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Olivier Delaitre : « En France, dès que vous sortez de la capi­tale, vous sortez du système »

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Olivier Delaitre a intégré le team de coaches de notre parte­naire, l’ISP Academy, à Sophia Antipolis, depuis le début de l’année. Il dresse un constat prag­ma­tique de son après‐carrière et de sa recon­ver­sion en tant qu’en­traî­neur. Cet ex‐spécialiste du double qu’on dit écorché vif est un véri­table amou­reux du tennis et son discours tranché bous­cule les habitudes.

Comment as‐tu été recruté ici, chez ISP ?

En fait, j’ha­bite à côté, à Cagnes‐sur‐Mer. Je suis simple­ment venu voir Charles Auffray (NDLR : Directeur d’ISP Academy) et j’ai été très bien reçu. Charles a compris ma situa­tion, j’avais besoin de travailler. Tout de suite, il m’a donné ma chance en me confiant un joueur ukrai­nien. Comme je suis un peu « ours », il a dû se dire que j’al­lais bien m’en­tendre avec un jeune venant d’un pays de l’est (sourire).

C’est le cas ?

Oui, même si ce n’est pas toujours évident de commu­ni­quer. Mais je prends du plaisir à ensei­gner et à cher­cher des solu­tions pour conti­nuer à le faire progresser. En même temps, c’est un peu ça le métier d’entraîneur…

La cerise sur le gâteau, c’est que tu peux aussi voyager…

(Rires) Là, tu me char­ries, je sais que tout le monde t’a parlé de mon aller‐retour express en Lituanie… 23 heures de trajets, en train, en bus, en avion… tout ça pour voir quelques échanges à peine, mon joueur étant malade. On peut dire que ça a été épique ! Mais, au final, je ne vais pas me plaindre, toute expé­rience est bonne à prendre. Même lorsque vous êtes au fin fond de la Lituanie, perdu au milieu de nulle part.

Tu le sais, on fait un dossier « Que sont‐ils devenus ? ». De ton côté, on a l’im­pres­sion que tu as eu un parcours assez atypique…

Je ne crois pas, non. Dès la fin de ma carrière, j’ai intégré dans la foulée la Fédération Française. Au début, on m’a confié un groupe de jeunes. Puis, une fois aguerri, j’ai quand même eu la respon­sa­bi­lité de Gilles Simon et Jo‐Wifried Tsonga à l’INSEP, ce n’est pas rien. Cela a duré six ans. Et puis, tout s’est arrêté d’un coup, assez brutalement…

C’est l’épi­sode avec Patrice Dominguez qui prend en main la DTN et qui décide de se séparer de toi ?

Oui, et on pour­rait en parler des heures. Aujourd’hui, c’est du passé. Mais, avec le temps, j’ai bien l’im­pres­sion que ce choix était plus dicté par l’envie de montrer une certaine auto­rité que guidé par la compé­tence. Le DTN de l’époque avait besoin de montrer qu’il était prêt à tran­cher dans le vif…

Un nouveau patron qui arrive met aussi souvent son équipe en place, cela paraît logique…

Je ne dis pas que c’est illo­gique, mais il y a des façons de le faire. A l’époque, ça a été très diffi­cile à accepter. Moi, j’ai dû changer de vie, quitter Paris, ma famille, mes filles… Or, quoi que l’on dise, quand vous partez de la capi­tale, vous sortez du système.

« Malgré ce qu’on veut nous faire croire, le tennis fran­çais se décide unique­ment à Paris »

C’est‐à‐dire ?

Malgré ce qu’on veut nous faire croire, le tennis fran­çais se décide unique­ment à Paris. Ce que je déplore vrai­ment, car nos régions ont de vraies qualités. Mais bon, on va encore dire qu’Olivier Delaitre ouvre sa gueule, alors je n’ai pas envie de polé­mi­quer (sourire)…

Pourquoi ? Il y a une forme d’omerta ?

Non, il ne faut pas en faire des tonnes, mais ce n’est pas toujours simple de dire les choses. Et c’est souvent mal compris. Moi, j’ai fini de me battre pour ça. Je connais mes qualités et mes défauts (rires). Et, surtout, mon envie, mes compétences.

Je me souviens d’une inter­view dans notre numéro 19 où ton exper­tise et ta capa­cité d’ana­lyse avaient fait mouche (rires)…

C’est peut‐être pour cela qu’un temps, j’ai été consul­tant à la télé­vi­sion. Plus sérieu­se­ment, je suis l’ac­tua­lité du tennis de très loin, sauf peut‐être quand Roger Federer joue un grand match. Là, je me surprends à cher­cher un bon strea­ming pour observer ce cham­pion exceptionnel.

Récemment, tu as aussi aidé Gaël Monfils. Vous semblez avoir une vraie connexion…

C’est le cas. Gaël est très atta­chant, il est unique dans son approche. Je me souviens d’une anec­dote, au Challenger d’Orléans… Il affron­tait Michael Llodra. Lors du brief d’avant‐match, je lui ai expliqué que Mika allait forcé­ment se jeter au filet le plus tôt possible et qu’il fallait prendre l’ini­tia­tive et le repousser loin pour l’en empê­cher. Résultat : Gaël a fait service‐volée tout au long du match (rires) ! Dernièrement, à Bercy, je lui ai fait remar­quer qu’il servait ses secondes balles systé­ma­ti­que­ment kickées sur le revers. Il m’a simple­ment répondu : « Et alors ? » Il est comme ça, il a une logique qui est parfois très singulière…

On peut parler de gâchis avec lui ?

Surtout pas ! Et je vous défends de dire cela. Gaël est un garçon à part, certes, mais il fait des efforts. Quand menta­le­ment il va bien, il est terri­ble­ment fort. Mis à part Rafael Nadal et Novak Djokovic, je ne vois pas un mec capable de défendre aussi bien que lui. Mais son équi­libre est fragile, c’est une certitude.

Que lui manque‐t‐il ?

Pas grand chose. Un petit pas vers l’avant sur chaque frappe…

Tu n’ai­me­rais pas devenir son coach ?

Cela impli­que­rait que je sois présent sur le circuit tout au long de l’année, donc c’est assez diffi­cile à conce­voir. Mais, sur un système un peu plus flexible, je ne dirais pas forcé­ment non.

Tu faisais partie du groupe qui a gagné la Coupe Davis en 1991. Cela doit rester gravé dans ta mémoire, comme le reste de ta carrière…

Pas vrai­ment, mais dans celles de mes parents, c’est une certi­tude. Ils ont tout gardé, mes trophées, mes coupures de presse. L’autre fois, je les ai feuille­tées. C’était marrant, même si j’avoue ne pas être du tout nostal­gique. Concernant ma carrière, s’il y a eu des moments forts, le temps et, surtout, la suite des événe­ments ont un peu effacé ces instants de joie et d’allégresse…

On te sent un peu amer…

C’est juste un constat. Tout le monde sait que je n’étais pas un boute‐en‐train, ni un gros fêtard. Toute ma carrière, je me suis concentré unique­ment sur mon métier et cela m’a joué des tours. Je n’ai jamais vrai­ment eu la volonté de me créer un réseau d’in­fluence. Or, force est de constater que c’est décisif dans le monde actuel.

Pourquoi ? C’est dans les soirées que tout se passe ?

C’est toi qui le dit (sourire). Moi, je dis juste que tu es forcé­ment un peu exclu, quand tu ne parti­cipes pas systé­ma­ti­que­ment à certaines fêtes de « famille ». Et cela peut avoir des consé­quences auxquelles tu ne t’at­tends pas. 

C’est ce que tu as ressenti ?

Je ne veux pas m’épan­cher là‐dessus. Le tennis reste la passion de ma vie, il m’a tout donné. Quand Charles et son équipe m’ont offert une nouvelle chance ici, je me suis dit qu’il y avait encore des personnes qui n’at­ta­chaient pas d’im­por­tance aux étiquettes qu’on vous colle. C’est vrai­ment récon­for­tant. Il ne s’agit pas de se lamenter. J’ai encore de vraies envies. Et, lorsque je suis dans de bonnes condi­tions de travail, je sais être perfor­mant, attentif et précis. 

C’est vrai que tu as l’air en forme !

Je vais bien, oui. Comme je l’ai dit, je me sens bien chez ISP. L’âge aidant, on apprend aussi à prendre du recul. Quand je viens ici le matin sous le soleil pour faire mon métier avec des jeunes, je ne traîne pas les pieds. De toute façon, j’ai besoin de travailler et d’échanger. Si on fait ce métier sans une réelle moti­va­tion, on va droit dans le mur.

Être sur le court en perma­nence, j’ima­gine que ça doit aussi être pesant, non ?

Ce n’est pas toujours simple, mais c’est là où tout se passe. Évidemment, dans un monde idéal, j’ai­me­rais avoir des missions d’en­ca­dre­ment plus larges. Mais bon, j’ai encore le temps, je n’ai que 47 ans (rires).

Il paraît que tu joues encore ?

Oui, je fais encore de la compé­ti­tion, quelques tour­nois pour garder la forme. Je joue 16, à peu près, mais, dans les bons jours, si ça rigole, mon adver­saire passe un mauvais quart d’heure (rires). A l’in­verse, si je fais une « contre », ça ne va pas m’empêcher de dormir !

    Olivier Delaitre, 46 ans
  • Carrière pro : 1986–2000
  • Meilleur clas­se­ment : 33ème 
  • 4 finales ATP
  • 8 sélec­tions en Coupe Davis