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Tulasne : « Le stade ultime, gagner des tour­nois du Grand Chelem, c’est cela l’excellence »

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Joueur précoce, coach de Gilles Simon et aujourd’hui de Corentin Moutet, Thierry Tulasne était le grand témoin qu’il fallait abso­lu­ment inter­roger sur le sujet de la préco­cité. Ce contenu est tiré du numéro 53 du maga­zine Grand Chelem qui est sorti ce jour dans notre réseau composé de 800 points en France.

Thierry, peut‐on encore parler de préco­cité sur le circuit actuel ?

« Je trouve que cette notion est un peu galvaudée, notam­ment si je compare tout cela à mon époque, à des parcours comme ceux de Michael Chang ou encore de Fabrice Santoro. De plus, par rapport à ma période, il faut quand même recon­naître que la concur­rence est plus impor­tante, il y a plus de joueurs compé­ti­tifs, plus de nations qui forment des espoirs. Cela n’a rien à voir. Je me souviens que j’avais quand même enchaîné un huitième de finale à Roland‐Garros et un quart de finale dans le tableau juniors la même journée ; qu’à 16 ans et demi j’avais dominé, au tournoi de Rome, l’Américain Vitas Gerulaistis alors numéro deux mondial. Tout cela me semble vrai­ment impos­sible aujourd’hui. »

Vladimir Platenik, nous a parlé des trois piliers : le physique, la tech­nique, et le mental. Crois‐tu aussi que ce sont les bons critères pour définir si un joueur est précoce ou non ?

« Ces trois piliers sont la base. Et j’ai envie de dire que si on a de vraies certi­tudes concer­nant le physique, et la tech­nique, je pense que le plus gros chan­tier est du côté mental. Enfin, je parle de mon expé­rience en tant que coach. Après, il y a aussi forcé­ment la notion du clas­se­ment qui rentre en jeu, mais c’est juste une consé­quence de la progres­sion du joueur dans les trois secteurs que nous avons définis. Donc oui il y a des points de passage, et il est certain que si on ne progresse pas au clas­se­ment de façon régu­lière, le projet risque de ne pas aboutir. L’idée c’est vrai­ment de pouvoir inté­grer le top 100, car c’est là où le joueur entre dans le vif du sujet. »

Est‐ce que ce n’est pas du côté mental en France que l’on est le moins efficace ?

« Les choses évoluent, mais c’est vrai que les critères de sélec­tion sont souvent liés à une belle tech­nique, un talent, une main, plutôt qu’au niveau mental. Je crois juste que l’on doit progresser, nous les entraî­neurs, dans ce domaine pour ne pas parier unique­ment sur un gros physique ou sur un espoir qui maîtrise tous les coups du tennis. Il faut évoluer, mais cette petite « révo­lu­tion » est en marche. On a tous l’envie, le désir, de pouvoir détecter un talent qui aura la capa­cité de progresser dans les trois critères et ainsi pouvoir remporter les plus beaux titres du circuit mondial. »

Il existe des compé­ti­tions de jeunes très connues et qui ont valeur de test, de point de passage, on pense forcé­ment aux Petits As de Tarbes. Est‐ce un vrai critère pour évaluer la préco­cité d’un futur joueur ?

« Oui et non. Oui si l’on regarde le palmarès, puisque les plus grands sont passés par Tarbes. Non si l’on pense que c’est obli­ga­toire d’avoir réussi là‐bas pour parvenir au plus haut niveau. Il reste que ce type de compé­ti­tion est très impor­tant. Cela permet de se mesurer à la concur­rence, de faire des matches, de connaître l’uni­vers de la compé­ti­tion et aussi forcé­ment de commencer à se forger un carac­tère car il existe une vraie pression. »

Vous nous disiez en off que quand vous étiez un espoir, vous aviez très peu la possi­bi­lité d’in­ter­venir sur le contenu de vos séances, aujourd’hui c’est tout l’in­verse non ?

« Tout a changé. Un coach doit toujours se justi­fier, expli­quer, commu­ni­quer avec son joueur, encore plus si celui‐ci se pense en avance, précoce ou au‐dessus de la moyenne. L’autorité n’est plus natu­relle, et il faut savoir échanger, faire des propo­si­tions. La rela­tion joueur‐coach s’in­tel­lec­tua­lise. Il y a une notion de projet,et très vite on cherche à savoir, connaître l’am­bi­tion à long terme du joueur. À mon époque, c’était diffé­rent, on était plus dans le présent, il y avait moins de projec­tions. Quand on m’a appelé le « nouveau Borg » jamais je n’ai pris cela vrai­ment au sérieux. Il faut dire que tout était diffé­rent, et notam­ment l’en­vi­ron­ne­ment. Un joueur dit précoce, il est très vite entouré d’un agent, de sa famille, de conseils, ça va très vite, trop vite quelques fois, et on s’épar­pille, on oublie les fondamentaux. »

Pensez‐vous qu’un joueur ultra doué pour­rait sur le circuit actuel parvenir à grimper très vite au clas­se­ment comme l’a fait Rafael Nadal à son époque ?

« Je ne pense pas que ce soit impos­sible. Car si on regarde la hiérar­chie – en dehors du top 5 – il y a de la place. Bien sûr il faudra que ce cham­pion soit complet, mais c’est possible. Je ne dis pas que Dominic Thiem et Alexander Zverev ne sont pas forts, mais ils sont parvenus fina­le­ment assez aisé­ment à grimper dans le clas­se­ment alors qu’ils ont encore quelques carences dans leur jeu. Après le stade ultime, reste quand même de gagner des tour­nois du Grand Chelem, c’est cela l’excellence. »

Est‐il légi­time de dire que les circuits féminin et masculin ne sont pas égaux sur ce point de vue ?

« Je ne suis pas un grand spécia­liste du circuit féminin, mais je dirais qu’il existe plus de filles dans le top 50
qui ont une vraie carence dans un domaine que soit physique, tech­nique, ou mental. Donc selon moi, il est plus aisé d’avoir une progres­sion rapide sur le circuit féminin mais cela ne veut pas dire que c’est facile, loin de là. Une hiérar­chie existe mais elle est plus flot­tante que chez les hommes où Djokovic, Federer, Nadal, Murray, Wawrinka donnent fina­le­ment le tempo. »

Nous n’avons pas encore parlé du rôle des parents dans un projet d’un enfant précoce. Existe‐t‐il des bons et des mauvais parents ?

« La ques­tion est mal posée. De toute façon, chaque cas est unique. Il y a les parents omni­pré­sents, et d’autres qui laissent le joueur faire sa route, même si c’est assez rare. Après selon moi, et quand je regarde la carrière de certains cham­pions, les parents gardent malgré tout une posi­tion spéciale et déter­mi­nante. Aujourd’hui, de toute façon, dans tous les processus de forma­tion, ils sont inté­grés à la réflexion, aux choix, ils ne sont plus mis à l’écart. Là aussi, il s’agit d’échanger, de trouver des solu­tions, de cher­cher ensemble. Une fois de plus les mots comptent, la commu­ni­ca­tion doit être continue et permanente. »

On a décidé de faire ce dossier suite à la victoire de Geoffrey Blancaneaux en junior à Roland‐Garros. Que pensez‐vous de son parcours ?

« Geoffrey est un vrai exemple. Il n’était pas en avance sur les trois piliers. On le disait même en retrait et il s’est accroché. Son parcours à Roland‐Garros confirme déjà qu’il a un mental, qu’il ne lâche rien, c’est un profil qui me plait, c’est un joueur moderne. Il gagne Roland‐Garros avec les tripes et en ayant encore de vraies possi­bi­lités pour progresser physi­que­ment et tech­ni­que­ment. J’ai donc envie de dire qu’il ne faut pas qu’il se fixe de limites, mais je crois savoir que c’est le cas, qu’il a une vraie ambi­tion. Et l’am­bi­tion cela reste une clé qui ouvre certaines portes. »

Retrouvez gratui­te­ment et en inté­gra­lité le numéro 53 « Vous avez dit préco­cité », le dernier numéro de notre maga­zine GrandChelem… Bonne lecture !