Membre de l’équipe de France lors de la victoire en 1991, ex‐33ème joueur mondial, Olivier Delaitre, entraîneur chez Player’s Group, a répondu aux questions de GrandChelem pour le numéro 19. Le voici qui porte un regard avisé sur sa carrière et le tennis actuel.
Dans ce numéro, on parle beaucoup de la gestion du temps. C’est une des choses qui t’a impressionné dans le match Mahut‐Isner ?
Oui, très clairement, mais surtout les sept heures d’affilée, le deuxième jour. A aucun instant, je n’ai vu une baisse de concentration, d’un côté comme de l’autre. Normalement et logiquement, tu as toujours des hauts et des bas dans ce type de configuration. Là, non. Rien. Et, pourtant, le niveau de tennis pratiqué était très élevé. Ni relâchements, ni trous d’air, ni baisses d’intensité : un truc de fou !
Les rituels sont importants pour rester dans cette intensité de concentration ?
Le rituel permet de rester dans son rythme, de ne pas sortir de la rencontre. Selon moi, c’est quelque chose qui est lié à une certaine maturité.
C’est-à-dire ?
Quand on est jeune, on veut gagner tous les points et, ce faisant, on génère beaucoup de frustration. On a du mal à prendre du recul dans une rencontre. C’est dans ces moments‐là que les rituels peuvent être utiles : ils permettent de remettre les choses à plat quand, par exemple, on vient de subir trois aces de suite.
Rafael Nadal est le maître en la matière, non ?
Peut‐être, oui. Moi, je me rappelle que je mettais toujours ma serviette au même endroit. Fabrice Santoro, avec qui j’ai joué en double, avançait toujours dans le court avant de servir. Mais, je le répète, plus on avance dans sa carrière, plus on gère les moments forts de façon différente. Quand on est dos au mur, on passe plus vite en mode feeling. On apprend à s’adapter aux situations ; Federer est dans ce mode‐là.
Et toi, tu as le souvenir d’avoir été « in the zone » ?
Pour être à mon meilleur niveau, il fallait que je sois au top physiquement. Ca m’est donc arrivé quelques fois (rires), notamment à Roland Garros ou en Coupe Davis ! J’avais besoin d’être physiquement très fort pour sentir que je pouvais gagner. A ce moment‐là, on est dans une bulle, on ressent tout ce qui se passe autour de nous mais ça n’a pas d’influence. Rien ne peut nous déranger et on visualise ce qu’on va faire au millimètre.
Joueur, tu avais une réputation de caractériel. Au final, quel est ton amour pour ce sport ?
Tout petit, j’étais fou de tennis. Je jouais tout le temps, c’était impensable de ne pas taper dans la balle tous les jours. Dès l’âge de 11 ans, on m’a demandé d’être le meilleur, de progresser dans mon classement, d’avoir des résultats… Je n’étais pas prêt à encaisser tout ça, je n’avais pas la maturité. Je me suis alors éloigné du jeu. Je ne me rendais pas compte de ce qu’impliquaient les grandes compétitions. J’ai pris ça comme ça venait. Et puis, à l’époque, on n’avait pas le même degré d’expertise en termes de préparation et d’entraînement. Aujourd’hui, on a un vrai recul sur ce qu’on doit faire tant sur le plan mental, que sur le plan physique. Il y a 25 ans, on avait moins de certitudes. Un exemple : le relâchement est devenu une vraie technique depuis que Federer est arrivé sur le circuit. Avant, on jouait avec le poignet tendu. Mais on parlait également peu d’approche mentale. Tout a évolué ! On fermait sa gueule et on courait une heure ! (Rires)
Que retiens‐tu de ta carrière d’entraîneur à la Fédération ?*
Là aussi, tout a été trop rapide. Décembre 99, je joue la finale de la Coupe Davis, à Nice, face à l’Australie ; neuf mois plus tard, je suis sur le circuit avec un groupe de jeunes. Je n’étais pas prêt, pas formé. Ca a été dur, vraiment très dur, même. Ensuite, je suis allé à l’INSEP et, là, ça a été une vraie expérience positive. J’ai côtoyé Tsonga, Monfils, Recouderc, Ouanna, Montcourt… J’étais bien encadré. C’est là‐bas que j’ai appris le métier d’entraîneur. Je n’ai que des bons souvenirs de cette période et ça m’a donné le goût de continuer.
A présent, tu pars au Luxembourg ?
Oui, à la suite d’un changement à la Direction Technique, j’ai été contraint de quitter la Fédération. J’ai trouvé refuge au Luxembourg, mais, au bout de deux ans, le projet n’était plus en adéquation avec des objectifs ambitieux.
Et là, comment ça se passe ?
On prend le temps de réfléchir… C’est dur, car la famille du tennis est un petit milieu, donc, forcément, on se sent oublié par ses pairs.
Là, tu repars sur les courts avec Player’s ?
Oui et je suis très heureux de retrouver tout ça, de transmettre mon expérience aux jeunes, de former, d’échanger… On a un beau projet avec Player’s, il faut juste prendre le temps.
Tu as joué en Coupe Davis : que penses‐tu de la formule actuelle ? Faut‐il la changer, comme certains le préconisent ?
Il ne faut pas y toucher. La Coupe Davis, c’est historique et sacré. C’est comme les matches en cinq sets : tout ça fait du bien au tennis. Le discours qui consiste à dire : il y a trop de matchs, etc., je n’y crois pas.
Pourquoi ?
Parce que si on enlève des dates, les joueurs feront des exhibitions ou d’autres opérations du même genre. Moi, pour changer le système, j’ai une vraie idée.
Laquelle ?
Trouver un autre mode de classement. A mon époque, on avait une moyenne. Aujourd’hui, plus tu joues, plus tu as de chances de marquer des points. Ce n’est pas logique. Peu importe si tu vas à un tournoi hors de forme, ça n’a pas d’influence : je trouve ça dommage.
C’est le moment de la fameuse question : tu es Roger ou Rafa ?
Roger, car tennistiquement, c’est un véritable exemple. Je me rappelle l’avoir joué en 99 et, surtout, en 2000, aux qualifs de l’Open d’Australie. Quand je suis sorti du court, j’ai dit à un journaliste de L’Equipe : « Je suis content, car j’ai battu le futur numéro un mondial. » Mis à part Sampras et Agassi, je n’avais jamais joué quelqu’un qui frappait aussi fort sans forcer. Quant à Rafael Nadal, je ne comprends pas comment il peut dominer aussi outrageusement ses adversaires, notamment sur terre battue. Personne n’arrive à trouver de failles, c’est surréaliste. Tout le monde le joue de la même façon : ils l’attaquent en profondeur, ils jouent dans sa filière, ça ne peut pas fonctionner.
Facile à dire ! (Rires)
C’est vrai. Moi, même si j’étais sur le circuit et en grande forme, je n’aurais pas assez de percussion. Je l’aurais joué en cadence et je me serais fait exploser. Cette puissance physique me rappelle, toutes proportions gardées, l’arrivée d’Hewitt, à mon époque. Il courait partout, comme un lapin.
Publié le mardi 28 septembre 2010 à 09:43