Rarement interrogé, Mikael Pernfors est pourtant une des opinions qui nous a le plus intéressé depuis cette année et demi d’interviews. Tant en terme d’analyse du jeu que de l’élégance sur le terrain, le Suédois porte un regard distancé sur le cirque du tennis moderne. Moins tueur que Wilander, il n’en demeure pas moins aussi incisif sur l’essentiel, et l’essentiel reste le plaisir de jouer. Interview petit lutin farceur.
Mikael, quel a été le moment le plus important de cette année 2007 ?
Il y a une situation où Federer domine le tennis mondial avec un des plus grands numéro 2 de l’histoire du jeu qui est Nadal. Je pense que cette rivalité apporte beaucoup au tennis. Mais vous avez un troisième homme, Djokovic qui peut aller les chercher avec quelques belles années devant lui.
Est‐ce que c’est leur niveau qui est trop haut ou la concurrence qui est trop basse ?
C’est probablement la combinaison des deux. Je ne suis pas suffisamment le tennis pour te donner une réponse scientifique, mais il y a Federer qui développe cette sorte d’aura qui lui permet de gagner tous les matches importants qu’il joue.
Est‐ce que tu prends plaisir à le voir jouer ?
Oui, c’est un gars qui fait ce qu’il veut avec la balle, il est très divertissant.
Si tu avais à le faire progresser, tu lui dirais quoi ?
Non, je ne vois pas grand‐chose à apporter du point de vue technique. Je pense juste qu’il pourrait être un peu plus agressif, spécialement quand il joue sur terre. Il pourrait venir beaucoup plus au filet qu’il ne le fait.
Et Nadal, comment le faire progresser ?
Je crois qu’il veut être un très grand joueur sur toutes les surfaces. D’habitude les joueurs de terre battue se contentent de bien jouer sur terre, mais lui veut progresser partout, et il l’a prouvé en atteignant la finale de Wimbledon. Il peut encore progresser au niveau de sa volée, dans sa façon de tenir sa raquette sur la volée, et être plus agressif encore.
Est‐ce qu’il n’est pas sujet à plus de risques de blessures avec sa façon de jouer ?
Pour en savoir un rayon sur les blessures (NDLA : Pernfors sort en 2007 de deux blessures qui l’ont écarté des courts), il faut avouer qu’il a un jeu qui le rend plus perméable au risque de blessures. Bien sûr, il est jeune, mais il va falloir qu’il fasse très attention.
Tu dis que tu suis moins le tennis, c’est parce que le tennis est moins intéressant ?
J’ai été critiqué depuis des années parce que j’ai dit que je ne prenais pas mon pied à regarder du tennis. Les gens ont pensé que j’étais négatif vis à vis du tennis moderne, mais ça n’a rien à voir. Même quand j’avais 5 ans, je ne regardais pas le tennis mais j’adorais jouer. Je ne suis simplement pas excité à regarder le tennis à la télé. Bien sûr je suis les matches importants et la Suède en Coupe Davis, mais c’est tout. Je ne regarde pas l’Us Open pendant 4 heures, juste un résumé.
Mais c’est peut‐être aussi parce que le tennis lui‐même n’est pas si excitant
Hum…c’est une certaine façon de le dire. Ils jouent un tennis très spectaculaire mais… je vais le dire comme ça : c’est comme si je bossais pendant toute la semaine et que j’avais mes week‐end tranquilles, et on me demande de rebosser pendant le week‐end. Eh bien je vais dire non. Ca ne me procure rien de plus. Disons que j’ai arrêté de regarder sérieusement le tennis après 25 ans.
Qu’est‐ce que tu changerais au tennis actuel si tu le pouvais ?
C’est difficile de le dire. C’est un jeu très différent. Ils frappent la balle tellement fort. Ils ont moins de temps pour s’organiser. Ils vont vite, jouent un tennis agressif, frappent des balles avec des angles incroyable, mais il me semble que nous jouions avec des effets plus variés, plus de demi‐volées, plus de stratégie, principalement parce que nous avions le temps de le faire. Est‐ce que ça sert encore d’être intelligent sur un terrain ?
C’est difficile de le dire. Je crois qu’une façon intelligente de jouer rapporte moins aujourd’hui qu’à notre époque. Regarde Santoro, les mecs qui jouent contre lui ne savent pas comment faire mais à un moment ils le dépassent en puissance et il n’a aucune chance. Il serait intéressant, s’il était plus jeune, de vérifier s’il pourrait jouer le même genre de jeu.
Et concernant la slice, on en est où ?
Quand tu vois Federer qui le joue à la perfection, Nadal qui s’en sert de plus en plus, ça fait plaisir de le voir revenir après des années où on ne voyait plus que des balles frappées à fond, mais est‐ce que ça indique une tendance de fond ?
Mais si on n’avait pas Federer avec son jeu complet, presque comme réminiscence du passé, de qui parlerait‐on comme exemple de joueur à suivre ?
Ecoute, Nadal n’a pas un jeu aussi complet que Federer mais il progresse, il a du talent, une vraie passion pour le jeu, il peut être un exemple.
Est‐ce qu’il est possible dans le tennis actuel d’être petit et d’être dans le top 10 ?
Hewitt doit être le plus petit d’entre eux et je ne sais pas combien il mesure. (Silence) Je ne sais pas. Il faut vraiment avoir quelque chose de spécial pour battre ces gars‐là, pas de doute là‐dessus.
Qu’est‐ce qui a changé entre la fin des années 80 et le milieu des années 90 en terme de matériel ?
Tout a changé, les cordes, les cadres. Je crois que s’ils jouaient avec des raquettes en bois, ils les péteraient au bout de 5 minutes. Aujourd’hui ils peuvent contrôler la balle, mettre plus d’effet, c’est tranquille.
Mais vous prenez plaisir à jouer avec ces raquettes ?
Il est certain que si je frappais ma balle comme je le faisais avec mes vieilles raquettes mais avec des raquettes modernes, mon service finirait sur la ligne de fond. Mais avec les nouvelles cordes, on contrôle tout ça et ça explique, je crois, ce changement dans le jeu.
Maintenant revenons là‐dessus, est‐ce que votre finale de 1986, c’était vraiment une surprise ?
Oui, d’un côté c’était une surprise. Mais de l’autre je suis arrivé sur le tournoi avec un classement bien meilleur que ce que tout le monde pensait. J’étais 27ème mondial, j’avais des chances de gagner quelques matches. Mais j’étais surtout sans référence, je n’avais donc pas d’appréhension particulière. Je pense que si j’avais joué Roland en tant qu’amateur et perdu 2, 3 fois au premier tour, je n’aurais pas fait ce que j’ai fait cette année‐là. Je n’avais pas de pression. Je passais les tours sans me mettre de pression. Voilà la clef. Sur la question de la mode, les fringues de tennis sont toujours très laides, y a qu’à voir Lendl, tu as toujours été très sensible à l’élégance sur un terrain.
Oui durant ma carrière, les vêtements m’ont toujours intéressés, particulièrement sur un court. Maintenant le phénomène autour du short Nike trop grand en 1986, ce n’était pas voulu, c’est juste que je venais de changer de sponsor et qu’il y a eu de mauvais réglages sur ma taille.
Mais aujourd’hui tu es encore très bien habillé
Ah oui, aujourd’hui, j’ai la chance de porter du Lacoste. C’est la première fois de ma vie que je sus honoré de porte une telle marque (Rires). C’est très excitant
(Rires)
Non, mais j’ai grandi avec Lacoste. Je suis fan de la marque. Mon père en portait quand j’étais jeune.
Tu as rencontré René Lacoste ?
Oui, je crois qu’il était là en 1986, mais je ne l’ai pas rencontré personnellement.
Qui serait l’actuel Pernfors ? Quelqu’un dans lequel tu te reconnais ?
Moi je suis arrivé dans le tennis presque par accident. J’ai toujours pris ça comme une bonne surprise pour quelqu’un qui venait s’amuser sur un terrain. Je doute qu’aucun joueur n’ait une telle approche aujourd’hui, vu la pression, les intérêts et l’argent qu’il y a dans le tennis. La compétition est tellement dure. Mais un des rares joueurs qui fait résonner quelque chose chez moi, c’est Sebastien Grosjean car il joue un tennis un peu similaire au mien. Santoro joue de façon très différente, mais j’apprécie également sa façon de faire.
15 ans après, quel est ton souvenir sur ce match où John McEnroe se fait expulser en Australie ?
En fait c’est un trop gros souvenir dans le sens où tout le monde est resté sous le choc de cette phrase de l’arbitre « Defaulted ». Moi je connaissais la règle, mais je pense que lui, non. C’est triste parce que c’était un bon match, on allait partir au 5ème set. Je ne sais pas si j’allais gagner, mais bon… c’est une façon comme une autre de rentrer dans le guide des records.
Moi je me souviens surtout d’un match contre Connors…
Ah c’est marrant, moi je ne m’en souviens pas.
(Rires) Cette remontée…
Oui c’était au 4ème tour, je menais 6–1 6–1 4–1 à Wimbledon et j’ai appris dernièrement par quelqu’un ce qu’il s’est dit à ce moment‐là : « Maintenant je vais frapper la balle aussi fort que je le peux et après j’arrêterai le tennis », tellement il était écoeuré de sa façon de jouer. Mais les balles ont commencé à rentrer, moi j’ai commencé à fatiguer et voilà…. (NDLR : Connors l’a emporté en 5 sets) Aujourd’hui les gens ne me croient pas quand je leur dis que ça a quand même été une super soirée, parce qu’en fait ce soir‐là j’ai pu voir Genesis en concert. Superbe soirée. (Rires) Ca fait partie de mon éducation de tennisman. « Tu peux être bouleversé par une défaite…trois minutes et puis il faut réaliser qu’en fait ça n’a pas grande importance ». Et puis je vais vous avouer un truc auquel j’ai pensé bien plus tard : si j’avais battu Connors 6–1 6–1 6–1, je ne serai probablement pas sur le Senior Tour, parce que lorsqu’il a lancé le Senior Tour aux Etats‐Unis il y a à peu près 6 ans, si je lui avais mis 1, 1 et 1, Jimmy ne m’aurait certainement pas invité. En quelque sorte, grâce à cette défaite, j’ai lancé ma deuxième carrière (Rires)
Publié le jeudi 15 mai 2008 à 03:34