AccueilInterviewsNadal : "L'ATP a sa responsabilité dans notre échec au Master"

Nadal : « L’ATP a sa respon­sa­bi­lité dans notre échec au Master »

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Toni Nadal est sans aucun doute l’un des plus grands coaches de l’his­toire. Aux côtés de Rafa, son neveu, qu’il a pris sous son aile dès le plus jeune âge et accom­pagné jusqu’aux sommets, cet amou­reux de la forma­tion s’est construit un palmarès et une expé­rience uniques. Avec, pour maîtres mots, des prin­cipes forts qui dépassent le cadre du tennis. GrandChelem a rencontré ce monu­ment du coaching en face à face pour un entre­tien fleuve. A cette occa­sion, nous avons proposé aux inter­nautes de notre site Welovetennis.fr de lui poser leurs ques­tions. Auxquelles nous avons adjoint nos propres inter­ro­ga­tions. Résultat : un vrai docu­ment à conserver et discuter entre fans de la petite balle jaune.

Toni Nadal : première partie de l’entretien.
Toni Nadal : deuxième partie de l’entretien.

Cette inter­view vous est proposée en parte­na­riat avec le E‑coaching, sur kdotennis.com.

Revenons à Rafa plus préci­sé­ment. Est‐ce qu’il aime vrai­ment le tennis, le jeu en lui‐même ? Ou préfère‐t‐il fonda­men­ta­le­ment la compé­ti­tion, le dépas­se­ment de soi, la lutte physique et mentale ? (Pete s’embrase (Spitfire))

Rafael adore jouer au tennis, bien sûr. Mais ce qu’il aime par dessus tout, c’est la compé­ti­tion, c’est vrai. Il envi­sage toujours le sport comme une lutte acharnée. Et c’est exac­te­ment la même chose lors­qu’il joue au golf ou au foot­ball. Alors, bien entendu, il aime quand même le tennis en tant que tel. Il n’au­rait pas connu autant de succès s’il n’ai­mait pas vrai­ment ce jeu. Je ne connais personne qui réus­sisse de grandes perfor­mances sans aimer au moins un peu ce qu’il fait. Mais la compé­ti­tion, ce sont des sensa­tions encore différentes.

On parlait de lutte physique, car on voit que Rafa fait souvent la diffé­rence dans ce domaine… Cela a toujours été un axe de travail impor­tant pour toi ?

Non, pour être honnête, je n’ai jamais vrai­ment aimé travailler le physique. Quand Rafa était plus jeune, je préfé­rais me concen­trer sur la tech­nique. D’ailleurs, je ne trouve pas qu’il ait un super physique. Tout du moins le meilleur. Selon moi, il n’y a pas mal de joueurs dont les physiques sont bien au‐dessus : Monfils, qui est mons­trueux sur ce plan‐là, Tsonga, Djokovic, terrible sur ce plan‐là… Et puis Ferrer ! Oui, Ferrer, Monfils et Djokovic sont les tout meilleurs. Alors Rafa ne fait pas vrai­ment la diffé­rence là‐dessus, non. Lui, c’est dans la tête qu’il la fait, c’est dans la tête qu’il est très fort.

Sans tran­si­tion, nos inter­nautes nous demandent quel est ton meilleur souvenir avec Rafa ? (Superwoman)

Oh, j’en ai beau­coup de très bons ! L’Open Super 12 d’Auray, les Petits As, à Tarbes, le premier Roland Garros… (Il réflé­chit) Le premier Monte‐Carlo, le premier Wimbledon, évidem­ment (sourire), Roland Garros 2012 contre Djokovic… Bref, vrai­ment beau­coup, la liste est longue (rires) !

Et le pire ? (Fox)

La défaite à l’Open d’Australie, en 2012. Et la défaite contre Söderling, à Roland, avec le public contre nous…

« Nadal adore le tennis, mais ce qu’il aime par dessus tout, c’est la compé­ti­tion… »

On sent que Rafa a mis long­temps à digérer l’at­ti­tude du public pari­sien lors de cette défaite… Tu trouves qu’il n’est pas aimé à sa juste valeur en France ?

Je pense surtout qu’il y a pas mal d’ex­pli­ca­tions à ce problème. Aujourd’hui, on vit dans un monde de l’image. Pour cari­ca­turer, on voit un joueur faire un joli coup et on pense que c’est quel­qu’un de bien dans la vie. Au contraire, on voit quel­qu’un être plus brutal ou saccadé, moins fluide, et l’on se dit qu’il est le même en‐dehors des courts. Alors qu’il y a proba­ble­ment une immense diffé­rence entre les deux. L’esthétique et la super­fi­cia­lité prennent le pas sur le fond des choses. Et puis, le fait qu’on soit Espagnols peut aussi jouer. Mais il ne faut pas non plus exagérer, je pense que Rafa a quand même une bonne image en France. L’Equipe lui a donné le trophée de meilleur sportif de l’année, il fait souvent la Une du journal… Aucun Français ne fait la Une d’un journal sportif en Espagne… Sauf Zidane, lors­qu’il jouait pour le Real Madrid (rires). J’en conclus que les Français appré­cient quand même un peu Rafa (sourire).

Cette désaf­fec­tion, vous la ressentez parfois lorsque Rafa est sur le court ?

Je dirais que je suis idiot si je ne le ressen­tais pas (rires). Mais cela a beau­coup changé depuis deux ans. Un jour, un Directeur de tournoi m’a dit à la fin d’un match : « Je suis très content que Nadal ait gagné. Contrairement à son adver­saire (NDLR : il n’a pas souhaité citer le joueur en ques­tion), Rafa est le même, que la caméra soit là ou non. Il n’est pas hypo­crite. » Voilà, Rafa est un homme bien. Ce qui lui est arrivé contre Söderling, c’était juste impen­sable. Un quadruple vain­queur de Roland Garros ne peut pas se faire siffler contre un joueur qui n’était pas vrai­ment le plus sympa­thique du monde (rires) ! Les Français aiment le beau jeu, c’est une chose. Rafael est Espagnol, c’en est une autre. Et il a égale­ment battu Federer. Mais bon… Pour moi, c’est aussi normal de ne pas être appré­cier par tout le monde. Et, dans le fond, cela importe peu. Où que j’aille en France, j’ai toujours senti de l’amour pour Rafa. C’est ce qui compte.

« Rafa est un homme bien. Ce qui lui est arrivé contre Söderling, c’était juste impen­sable. Un quadruple vain­queur de Roland Garros ne peut pas se faire siffler contre un joueur qui n’était pas vrai­ment le plus sympa­thique du monde (rires) ! »

Pour terminer, quelques ques­tions en vrac… Travailler ponc­tuel­le­ment avec un entraî­neur supplé­men­taire, comme Higueras, Nalbandian, Borg ou McEnroe, ce serait envi­sa­geable ? (Hervé/Rajamilé)

(Incrédule) Avec Nalbandian ? Je ne sais pas (rires). Et avec Borg encore moins, Rafa a déjà gagné beau­coup de fois Roland Garros (rires)… Je ne crois pas qu’on ait vrai­ment besoin d’un ancien grand joueur comme lui. Peut‐être plus de McEnroe, par contre ! Je trouve que c’est une bonne chose de voir d’an­ciens joueurs comme Becker ou Lendl revenir sur le circuit pour coacher des joueurs. A mon sens, ils ont beau­coup de choses à apporter, car ils ont une grande connais­sance du tennis et une immense expé­rience. Pour le reste, cela dépend de chaque joueur. Je sais que Rafael est content de ce qu’il a pour le moment. Et une chose est sûre, c’est que Becker, Lendl ou Borg ne porte­ront jamais le sac du joueur qu’ils entraînent (rires) !

Rafa est‐il, objec­ti­ve­ment, le meilleur joueur du monde ? (Kwozael)

A l’heure actuelle, Rafa est numéro un mondial. Donc oui, c’est le meilleur joueur du monde. C’est aussi le meilleur joueur sur terre battue. Mais ce ne sont que des chiffres et une ques­tion de points. La vérité, c’est que ce sont les direc­teurs de l’ATP qui ont le pouvoir de décider de la place de numéro et de celui qui l’oc­cupe. Par exemple, nous n’avons jamais gagné le Masters… Pourquoi ? Car ils ne veulent pas que le Masters se jouent de temps en temps sur terre battue. A partir de là, qui est vrai­ment le meilleur ? Tout est ques­tion d’in­ter­pré­ta­tion. Rafa est numéro un, donc, oui, c’est le meilleur. Mais peut‐être que Wawrinka est meilleur, pour d’autres, car il vient de gagner l’Open d’Australie. Pour le moment, nous sommes très satis­faits d’être là où nous sommes. Qu’il soit numéro un, deux, trois ou quatre, l’im­por­tant, c’est de gagner des tournois. 

Gagner des tour­nois avec, en vue, un objectif final : battre le record de Federer en Grand Chelem et marquer à jamais l’histoire ?

Non. Et je vais vous dire pour­quoi : d’une part, Rafael a gagné beau­coup plus de tour­nois qu’il ne pensait le faire. Et, d’autre part, il a un grand mérite : certains des meilleurs joueurs jouent deux ou trois des quatre Grands Chelems sur des surfaces qu’ils appré­cient. Ils n’en ont qu’un sur une surface qu’ils aiment moins et qui leur va moins bien. Nous, nous jouons un Grand Chelem sur notre surface préférée, la terre battue. Et trois sur les autres. C’est diffi­cile. Et pour­tant, malgré ce handicap, Rafa les a tous remportés… Le seul grand regret que nous avons, c’est de n’avoir encore jamais eu la possi­bi­lité de gagner le Masters. Pour moi, l’ATP a sa part de respon­sa­bi­lité dans notre échec, en ne souhai­tant pas changer de surface pour ce tournoi… Ce qui paraî­trait logique pour une épreuve de ce type, ce serait un roule­ment tous les deux ou trois ans. Mais non. C’est aussi pour ça que Rafa a énor­mé­ment de mérite.

Deuxième partie ce mercredi 19 février à 19h00.