Apolline est dans le mi‐dur mi‐moun. Peu de temps pour le tennis. Quelques légendes de l’olympisme à fouetter et des images inédites, en couleur – Apocalypse oblige – à récupérer au fin fond de la Tchèquie. Alors parlons des statues tchèques. Non, pas celle de Zatoperk, celle de Lendl. Car nos lecteurs ont joué l’air de la surprise. Alors, comme ça, Ivan Lendl ne serait pas le monstre qu’on nous a vendu et l’interview qu’il a accordée à notre confère Paul Kimmage, reprise intégralement dans le dernier Tennis Magazine, le montrerait sous un nouveau jour.
Ivan, c’est désormais l’ami des petits et des grands… trentenaires qui le détestaient mais qui après avoir pris connaissance de cet entretien battent leur coulpe jusqu’au sang. Qu’est-ce qu’il est sympa, entier, sensible, ce Lend ! Ivan, cet inconnu… à connaître. Evidemment. Voilà qui est parfait : au groupe des gens qui haïssaient le Tchèque pour les raisons les plus étranges, on peut désormais associer après cet entretien la nouvelle secte de ceux qui l’adorent pour des motifs encore plus indéchiffrables. Apolline en connaît même qui ont fait du ski nautique sur les deux rives. Applaudissement. Et pour tout le monde cette récompense immédiate : une semaine gratuite à garder les chiens de l’ex numéro 1 mondial.
Sans plaisanter, avez‐vous écouté cette interview ? Non, Apolline ne s’adresse pas à ceux qui ne l’ont pas encore lu, mais au contraire à ceux qui l’ont parcouru sans y prêter l’oreille. Lisez là à voix haute, faites là résonner dans le salon. C’est pas franchement du Mozart. C’est même la quintessence cauchemardesque de l’entretien cacophonique et la raison pour laquelle Lendl s’est toujours montré au mieux sourd d’oreille, au pire odieux face à ses interlocuteurs successifs. C’est une non‐interview c’est‐à‐dire l’art de poser de mauvaises questions à un mec pourtant précis et loyal, et qui en conséquence n’a envie de donner aucune bonne réponse. C’est donc le plus fermé des Lendl qu’il nous ait donné de voir, un Ivan ne lâchant rien, pas une info ni personnelle, ni technique, mais dont l’âge et finalement l’indifférence à tout ça lui permettent de garder son sourire et de ne pas donner l’impression à son interlocuteur qu’il vient de perdre une demi‐heure de plus à essayer de lui expliquer les termes d’une conversation qui avance, sur des questions de tennis, des vraies.
On atteint d’ailleurs une forme de dialogue à la professeur Tournesol pour ce qui constitue le cliché le plus couru de l’histoire du tennis, cette légende sur la finale 1984 que le film d’Apolline sur McEnroe et Lendl n’a visiblement pas encore noyé. Mais c’est peut‐être parce que personne n’est jamais allé demander son avis à Ivan. C’est surtout parce que trop d’interviewers lisent les biographies de McEnroe sans lui faire remarquer que ça pioche un peu par approximation (Apolline a sur ce sujet trois bonnes minutes de bande de McEnroe fronçant les sourcils avant de reconnaître qu’il n’a pas tout vérifié sur son bouquin, écrit par un autre, évidemment)
- Vous avez été mené deux sets à zéro dans cette finale, puis deux jeux à rien dans le troisième set.
- Vous êtes sûr ?
- C’est comme ça que McEnroe le raconte dans son livre.
-Vous êtes absolument certain ? Je sais que la croyance générale est qu’il avait mené 2 sets à rien avec un break dans le troisième, mais dans mon souvenir, il avait le break au quatrième set. Il avait mené 4–2 avec deux balles de 5–3. C’est ce dont je me rappelle.
- Il dit qu’il avait un break d’avance au 3ème.
- Je le conteste. Je ne m’en souviens pas de cette manière.
- Ok, le fond de l’histoire est qu’à un moment vous avez réussi à inverser le court du match.
- Exact
- Vous souvenez‐vous d’un moment clef ? Il écrit avoir été dérangé par un micro de télévision.
- Vous voulez dire qu’un avion a survolé le stade et que cela l’a perturbé. ll ne lui en faut pas beaucoup.
Voilà, ça continue comme ça pendant quatre pages. Kimmage a en face de lui un gars qui sait tout sur ce match, mais il n’arrivera pas à lui soutirer une seule info. Pourquoi ? Parce ce que Lendl a compris au bout de deux questions que le journaleux lui ne sait rien. Ni sur ce match, ni sur le reste d’ailleurs. Le mec a juste préparé son interview en faisant sa revue de presse de tous les racontars accumulés sur une carrière. Fin des termes de l’échange. Rideau de fer.
On remerciera pourtant l’homme aux huit finales de suite à l’US Open de nous avoir accordé par charité chrétienne trois cadeaux gracieux.
D’abord cette info qu’il lâche justement pour montrer qu’il n’a jamais tenu à disperser de tels cailloux sur son chemin du temps de sa carrière : « Je peux vous dire aujourd’hui ce que je détestais puisque ça n’a aucune importance. Tout le monde avait une haute opinion sur mon coup droit, mais je détestais quand on me servait sur mon coup droit sur les points importants. Je détestais ça. Mais irais‐je le dire aux médias ? Je ne vois pas Roger dire comment il va jouer Nadal ».
Puis cet avis assez incontestable sur la carrière de McEnroe détruite par sa défaite à Roland : « Je pense que c’est le cas. Les gens disent souvent qu’il s’agissait du match le plus important de ma carrière et je ne suis pas d’accord. Je pense que j’aurais eu ma part de victoires de toute façon les années suivantes. Mais je pense que c’était le match le plus important sur un plan négatif pour lui parce que s’il avait gagné, il aurait fait plus d’efforts pour aller gagner l’Open d’Australie et il aurait fini sa carrière avec 10 ou 12 titres majeurs au lieu de 7 et il se serait trouvé dans les mêmes sphères que Rod Laver ou Roger Federer. Je suis totalement d’accord avec le côté dévastateur de cette défaite pour lui et pour sa carrière ».
Enfin cette anecdote savoureuse sur l’état de leur rapport et sur l’humour des deux, à la fois proches dans la volonté de pouvoir sur autrui mais irréconciliables en terme de subtilité : « Je vois John une fois par an au Madison Square Garden. C’est assez amusant en fait. Jerry Solomon et moi, nous avons organisé ce match entre Sampras et Federer, et John commentait la soirée pour la télévision. Donc on a un peu discuté et je lui ai dit « Tu sais, John, depuis la première fois où je t’ai rencontré en 1977 au Banana Bowl à Santos au Brésil, je savais qu’un jour tu travaillerais pour moi ». Réponse de John : « Tant que ça reste une seule journée ».
Années 10, années du Brésil, vous l’avez compris. La ville de Santos y attend le petit John et le petit Ivan pour leur quarante ans de mariage.
Publié le vendredi 9 octobre 2009 à 02:05