Federer. J’adorerais que Federer gagne Roland‐Garros, mais j’aimerais surtout qu’il le fasse après avoir le plus beau match de tennis possible.
Mais t’es sûr que tu ne te sens pas plus proche de Nadal dans son appréhension du jeu ?
Non. Absolument pas. Soutenir Federer contre Nadal c’est comme soutenir Bob Dylan face à Wolfgang Amadeus Mozart, ça n’a pas de sens. Ils sont tellement différents l’un de l’autre. Plus il y a de génies, mieux c’est. J’adorerais voir un génie comme Federer remporter Roland face à Nadal, mais s’il ne joue pas intelligemment, je n’ai même pas envie de regarder le match.
Dernière question, il y a 6 ans au moment où tu coachais Marat Safin, tu disais qu’il gagnerait moins de grands chelems que Sampras mais que son influence serait plus importante sur l’évolution du tennis. Penses‐tu toujours la même chose aujourd’hui ?
Oui c’est ce que j’ai dit. En fait je pense que Sampras a eu une grande influence sur le jeu, et il faut le remercier de faire en sorte qu’il y ait encore des volleyeurs à Wimbledon, parce que sinon on s’ennuierait beaucoup à ne regarder que des mecs qui jouent comme moi. (Rires). Le problème de Safin est qu’il a un côté positif formidable mais un côté négatif qui le plombe. J’avais dit ça parce que je pensais sincèrement qu’il gagnerait plus de titres. Il a d’ailleurs gagné l’Australie après notre collaboration. Mais je ne pensais pas qu’aujourd’hui il serait 25ème mondial et qu’il jouerait 25ème mondial. Je pensais qu’il serait 5ème mondial minimum. Je pensais – et je pense toujours d’ailleurs‐ qu’il peut avoir une carrière à la Agassi, avec des résurrections successives. Mais bon, pas de problème, ça m’arrive aussi de me rater ! (Rires).
Publié le jeudi 15 mai 2008 à 03:34