Welovetennis vous propose son entretien avec Patrice Hagelauer, DTN, réalisé dans le cadre des 20 ans de la victoire en Coupe Davis. Patrice se rappelle de ces moments assez formidables, du pari Henri Leconte, des qualités de Yannick Noah…
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Quand on lit le livre sur les 20 ans de la Coupe Davis [Coupe Davis, naissance de la France qui gagne], on s’aperçoit que tu as joué un rôle déterminant dans cette affaire. Tu es omniprésent dans le bouquin et on sent qu’à un moment donné, c’est assez émouvant l’histoire de Leconte. Et puis, comme c’est toujours dans les livres qu’on apprend des choses, on voit qu’il y a cette idée, ce feeling avec Yannick [Noah] qui est de dire : donne lui sa chance. Il y a cette fameuse discussion au bord de la piscine… Avec le recul de tout ça, tu te dis quoi aujourd’hui ? C’est physiquement que tu as senti qu’il fallait intervenir, qu’il fallait pousser les choses ?
Je les connaissais tous très, très bien. Je connaissais Henri [Leconte] et je l’ai vu grandir. Il avait 6 ans et demi la première fois que je l’ai rencontré. Je le connais par cœur, Henri. Ses défauts et ses qualités. C’est quelqu’un que j’aime beaucoup. Guy [Forget] et Yannick, je les connais depuis toujours. Ce que je connaissais d’Henri, c’est que c’est un joueur qui est capable – et il l’a prouvé – de créer un exploit. Et c’est quelqu’un qui a toujours eu, à des moments comme ça, où il nous a démontré, à certains moments, des choses absolument exceptionnelles dans sa manière de jouer. Il était injouable à certaines fois, tous les joueurs le redoutaient, et Yannick le premier. J’ai vu Yannick, parfois, à l’entraînement contre Henri et il lui arrivait de dire : « Il serait un peu plus ceci, il serait un peu plus cela, il m’aurait écrabouillé. » Des fois, Yannick n’existait pas contre Henri.
Tu sens l’idée qu’il peut créer l’exploit, ou c’est humainement que tu veux rendre ce service ? Comme à un enfant ou à quelqu’un que tu as toujours suivi.
Non, c’est parce que au fond de nous, Yannick et moi, on en était persuadé. J’étais persuadé que, s’il était réparé, il pouvait battre n’importe qui. Parce que c’était exactement le genre d’exploit dont Henri Leconte était capable. Yannick et moi, on en était persuadé !
Donc cette scène [au bord de la piscine], ça doit te donner la chair de poule. D’autant plus avec le recul, quand on gagne…
Non, mais la scène la plus extraordinaire, c’est quand, donc, on est au bord de la piscine et qu’on dit à Henri : « Henri, on va jouer cette rencontre avec toi, et on va la gagner avec toi. » Il nous a regardés en se demandant si on était cinglé. Et puis, petit à petit, ça a fait son chemin. Il est revenu hyper motivé lors des entraînements, et, au fur et à mesure, il s’est mis à jouer de manière incroyable. Et on l’a vu, de jour et jour qu’il jouait de mieux en mieux. Et mardi, Yannick m’appelle et me dit : « Viens, on fait venir Henri dans ma chambre et on va lui dire que c’est lui qui joue. Viens, ça peut être un moment assez extraordinaire. » Et là dans la chambre, Henri qui s’assoit en face de Yannick, et il lui dit : « Henri, je t’ai dit que t’allais jouer et qu’on allait gagner cette Coupe Davis avec toi, et bien c’est toi qui va jouer et qui va nous gagner cette rencontre ! » Et là, il [Henri] nous a dit : « J’ai les poils qui se hérissent. » Et puis, là il s’est mis à sangloter : « c’est le plus beau jour de ma vie ». Et c’est ça Henri.
Et après, le fait qu’il rentre sur le cours et qu’il joue avec ce niveau là, qu’est-ce que tu te dis ? Tu te dis que tu avais raison ou tu te dis que c’est un rêve ?
Je suis persuadé que des gars comme ça, ce sont des gens qui, quand ils sont transcendés, n’ont plus de limites. Et Henri, c’est l’exemple type de ce genre gars quand il est dans cet état‐là de transe. Avec Yannick sur la chaise, qui est quelqu’un qui l’a toujours admiré, qui sait comment le prendre, qui sait comment le motiver, on savait que c’était possible !
Et, avec le recul, est‐ce que tu te dis que t’as été génial ?
Non, je ne me suis jamais dit ça. Le capitaine ce n’était pas moi, c’était Yannick. C’est Yannick qui prend la décision.
Est‐ce que vous l’avez fait comme option ou vraiment dans l’idée que c’était la seule solution. Parce que [Olivier] Delaître dit dans le livre : « moi je savais que je n’allais pas jouer », [Arnaud] Boetch dit : « moi de toute façon je n’étais pas prêt. »
C’est-à-dire que là, en face de nous, il y avait Pete Sampras et Andre Agassi, donc il fallait tenter, et se dire : « Quel est, de tous nos joueurs qui sont tous super aujourd’hui, celui qui peut nous faire l’exploit ? ». Et dans notre esprit ça fait « tac‐tac‐tac » (sic), c’est lui qui peut nous faire l’exploit.
Mais vous saviez qu’il allait le faire avant, ou ce sont les premières balles, l’intensité du premier set qui vous ont donné cette croyance ?
Impossible de savoir, tout était possible ! Un jour j’ai vu Henri jouer contre Gene Mayer, en demi‐finale d’un tournoi à Memphis, quelque chose comme ça. Il a commencé à prendre 6–0. Après, il a gagné 6–0, 6–0. Gene était 5ème ou 6ème mondial. C’est du Leconte. Et j’ai vu des choses d’Henri incroyables ! Il sortait de trois opérations, ramait un peu en qualification pour ensuite faire demi‐finale à Roland Garros. Il m’a démontré des trucs absolument incroyables. Donc, oui, j’avais cette croyance, je croyais très, très fort en lui.
Dernière question sur cette Coupe Davis, après 20 ans, qu’est-ce qu’il reste entre vous de tout ça ? Certains disent qu’il y a des liens à vie, mais, qu’est-ce qu’il vous reste ? Des images ? Est‐ce que vous vous réunissez de temps en temps ?
Ce sont des moments particulièrement forts qui créent des liens tout à fait particuliers, qui créent une amitié extrêmement profonde. Cette victoire, c’est le début d’une histoire, puisqu’à cette époque là, on perdait. On perdait un petit peu partout et on ne parlait que de Yannick qui avait gagné « son truc » en 1983. Et on disait de partout « c’est Yannick et autres ». Et puis il n’y avait pas une aventure collective, il n’y avait pas d’aventure d’équipe. Et là, contre les meilleurs, personne, sauf nous, ne nous voyait gagnant. Nous – toute l’équipe – on y croyait.
Aujourd’hui, quand on lit le bouquin, on s’aperçoit que Noah était bien plus qu’un capitaine. Est‐ce qu’aujourd’hui, avec le même type de préparation, on arriverait au même type de performance, sachant que de nombreuses choses ont changé et que les joueurs sont différents ?
Moi, je crois que chaque aventure a ses critères du moment. Là, Yannick, c’était un peu le grand frère de tous ces joueurs. C’était celui qui les avait aidés à devenir les champions qu’ils sont devenus. Tous les joueurs l’admiraient par rapport à ce qu’il faisait. Il n’était peut‐être pas le joueur le plus talentueux, mais il était dans les meilleurs du monde et il avait gagné Roland. Mais quand on parle avec Yannick, on voit qu’il a un charisme incroyable Il n’y a qu’à voir pourquoi il est le personnage préféré des Français ! Ce charisme là, il se traduisait à chaque seconde. Avec lui, le mot « entraîneur » s’appliquait bien : il entraînait tout dans son sillage. Tout le monde était embarqué dans cette croyance que l’on allait les battre, qu’on allait gagner cette coupe. Ils pouvaient être numéro un mondiaux en simple ou en double, on allait les battre ! Et ça c’était fort, parce que c’était vraiment sincère ! Et donc, Henri et Guy, qui étaient sûrement les deux plus proches de Yannick, ils étaient dans cet état là. Et quand Guy perd son match contre Agassi, derrière, Henri lui dit : « ne t’en fais pas, dans 2h on est à 1 partout », il le regarde et il lui dit : « oui, oui, on va y être ! »
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Publié le mercredi 30 novembre 2011 à 18:24