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Stéphane Huet : « Il n’y a pas de limite »

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Stéphane Huet, Directeur Technique de l’Académie Player’s, a répondu aux ques­tions de GrandChelem pour notre numéro 19 et le dossier sur le temps. Il revient sur cette notion, ainsi que celle de « rituel » et ce qui l’a marqué dans le match Isner‐Mahut.

Comment se construit un rituel ?

Tous les joueurs ont des rituels bien précis, du cordage que l’on remet en place aux dépla­ce­ments en fond de court. Regarde Nadal… Et ils se les construisent en fonc­tion de leur person­na­lité propre. A lui de se les trouver, même si le coach peut toujours l’orienter dans telle ou telle direc­tion. D’une manière géné­rale, tous ces rituels sont des proto­coles. Il y en a qui fonc­tionnent au visuel, d’autres à la sensa­tion. Ca se joue en fonc­tion des person­na­lités, il y a plein de petits facteurs.

Il y a des rituels plus adaptés que d’autres pour gérer effi­ca­ce­ment le temps ?

Je ne sais pas. Ca dépend des tempé­ra­ments : il y en a qui ont besoin de conserver un certain rythme pour garder de l’influx, de l’agressivité ; et d’autres qui préfèrent baisser d’intensité pour trouver du relâ­che­ment… Il n’y a pas de bons ou de mauvais rituels. Le but, c’est d’arriver à faire le vide, de récu­pérer au maximum et de repartir avec de bonnes sensations.

Certains pensent qu’il faut accé­lérer le rythme quand on gagne et le ralentir quand on perd. C’est un peu facile, non ?

Quand on est dans une bonne passe dans un match, je conseille toujours d’être prêt le plus rapi­de­ment possible pour enchainer et empê­cher l’autre de retrouver sa séré­nité. Il faut jouer pour ne pas rompre la dyna­mique néga­tive de l’adversaire. C’est une partie d’échecs, il faut analyser le compor­te­ment de l’autre. Dans une mauvaise passe, il faut faire l’inverse, prendre son temps et avoir la luci­dité pour imprimer le rythme que l’on a choisi. 

Comment un cham­pion va gérer le temps, entre les points, aux chan­ge­ments de côtés ?

Il faut arriver à ne pas se préoc­cuper de l’autre, c’est ça la force des grands. Ils gardent le contrôle d’eux-mêmes. Quand ils rentrent sur le court, ils sont concen­trés sur leur tennis, leurs sensa­tions ; ils mettent leur jeu en appli­ca­tion et peu importe le reste. Davydenko est un peu le spécia­liste de cette concen­tra­tion. La prio­rité, c’est de jouer avec ses qualités et, si l’on voit que ça ne fonc­tionne pas, on s’adapte et on modifie ses plans. Mais, au départ, il faut appli­quer ses points forts. Et puis il ne faut pas que l’esprit produise du contenu durant ce laps de temps. Il faut faire le vide et se placer en‐dehors du temps. Ne plus penser à rien, rester dans sa bulle. Moins on cogite, plus on essaie de se foca­liser sur ses propres sensa­tions, de gérer son rythme cardiaque, sa respi­ra­tion… Si Nico est resté au contact, c’est parce qu’il était en décon­nexion avec le temps et ce qui se passait autour. Se foca­liser sur l’instant présent, du premier point à la balle de match. Quand tu es vrai­ment concentré, tu ne sais même plus où tu en es, tu prends les points vrai­ment les uns après les autres.

Il existe des méthodes pour aider à la concen­tra­tion, à ce travail sur le rituel ?

Nous, on a un sophro­logue. Moi, j’ai utilisé certaines de ces méthodes durant ma carrière pour m’aider à passer un cap. C’est délicat, car il faut que le joueur soit vrai­ment deman­deur. Si ce n’est pas le cas, je ne vois pas comment le message peut passer. Après, il faut aussi se connaître soi‐même, autre­ment c’est diffi­cile. Les jeunes, on peut les initier à maîtriser ces éléments‐là. Si tout se passe bien, que le joueur gère ses émotions, ce n’est pas la peine d’y faire appel. 

Qu’est ce qui vous a paru le plus dingue dans le match Isner‐Mahut ?

Ca m’a fait rela­ti­viser le concept de limites. On se met soi‐même ses limites et, si le mental est là, on peut les repousser très loin. On construit ses propres barrières mentales, donc on a la clef pour les dépasser. Et, là, avec ce match, ce dont on s’aperçoit, c’est qu’il n’y a pas de limites. Et la faculté qu’a eu Mahut de rester dans le moment présent, d’évacuer le stress, lors même qu’il courait après le score, c’est tout simple­ment énorme. Maintenant, j’imagine que ça n’a pas été facile pour Nico de perdre ce match. Mais il a vécu telle­ment de moments plus durs dans sa vie… Ca reste un match de tennis, quelque chose de secon­daire. Je suis sûr qu’il va s’en remettre et que ça va lui apporter des choses.

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